Willie Pye, un homme noir, a été arrêté en 1993 et inculpé du meurtre de son ex-petite amie commis en 1992. L’avocat commis d’office pour le comté de Spalding a été désigné pour assurer sa défense. Il était le seul avocat de Willie Pye, et pendant la même période, il était également chargé de représenter quatre autres accusés qui encouraient la peine de mort et des centaines d’autres personnes poursuivies pour des infractions non passibles de cette peine.
Comme l’a souligné une juridiction fédérale en 2021, selon sa comptabilité, cet avocat a passé environ 150 heures sur la préparation du procès de Willie Pye (un peu plus de 200 heures au total en comptant les audiences et le procès en lui-même).
L’Association des avocats américains (ABA) a souligné qu’il fallait généralement au moins 10 fois ce temps de travail pour assister comme il se doit une personne accusée dans une affaire allant jusqu’au procès où la peine capitale est encourue. Après que le jury a déclaré Willie Pye coupable des faits qui lui étaient reprochés, le procès est passé à la phase consacrée à la détermination de la peine. Cette audience a duré une matinée et abouti à une condamnation à mort.
La Loi relative à la répression du terrorisme et à l’application de la peine de mort (AEDPA), visant notamment à faciliter les exécutions, est entrée en vigueur en 1996. La Cour suprême des États-Unis a indiqué que, en vertu de l’AEDPA, les tribunaux fédéraux doivent « appliquer une norme de déférence très élevée lorsqu’il s’agit d’évaluer les jugements rendus par les tribunaux des États, ce qui nécessite que l’on accorde le bénéfice du doute aux décisions de ces juridictions ».
Même avant cette loi, lorsque des juridictions fédérales traitaient des recours pour insuffisance de l’assistance juridique d’une personne condamnée, « l’examen judiciaire du travail de la défense [devait] se faire avec un niveau élevé de déférence ». L’AEDPA a ajouté une deuxième exigence de déférence, les révisions judiciaires par la justice fédérale devant être « doublement déférentes », selon la Cour suprême.
En 1998, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a conclu que cette loi compromettait davantage encore la mise en œuvre du droit à un procès équitable au regard du droit international. Elle a contribué à des injustices manifestes, notamment en Géorgie.
En 2021, un collège de trois juges de la cour d’appel fédérale du 11e circuit a estimé à l’unanimité que le cas de Willie Pye faisait partie des rares situations dans lesquelles, aux termes de l’AEDPA, un recours pour insuffisance de l’assistance juridique qui a été rejeté par la justice d’un État justifie un réexamen par la justice fédérale.
Ces juges ont considéré que l’analyse du tribunal d’État reposait sur des jugements factuels déraisonnables et sur une application déraisonnable du droit fédéral, ce qui autorisait la cour fédérale d’appel à réexaminer entièrement le recours. Ils ont jugé qu’il était assez évident que l’avocat du procès n’avait pas fourni une assistance suffisante au regard de la Constitution car il n’avait étudié qu’extrêmement rapidement les circonstances atténuantes, notamment en ne faisant pas le nécessaire pour obtenir une évaluation de la santé mentale de l’accusé.
En conséquence de ses recherches « dérisoires », le jury n’a été informé de presque aucune des « circonstances fortement atténuantes » présentées en appel, notamment du fait que Willie Pye avait un fonctionnement intellectuel inférieur à la moyenne, était atteint de lésions cérébrales au niveau du lobe frontal et souffrait d’une grave dépression, et de son enfance traumatisante marquée par « des violences physiques et psychologiques quasi constantes, une négligence parentale extrême, l’exposition à des dangers et une grande pauvreté » qui avaient « imprégné » son quotidien lorsqu’il était enfant ainsi que sa « vie adulte troublée ».
La Cour suprême des États-Unis avait reconnu bien avant le procès de Willie Pye la validité des violences subies pendant l’enfance comme circonstance atténuante dans les affaires où l’accusé encourt la peine capitale. Le collège de juges du 11e circuit a observé que les éléments présentés en appel « brossaient un portrait très différent » de celui fourni au jury lors du procès. Selon lui, Willie Pye avait donc subi un préjudice en raison de l’insuffisance de sa défense et avait droit à une nouvelle audience de détermination de la peine.
Le parquet de l’État a demandé un réexamen du recours par l’ensemble des juges du 11e circuit, qui a annulé la décision du collège de trois juges en 2022. La juridiction réunie dans sa globalité n’a pas contesté le fait que l’avocat n’avait pas préparé suffisamment le procès, mais elle a estimé que Willie Pye n’avait pas démontré que son cas faisait partie des rares situations justifiant un réexamen par la justice fédérale aux termes de l’AEDPA. Deux des juges ont rendu un avis dissident, et deux autres se sont joints à l’avis majoritaire « en dépit de certaines réserves ».
Les juges minoritaires ont relevé que « l’avis majoritaire ne défend[ait] pas le travail de l’avocat lors du procès » et ont accusé la majorité de rendre l’ordonnance d’habeas corpus « illusoire, même impossible, à obtenir » et de priver Willie Pye de la « deuxième chance qu’il mérit[ait] de convaincre un jury d’épargner [sa vie] ».
Au moment de son procès, la Géorgie était le seul État des États-Unis qui interdisait l’exécution de personnes atteintes de déficience intellectuelle, ce qui rend encore plus criante la défaillance de son avocat qui n’a pas étudié cette question. En 2002, la Cour suprême fédérale a enfin décidé d’interdire catégoriquement le recours à la peine de mort contre ces personnes. Les avocats actuels de Willie Pye ont présenté des éléments attestant de sa déficience intellectuelle.
Pour démontrer un tel handicap, une personne accusée doit apporter la preuve (1) que son fonctionnement intellectuel est nettement inférieur à la moyenne (un QI inférieur à 70-75), (2) qu’elle a des difficultés d’adaptation qui y sont liées et (3) que celles-ci se sont manifestées avant l’âge de 18 ans.
La Géorgie est le seul État du pays à requérir que la déficience intellectuelle soit prouvée au-delà de tout doute raisonnable. Il est incontestable que Willie Pye a un fonctionnement intellectuel nettement inférieur à la moyenne, avec un QI de 68, et ses bulletins scolaires et le témoignage d’enseignants l’ayant connu indiquent que cette déficience s’est manifestée avant l’âge de 18 ans.
Le seul point de désaccord porte sur les difficultés d’adaptation car l’accusation a présenté une experte qui a convenu que Willie Pye en avait sans aucun doute, mais que ces difficultés n’étaient pas assez lourdes pour correspondre au second aspect d’une évaluation de la déficience intellectuelle. En vertu du principe extrêmement strict du « doute raisonnable », cela suffisait pour maintenir la condamnation à mort de Willie Pye.
Depuis 1976, 1 584 personnes ont été exécutées aux États-Unis, dont 76 en Géorgie. La dernière exécution réalisée dans cet État a eu lieu le 29 janvier 2020.
Amnesty International s’oppose catégoriquement à la peine de mort, en toutes circonstances. Selon le droit international relatif aux droits humains et les normes connexes, toute personne passible de la peine de mort doit bénéficier d’une « assistance judiciaire appropriée à tous les stades de la procédure », et toute violation des garanties d’équité des procès prévues par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques rend une condamnation à mort arbitraire. Le droit international interdit également l’exécution de personnes présentant une déficience intellectuelle.