Après la disparition d’Ebrahim Babaei, les passeurs ont dit dans un premier temps à sa famille qu’il se trouvait dans la ville de Van, en Turquie. Quelques jours plus tard, ils ont affirmé qu’il était mort chez l’un des passeurs, près de Van, et que son corps était entre les mains de la police turque, qui l’avait transféré dans un hôpital où une autopsie avait été pratiquée. Les passeurs ont finalement livré un autre récit à sa fille Shima Babaei, et lui ont dit qu’il était mort à Ozalp, un village turc reculé situé à une quinzaine de kilomètres de la frontière avec l’Iran, et qu’elle devait venir y chercher sa dépouille. L’avocat de la famille en Turquie a fait des démarches auprès des morgues, des hôpitaux et des forces de police et de sécurité de Van, du conseil municipal et de la police d’Ozalp, ainsi que des gardes-frontières turcs. Ces autorités ont assuré n’avoir reçu aucun corps correspondant à la description d’Ebrahim Babaei pendant cette période, ajoutant que, d’après les résultats de leurs investigations, Ebrahim Babaei n’était jamais entré en Turquie.
Par le passé, l’exercice pacifique de ses droits humains a valu à Ebrahim Babaei des années d’arrestations et de détentions arbitraires, de procès iniques, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements en Iran. Il a été arrêté pour la première fois à Sari, dans la province du Mazandéran, le 2 février 1984. Il a passé 16 mois dans la prison de Sari après avoir été déclaré coupable de fausses accusations liées à la sécurité nationale, pour avoir lu des tracts « hostiles à la République islamique » et avoir été en possession de livres interdits. Au cours des 20 années qui ont suivi, il a été convoqué à maintes reprises pour être interrogé sur ses activités politiques et retenu pendant plusieurs heures à chaque fois.
Ebrahim Babaei a de nouveau été arrêté le 7 février 2010, pour avoir participé pacifiquement à des manifestations en décembre 2009. Il a été enfermé dans une « planque » pendant plusieurs jours avant d’être transféré à la prison d’Evin, à Téhéran, où il a été détenu à l’isolement prolongé pendant environ quatre mois et a fait l’objet de transferts entre les sections 209 et 240, et l’unité générale de la prison. Sa santé s’est détériorée pendant sa détention, car il a été privé des soins médicaux spécifiques dont il avait besoin, notamment pour une blessure chronique à la jambe subie pendant son service militaire au cours de la guerre Iran-Irak. Il ne pouvait se déplacer sans dispositif d’aide à la marche et l’assistance d’autres détenus. Il a été libéré sous caution vers le mois de décembre 2010. Peu de temps avant cette libération, il a été déféré à un tribunal révolutionnaire siégeant à Téhéran, pour répondre d’accusations liées à sa participation pacifique aux manifestations de décembre 2009.
En 2011, alors qu’il était encore en liberté sous caution, il a été condamné à cinq ans, neuf mois et un jour d’emprisonnement et à 74 coups de fouet pour « rassemblement et collusion en vue de commettre des crimes contre la sécurité nationale », « diffusion de propagande contre le régime » et « trouble à l’ordre public ». Il a de nouveau été arrêté en octobre 2011 pour commencer à purger sa peine. Il a passé une partie de sa peine d’emprisonnement en « exil intérieur » dans la prison de Rajai Shahr, à Karaj, dans la province d’Alborz, et le reste à la prison d’Evin. Sa condamnation à 74 coups de fouet a été appliquée le 13 août 2013 à la prison d’Evin. Il a été libéré en septembre 2013, après avoir été gracié en raison de son état de santé.
Pendant qu’il était incarcéré à la prison de Rajai Shahr, Ebrahim Babaei a découvert qu’une autre affaire avait été intentée contre lui sans qu’il n’en soit informé, et qu’il avait été condamné par contumace à une peine de cinq ans d’emprisonnement avec sursis pour des activités pacifiques menées en prison. Il lui était notamment reproché d’avoir pris part à des grèves de la faim collectives observées par des codétenus incarcérés pour des raisons politiques, et rédigé des déclarations communes sur les conditions carcérales. En septembre 2018, il a également été condamné à 74 coups de fouet dans le cadre d’une autre affaire, en raison du soutien qu’il avait apporté à sa fille Shima Babaei, militante des droits des femmes qui faisait campagne contre les lois abusives et discriminatoires sur le port obligatoire du voile en Iran. Au cours des mois qui ont précédé sa tentative de fuite d’Iran, il a vécu dans la clandestinité, craignant que les autorités ne cherchent à le localiser, à l’arrêter et à appliquer ses peines en instance.
La disparition forcée, qui constitue un crime en vertu du droit international, est l’arrestation, la détention ou l’enlèvement d’une personne par des agents de l’État, ou des personnes agissant avec l’autorisation, l’appui ou le consentement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi.
Les lieux de détention secrète non officiels en Iran échappent totalement à la protection de la loi et facilitent les disparitions forcées et d’autres crimes de droit international et violations des droits humains, notamment la torture et les autres formes de mauvais traitements. Il s’agit souvent de maisons ou d’immeubles d’habitation reconvertis illégalement en lieux de détention par les services de renseignement et de sécurité, le plus souvent par le ministère du Renseignement ou le service de renseignement des pasdaran (gardiens de la révolution). Ces centres de détention secrets ne sont pas enregistrés auprès de l’Organisation des prisons et les personnes détenues et leurs proches ne parviennent jamais à savoir à quel endroit précis elles se trouvent. Les membres des services de sécurité et de renseignement les appellent familièrement des « planques » (khanehay-e amn).
La détention de personnes dans de tels lieux est rendue possible par un cadre juridique déficient, qui ne permet pas d’assurer une surveillance appropriée de l’ensemble des prisons et centres de détention et ainsi de garantir que les autorités présumées responsables de violations des droits humains aient à rendre des comptes.