Pakistan continue d’être un pays dangereux pour les collaborateurs des médias et les défenseurs des droits humains. Des représentants de l’État et d’autres personnes tentent de faire taire la critique par des menaces, des manœuvres d’intimidation, des enlèvements et des homicides. Selon la Fédération internationale des journalistes, cinq journalistes ont été tués au Pakistan en 2016. Le 8 mai 2016, Khurram Zaki, défenseur des droits humains et rédacteur du site Internet Let Us Build Pakistan, a été abattu à Karachi. Il avait mené une campagne contre Maulana Abdul Aziz, imam de la mosquée Lal Masjid (« mosquée rouge ») d’Islamabad, connu pour ses discours anti-chiites et son soutien au groupe armé qui s’est autoproclamé État islamique (EI).
Dans l’immense majorité des cas qu’Amnesty International a examinés, les autorités pakistanaises n’ont pas mené d’enquête rapide, impartiale, indépendante et approfondie sur les atteintes aux droits humains dont des journalistes avaient été victimes, ni amené les auteurs présumés de ces agissements à rendre des comptes. En avril 2014, Hamid Mir, présentateur de Capital Talk, une émission diffusée sur la chaîne de télévision privée Geo News, a été blessé par balle à Karachi. Il avait critiqué l’armée, notamment son rôle dans des disparitions forcées au Baloutchistan. Ses collègues et lui avaient accusé des militaires de haut grade des Services du renseignement (ISI) d’avoir commandité l’agression. Lorsque ces accusations ont été évoquées sur Geo News, la chaîne a été suspendue d’antenne. Elle est restée inaccessible dans différentes zones du pays pendant des semaines.
Peu après, le Premier ministre a créé une commission judiciaire de haut niveau chargée d’établir les faits, d’identifier les auteurs présumés et de déterminer les responsabilités. Celle-ci a rendu son rapport le 18 décembre 2015 mais il n’a pas été rendu public. Cependant, des copies sont apparues sur les réseaux sociaux en avril 2016. La commission n’a pas pu identifier les auteurs présumés avec suffisamment de certitude ni déterminer les responsabilités de personnes, groupes ou organisations. Toutefois, dans son rapport, elle a pointé du doigt le fait que les organes chargés de l’application des lois avaient totalement failli à leur devoir de mener immédiatement une enquête digne de ce nom. En outre, elle a approuvé les recommandations du groupe de travail spécial de la Coalition pakistanaise sur la sécurité des médias (PCOMS) concernant les enquêtes sur les agressions contre des collaborateurs des médias, à savoir nommer un procureur spécial, créer une unité d’aide juridique, une unité de soutien psychologique aux familles et une unité d’enquête préliminaire – recommandations qu’il convient d’examiner au niveau adéquat. Le gouvernement ne les a pas encore suivies.
La Constitution pakistanaise, tout en garantissant les droits à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, impose tout un éventail de restrictions formulées de manière floue. Ces restrictions, qui vont au-delà de ce que le droit international relatif aux droits humains autorise, sont considérées comme des mesures raisonnables prévues par la loi pour protéger la gloire de l’islam, garantir l’intégrité, la sécurité ou la défense du Pakistan ou de toute partie de son territoire, et maintenir des relations cordiales avec des États étrangers. Le dernier motif a été utilisé à la suite de la couverture médiatique dont ont fait l’objet la réaction pakistanaise face à l’intervention saoudienne au Yémen en mai 2015 et la bousculade qui a eu lieu en septembre 2015 lors du pèlerinage annuel de La Mecque et a fait plus de 2 000 morts. L’Autorité pakistanaise de réglementation des médias électroniques (PEMRA) a mis en garde les médias contre la diffusion d’informations jugées critiques à l’égard de l’Arabie saoudite. Un avertissement similaire a été formulé en janvier 2016, sur fond de tensions politiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran. À chaque fois, la PEMRA a invoqué l’article 19 de la Constitution.
Cinq défenseurs des droits humains ont été victimes d’une disparition forcée en janvier 2017. Quatre d’entre eux ont été relâchés trois semaines plus tard mais on ignore toujours ce qu’il est advenu de Samar Abbas et où il se trouve. De nombreux blogueurs et journalistes ont décidé de s’autocensurer de crainte d’être pris pour cible. Certains médias et groupes religieux tentent désormais d’établir un lien entre des défenseurs des droits humains et du contenu « blasphématoire » diffusé sur Internet, ce qui est un outil nouveau et particulièrement dangereux pour contrer les dissidents politiques.