En vertu de la loi en vigueur relative à l’exécution des peines et aux mesures de sécurité, les détenu·e·s peuvent prétendre à une libération conditionnelle après avoir purgé deux tiers de leur peine. Le projet de loi censé être adopté par le Parlement dans les jours à venir permettrait aux prisonniers et prisonnières de bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir purgé la moitié de leur peine. En vertu de cette nouvelle loi, les femmes enceintes et les détenu·e·s âgés de plus de 60 ans ayant des problèmes de santé avérés seront placés en résidence surveillée.
Seules les personnes déclarées coupables de certains crimes, notamment sur la base d’accusations de terrorisme, ne pourront prétendre à des réductions de peine. Le projet de loi ne s’applique pas aux personnes se trouvant en détention provisoire ou dont la condamnation a été frappée d’appel. Il est prévu que cette mesure soit introduite dans le cadre du troisième paquet de réforme relevant de la stratégie de réforme judiciaire annoncée par le gouvernement l’été dernier.
En Turquie, la législation relative à la lutte contre le terrorisme est vague et utilisée de manière abusive dans des affaires inventées de toutes pièces contre des journalistes, des militant·e·s politiques de l’opposition, des avocat·e·s, des défenseur·e·s des droits humains et d’autres personnes exprimant des opinions dissidentes. Comme nous l’avons constaté dans le grand nombre de procès que nous avons suivis, beaucoup de personnes sont maintenues en détention provisoire et beaucoup sont déclarées coupables d’infractions liées au terrorisme pour avoir simplement exprimé des opinions dissidentes, sans qu’il soit prouvé qu’elles aient incité ou recouru à la violence, ou assisté des organisations interdites.
Figurent parmi ces personnes Ahmet Altan, journaliste et romancier connu, Selahattin Demirtaş, politicien kurde, et Osman Kavala, homme d’affaires et figure de la société civile, ainsi que de nombreux autres intellectuel·le·s, défenseur·e·s des droits humains et journalistes. Selahattin Demirtaş a précédemment fait état de ses problèmes cardiaques en prison, et Ahmet Altan et Osman Kavala ont tous deux plus de 60 ans, ce qui signifie qu’ils sont particulièrement vulnérables face aux risques posés par le COVID-19. Ces personnes n’auraient jamais dû être placées en détention, et les empêcher de bénéficier de cette mesure ne ferait qu’exacerber les graves violations qu’elles subissent déjà.
Le droit à la santé est garanti par plusieurs traités relatifs aux droits humains. L’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels considère que « le traitement des maladies épidémiques, endémiques, professionnelles et autres, ainsi que la lutte contre ces maladies » relèvent du droit à la santé. Dans le contexte de la propagation d’une épidémie, cela inclut l’obligation faite aux États de garantir que des soins, des articles, des services et des informations de prévention soient disponibles et accessibles par tous et toutes.
Au titre du droit à la santé, les équipements, établissements et services de santé doivent être disponibles en quantité suffisante sur le territoire national ; accessibles à tous sans discrimination ; respectueux de l’éthique médicale et acceptables sur le plan culturel ; ainsi qu’appropriés sur le plan scientifique et médical, et de bonne qualité. Pour que ces biens soient considérés comme « accessibles », tout le monde doit pouvoir en bénéficier, en particulier les groupes les plus vulnérables ou marginalisés de la population ; ils doivent se trouver à une distance physique qui soit sans danger pour l’ensemble des catégories de la société ; et ils doivent être abordables pour tous. Ce droit recouvre aussi la possibilité de se procurer des informations en matière de santé.
En vertu de ses engagements relatifs au droit international relatif aux droits humains, la Turquie est clairement tenue de prendre les mesures qui s’imposent afin de garantir le droit à la santé de tous les détenu·e·s sans discrimination. Le gouvernement et le Parlement doivent respecter le principe de non-discrimination dans le cadre des mesures adoptées afin de réduire les risques sanitaires en prison, qui sont élevés. Ce projet de loi aura pour effet d’exclure certains détenu·e·s de mesures de libération parce qu’ils ont critiqué le gouvernement.
Des milliers de personnes se trouvent derrière les barreaux pour avoir simplement exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Elles sont désormais également confrontées à un risque sans précédent pour leur santé