Kamile Wayit étudie à l’Institut de technologie de Shangqiu (商丘工学院), dans la province du Henan (河南) afin de devenir enseignante en école maternelle. Elle est née dans la ville d’Atush (capitale de la zone autonome kirghize de Kizilsu, dans le Xinjiang), où elle a été à l’école primaire. À partir de l’âge de 14 ans, elle a dû vivre seule à Ürümqi pendant deux ans, entre 2017 et 2019, parce que son père était détenu dans un camp de « ré-éducation » durant cette période. Son frère la décrit comme une personne « très mature et attentionnée ».
Début juin 2023, le bureau du porte-parole du ministère des Affaires étrangères a répondu aux questions du magazine The Economist, indiquant que Kamile Wayit avait déjà été condamnée pour le chef d’accusation d’« apologie du terrorisme » le 25 mars 2023 et purgeait actuellement sa peine. Les autorités n’ont pas mentionné le lieu où elle est détenue, pas plus que la durée de sa condamnation. Le délit d’« apologie du terrorisme » est passible d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement.
Sa condamnation serait liée à une vidéo qu’elle a publiée sur WeChat en novembre 2022 à propos des manifestations ayant eu lieu à travers la Chine afin de commémorer les victimes d’un incendie à Ürümqi. Peu après, la police a téléphoné à son père afin de lui adresser un avertissement, et elle a supprimé sa publication. À la même période, elle a repris contact avec son frère, qui vit à l’étranger et s’est exprimé au sujet des problèmes auxquels sont confrontés les Ouïghour·e·s. Ses échanges avec son frère ont sans doute joué un rôle dans son placement en détention.
À propos des « manifestations A4 en Chine »
Jeudi 24 novembre, un incendie s’est déclaré dans un immeuble d’habitation à Ürümqi, faisant au moins 10 victimes selon des sources officielles. Beaucoup ont attribué ce drame aux restrictions liées au COVID-19, mais les autorités locales ont contesté cette affirmation. Cela n’a pas empêché des manifestations d’éclater à Ürümqi, capitale de la région autonome ouïghoure du Xinjiang, dans l’ouest de la Chine. Le lendemain matin, le gouvernement a déclaré que la vague de COVID-19 était sous contrôle et que la ville assouplirait les mesures de confinement, après plus de 100 jours de restrictions draconiennes des déplacements de la population.
Depuis le 25 novembre, des vidéos partagées sur les réseaux sociaux ont montré des actions de protestation démarrer dans des universités et des villes à travers la Chine, notamment à Pékin, Guangdong, Shanghai et Wuhan. Des manifestant·e·s pacifiques ont rendu hommage aux victimes de l’incendie d’Ürümqi et demandé l’assouplissement des mesures de confinement. De nombreuses voix se sont élevées contre la censure et certaines ont demandé que le président Xi Jinping quitte ses fonctions. De nombreuses personnes ont été placées en détention pour avoir participé à des manifestations pacifiques contre les restrictions liées au COVID-19. On ignore toujours combien sont encore en détention. Des vidéos diffusées en ligne ont montré des policiers en train de frapper des manifestant·e·s lors d’arrestations.
À propos du Xinjiang
Le Xinjiang est l’une des régions chinoises dont la population est la plus diversifiée sur le plan ethnique. Plus de la moitié de ses 22 millions d’habitant·e·s appartiennent à des groupes ethniques principalement turcophones et majoritairement musulmans, parmi lesquels les Ouïghour·e·s (environ 11,3 millions), les Kazakh·e·s (environ 1,6 million) et d’autres populations dont les langues, les cultures et les modes de vie sont très différents de ceux des Hans, majoritaires en Chine « intérieure ».
Depuis 2017, sous prétexte de lutter contre le « terrorisme » et l’« extrémisme religieux », l’État chinois commet des violations systématiques et de grande ampleur à l’encontre de la population musulmane du Xinjiang. On estime que plus d’un million de personnes ont été placées en détention arbitraire dans des camps d’internement à travers la région depuis 2017.
Le gouvernement chinois va très loin pour dissimuler les violations des droits humains perpétrées au Xinjiang et empêcher les membres de la diaspora ouïghoure de les dénoncer. Amnesty International a rassemblé des informations sur de nombreux cas de Ouïghour·e·s, de Kazakh·e·s et d’autres membres de populations musulmanes turcophones du Xinjiang placés en détention simplement pour avoir vécu, voyagé ou étudié à l’étranger ou pour avoir communiqué avec des personnes à l’étranger. Beaucoup ont été arrêtés uniquement parce qu’ils étaient « en contact » avec des personnes qui vivaient, voyageaient ou étudiaient à l’étranger, ou communiquaient avec des personnes à l’étranger.
En août 2022, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a publié un rapport très attendu appuyant les conclusions proposées entre autres par Amnesty International. Ces conclusions révèlent l’ampleur de la détention arbitraire et discriminatoire de Ouïghour·e·s, de Kazakh·e·s et de membres d’autres groupes à prédominance musulmane au Xinjiang, susceptible de constituer des crimes de droit international, et en particulier des crimes contre l’humanité. Il a également répertorié des allégations de torture et d’autres mauvais traitements, des cas de violences sexuelles et liées au genre, de travail forcé et de disparitions forcées, entre autres graves violations des droits humains.