Depuis février 2023, les autorités tunisiennes mènent une enquête pénale contre au moins 40 personnes pour des accusations infondées de complot. Amnesty International a recensé les cas de huit personnes actuellement détenues dans le cadre de cette enquête, notamment l’homme politique Khayam Turki, arrêté le 11 février 2023 ; le dissident et homme politique Abdelhamid Jelassi, arrêté le 12 février ; l’avocat et dissident Lazhar Akremi, arrêté le 12 février ; le militant de l’opposition Issam Chebbi, arrêté le 22 février ; le militant de l’opposition Jaouhar Ben Mbarek, arrêté le 24 février ; et les avocats Ghazi Chaouachi et Ridha Belhaj, arrêtés le 25 février. La figure de l’opposition Chaima Issa, arrêtée le 22 février 2023, et le dissident Lazhar Akremi, arrêté le 13 février 2023, ont été remis en liberté provisoire le 13 juillet dernier, après avoir passé près de cinq mois en détention arbitraire.
Ces huit personnes font l’objet d’une enquête liée à des accusations fallacieuses de complot au titre de 10 articles du Code pénal tunisien, notamment l’article 72, qui prévoit la peine de mort obligatoire pour les tentatives visant à « changer la forme du gouvernement ». Elles sont également inculpées de plusieurs infractions au titre de 17 articles de la loi antiterroriste de 2015, notamment de son article 32, qui prévoit une peine allant jusqu’à 20 ans d’emprisonnement pour la formation d’« une organisation terroriste ».
Amnesty International considère ces accusations et l’enquête comme infondées. Les accusés ont été interrogés au sujet de leur relation entre eux et avec des diplomates étrangers et de réunions auxquelles ils ont participé ensemble, ainsi que sur le contenu d’objets saisis par les policiers durant leur arrestation, notamment des notes personnelles et des messages WhatsApp. Aucun élément de preuve n’a été présenté prouvant qu’ils ont commis des infractions reconnues par le droit international.
Le juge et la cour d’appel de Tunis ont dans un premier temps rejeté les demandes de mise en liberté provisoire soumises par les avocats des huit suspect·e·s. Cependant, en juillet, le tribunal a libéré Chaima Issa et Lazhar Akremi, leur interdisant de voyager à l’étranger et d’« apparaître dans des lieux publics ». Il a prolongé la détention préventive des six autres personnes en invoquant la nécessité de « garantir le bon déroulement de l’enquête ». Le 21 septembre 2023, la cour d’appel de Tunis a rejeté la demande de libération des six autres accusés dans le cadre de l’affaire du complot : Jaouhar Ben Mbarek, Khayyam Turki, Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhaj et Abdelhamid Jelassi.
En septembre 2023, les autorités ont ouvert une procédure judiciaire séparée à l’encontre des avocat·e·s Dalila Msaddek Ben Mbarek et Islam Hamza, tous deux membres du comité de défense, pour des commentaires publics qu’ils ont faits au sujet de l’affaire dans des émissions de radio. Ils font l’objet d’une enquête pour diffusion de fausses informations au titre du Décret-loi n° 54 relatif à la cybercriminalité.
Le 14 février 2023, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est dit préoccupé par la récente vague d’arrestations visant des figures de la société civile et des personnes considérées comme des opposants, ainsi que par les attaques persistantes des autorités tunisiennes contre le pouvoir judiciaire. Un porte-parole du Haut-Commissaire a de façon spécifique mentionné les poursuites pénales engagées contre « des opposants présumés » accusés de « complot contre la sécurité de l’État ». Le Haut-Commissariat a appelé les autorités tunisiennes « à respecter les normes d’une procédure régulière et d’un procès équitable dans toutes les procédures judiciaires et à libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement, y compris toute personne détenue en relation avec l’exercice de ses droits à la liberté d’opinion ou d’expression ».
Le 22 février 2023, le président Kaïs Saïed a déclaré que quiconque « osait exonérer » ce qu’il a décrit comme étant « des réseaux criminels » était fondamentalement leur « complice ». Cette déclaration, associée à la révocation arbitraire de 57 juges ordonnée par le président en 2022, contribue à renforcer le climat d’intimidation pour la magistrature.
Le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed s’est octroyé les pleins pouvoirs, invoquant des pouvoirs d’exception prévus selon lui par la Constitution tunisienne de 2014. Depuis qu’il s’est emparé du pouvoir, le président Kaïs Saïed a dissous le Parlement de l’époque, pris des décrets-lois menaçant la liberté d’expression, supervisé la rédaction d’une nouvelle Constitution, et cherché à renforcer son influence sur le pouvoir judiciaire.
Le 1er juin 2022, le président Kaïs Saïed a arbitrairement révoqué 57 magistrat·e·s accusés, notamment, de s’être abstenus d’enquêter sur des affaires de terrorisme et d’adultère et d’avoir organisé des soirées alcololisées. Le ministère de la Justice a rejeté une décision du Tribunal administratif tunisien ordonnant la réintégration de 49 d’entre eux.
Depuis le 25 juillet 2021, les autorités tunisiennes ont ouvert des enquêtes pénales contre au moins 74 figures de l’opposition et contre d’autres personnes considérées comme des ennemis du président, notamment 44 personnes accusées d’infractions liées à l’exercice de leurs droits humains.