Depuis sa première arrestation en novembre 2017, Osman Kavala a passé plus de quatre ans et six mois en détention provisoire pour trois chefs d’inculpation distincts : tentative de renversement de l’ordre constitutionnel (article 309 du Code pénal turc, en lien avec des allégations ayant trait au coup d’État manqué de 2016), tentative de renversement du gouvernement (article 312 du Code pénal, en relation avec son rôle présumé dans les manifestations de grande ampleur qui ont eu lieu au parc Gezi en 2013) et espionnage politique et militaire (article 328 du Code pénal, également en lien avec les allégations selon lesquelles il aurait joué un rôle dans le coup d’État manqué). Le procès du parc Gezi, dans le cadre duquel 16 personnes ont été poursuivies, a débuté en juin 2019. Osman Kavala a été accusé d’avoir financé les manifestations et de les avoir organisées avec deux de ses coaccusé·e·s (poursuivis au titre de l’article 312).
Six autres personnes ont été poursuivies sur la base de divers autres chefs d’accusation. Le 18 février 2020, le procès a pris fin : neuf des personnes poursuivies ont été acquittées de toutes les charges qui pesaient sur elles, et l’affaire contre les sept autres personnes a été séparée en raison de leur absence au procès. Le tribunal a également ordonné la libération immédiate d’Osman Kavala, mais le procureur général d’Istanbul a émis un ordre distinct de placement en détention. Osman Kavala a d’abord été placé en garde à vue, puis renvoyé en prison le lendemain, après avoir été inculpé d’avoir joué un rôle dans la tentative de coup d’État de 2016 et placé en détention provisoire au titre de l’article 309 du Code pénal. En mars 2020, les charges ont été requalifiées en « espionnage politique et militaire », ce qui a permis aux autorités de le maintenir en détention. La détention provisoire au titre d’un chef d’inculpation donné ne peut durer au-delà de deux ans, à moins qu’une autre inculpation ne soit acceptée par un tribunal.
En janvier 2021, la cour d’appel régionale d’Istanbul a annulé l’acquittement d’Osman Kavala et de huit autres personnes, et un nouveau procès a débuté en mai 2021. Entretemps, les acquittements prononcés dans une autre affaire liée aux manifestations du parc Gezi - le procès Çarşı, concernant 35 supporters de football - ont également été annulés en appel. Au cours de l’été 2021, les deux affaires ont été fusionnées à la faveur d’une procédure juridiquement douteuse. À la suite de cette fusion, un procès collectif contre 52 accusé·e·s s’est ouvert en octobre 2021. En février 2022, une quatrième audience a eu lieu, peu après le lancement officiel par le Conseil de l’Europe d’une procédure en manquement pour non-exécution de l’arrêt Kavala c. Turquie rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ; les affaires ont ensuite été à nouveau séparées à la demande du parquet. La sixième et dernière audience s’est achevée le 25 avril 2022.
Ces poursuites à caractère politique et les condamnations iniques prononcées à leur issue montrent à quel point le contrôle de l’exécutif et l’influence du politique sur le système judiciaire sont devenus généralisés et systématiques en Turquie. Les tribunaux acceptent régulièrement des actes d’inculpation sans fondement pour placer en détention et condamner des personnes et des groupes que le gouvernement considère comme des opposants politiques, en l’absence d’éléments convaincants - voire de tout élément - tendant à prouver des activités répréhensibles. Cela a notamment été le cas dans le contexte de la tentative de coup d’État de juillet 2016.
La condamnation d’avril 2022 a été prononcée alors qu’aucun élément de preuve digne de foi ne permettait d’étayer les accusations portées contre Osman Kavala et ses coaccusé·e·s. Il s’agit de la dernière affaire en date illustrant clairement le manque chronique d’indépendance du pouvoir judiciaire en Turquie. La Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt de décembre 2019, a estimé que les autorités turques avaient non seulement bafoué le droit d’Osman Kavala à la liberté et à la sécurité, mais aussi qu’elles poursuivaient le but inavoué de le réduire au silence et de dissuader les autres défenseur·e·s des droits humains de mener leurs activités légitimes.
Bien que le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, en février 2022, ait décidé d’engager officiellement une procédure en manquement contre la Turquie parce que celle-ci refusait de se conformer à l’arrêt de la CEDH et de libérer immédiatement Osman Kavala, la justice turque a condamné cet homme à la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. En tant qu’État membre du Conseil de l’Europe, la Turquie est tenue de mettre en œuvre les arrêts de la Cour, qui ont un caractère contraignant. Son refus persistant d’appliquer cet arrêt de la CEDH devrait être perçu comme un signal d’alarme quant au non-respect par le pouvoir judiciaire turc des normes internationales et européennes relatives aux droits humains et à l’état de droit.