Écrire Deux militants aborigènes risquent la détention à perpétuité

Judhishtira Jena et Babula Samal, deux militants adivasis (aborigènes), ont été arrêtés pour s’être opposés au rachat forcé de terrains pour un projet de complexe sidérurgique. Les deux hommes font également l’objet de nombreuses autres actions en justice, qui concernent pour certaines des actes qui auraient été commis il y a 10 ans. S’ils sont déclarés coupables, ils encourent la détention à perpétuité.

Judhishtira Jena et Babula Samal ont été arrêtés respectivement les 18 et 19 décembre 2017 dans le cadre d’une action pénale engagée contre eux en 2010 en raison de leurs activités militantes pacifiques. Ces deux hommes sont des adivasis (aborigènes) qui vivent dans le village de Dhinkia, dans l’État d’Odisha (anciennement Orissa, est de l’Inde). Ils font partie des nombreux habitants du district de Jagatsinghpur qui se sont mobilisés contre le rachat forcé par l’État de terrains agricoles et de terre communes pour un projet d’aciérie initialement proposé par le géant de l’acier POSCO.

Poursuivis pour de nombreuses infractions, notamment pour participation à des émeutes, intimidation criminelle, tentative de meurtre et réunion illicite, ils sont actuellement incarcérés dans la prison de Kujang, à Jagatsinghpur, et leurs demandes de libération sous caution sont en instance devant le tribunal de district. S’ils sont déclarés coupables, ils encourent la détention à perpétuité.

Le procès verbal introductif sur la base duquel ces militants ont été arrêtés invoque des événements remontant au 15 mai 2010, jour où la police a utilisé du gaz lacrymogène et des matraques pour disperser une manifestation réunissant un millier de paysans, dont certains avaient jeté des pierres sur la police. Ce procès verbal ne mentionne aucun nom. Auparavant, à plusieurs reprises, des militants de la région opposés à l’aciérie avaient été arrêtés sur la base d’accusations motivées par des considérations politiques. Amnesty International estime que les charges retenues contre Judhishtira Jena et Babula Samal sont également motivées par des considérations politiques.

Judhishtira Jena et Babula Samal sont des membres actifs de POSCO Pratirodh Sangram Samiti (PPSS), un groupe de résistance local fondé après que POSCO a annoncé, en 2005, son intention de lancer des activités dans la région. Les habitants aborigènes de la région ont organisé des manifestations pacifiques pour tenter de mettre fin aux rachats forcés de terres et à la destruction des forêts et des plantations. De 2006 à 2014, plus de 2 000 villageois aborigènes, dont Judhishtira Jena et Babula Samal, ont fait l’objet de poursuites pénales après avoir exercé leur droit à la liberté d’expression.

En juin 2005, l’entreprise sidérurgique sud-coréenne POSCO a signé un protocole d’accord avec le gouvernement de l’État d’Odisha pour investir dans un projet de complexe sidérurgique comprenant une mine de fer, une aciérie et un port commercial dans le district de Jagatsinghpur (État d’Odisha). Une grande partie des terrains dont l’utilisation a été proposée pour ce projet sont des terres communales, qui sont la propriété de villages et relèvent de l’autorité des instances locales, et qui servaient à la culture de plants de bétel, dont de nombreuses familles dépendaient pour vivre. Selon les militants locaux, les autorités de l’État n’ont jamais reconnu les droits individuels et collectifs des communautés locales sur ces terres communales, qui sont pourtant consacrés par un texte qui a fait date, la Loi de 2006 relative aux droits forestiers.

De nombreux villageois ont déclaré qu’ils avaient saisi les autorités locales pour faire valoir leurs droits forestiers, mais que leurs revendications n’avaient pas été traitées. Selon le PPSS, le groupe de résistance locale, 8 km2 de terres communales ont saisis par la force par les autorités en 2011. En 2013, 2,8 km2 supplémentaires de terres communales ont été saisis dans le village de Dhinkia. Les habitants n’ont pas été consultés et n’ont pas été informés suffisamment à l’avance, et ceux qui ont refusé l’indemnisation ont vu leurs terres confisquées sans leur consentement.

Depuis la signature du protocole d’accord, le projet rencontre une résistance farouche des communautés locales, et des groupes de défense des droits humains et de l’environnement ont soulevé de sérieuses questions quant à ses répercussions sociales et environnementales. Les assemblées des villages des zones touchées ont adopté de nombreuses résolutions interdisant l’utilisation des terres pour le projet POSCO-Inde. En juin 2013, un rapport du Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels (ESCR-Net) a mis en lumière plusieurs violations des droits humains liées au projet, et a appelé à sa suspension.

En octobre 2013, huit experts indépendants des droits humains des Nations unies, dont les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur le logement convenable, le droit à l’alimentation, le droit à la santé et le droit de réunion pacifique, ont appelé à l’arrêt du projet. Ils ont invoqué de sérieuses préoccupations en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne les répercussions des expulsions forcées sur les moyens de subsistance et l’accès aux ressources naturelles, ainsi que les poursuites pénales engagées contre des habitants sur la base d’accusations forgées de toutes pièces.

En 2015, après une mobilisation internationale contre les risques présentés par les projets de POSCO en matière d’environnement et de droits humains, la Banque centrale de Norvège (Norges Bank) a décidé d’exclure cette entreprise de l’univers d’investissement du fonds de pension public international de la Norvège. En mars 2017, POSCO a déclaré qu’il se retirait du projet et a demandé au gouvernement de l’État d’Odisha de reprendre les terres transférées à l’entreprise.

Peu après, une entreprise sidérurgique indienne, JSW Steel Limited, a toutefois annoncé son intention de lancer des activités dans la région. La résistance locale a pris de l’ampleur depuis qu’a débuté la construction, toujours en cours, d’un mur d’enceinte pour le nouveau projet, alors que les différends quant aux droits forestiers sur les terres n’ont pas été réglés. Les militants locaux craignent que l’arrestation de Judhishtira Jena et de Babula Samal et l’exhumation d’anciennes affaires remontant à l’époque de POSCO ne soient qu’un début, et qu’une série de manœuvres ne soient employées pour empêcher de nouvelles manifestations pacifiques.

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