Écrire Un photoreporter cachemiri encourt la perpétuité

Kamran Yousuf a été inculpé de plusieurs infractions pénales, notamment de « faits de guerre contre le gouvernement indien ». Ces accusations se fondent sur le fait qu’il n’aurait couvert que des manifestations violentes au Cachemire, se désintéressant des « activités de développement ». Maintenu en détention provisoire depuis plus de cinq mois, il encourt la détention à perpétuité s’il est reconnu coupable.

Kamran Yousuf, journaliste indépendant, a été arrêté le 4 septembre 2017 à Pulwama, au Cachemire, en lien avec une affaire de financement présumé d’actes liés au terrorisme et des accusations selon lesquelles il aurait jeté des pierres sur les forces de sécurité. Le 18 janvier 2018, l’Agence nationale d’enquêtes (NIA) l’a inculpé officiellement, avec 11 autres personnes, d’infractions inscrites dans le Code pénal indien et la Loi relative à la prévention des activités illégales (UAPA), notamment de « complot criminel », « guerre contre le gouvernement indien », « activitiés illégales » et « appartenance à une organisation terroriste ».

S’il est déclaré coupable de ces accusations, Kamran Yousuf, 20 ans, encourt la réclusion à perpétuité.

D’après l’acte d’inculpation de la NIA, Kamran Yousuf a été « impliqué dans plusieurs incidents de jets de pierres » et entretenait des liens avec des « organisations terroristes » et les autres accusés. Les principaux éléments de preuve mis en avant portent sur le fait que son téléphone portable a été « localisé de manière récurrente sur les lieux d’opérations antiterroristes ». Cependant, la NIA a reconnu qu’il couvrait les manifestations antigouvernementales pour publier ses reportages dans les médias, et que la plupart des numéros dans son portable étaient ceux de ses amis, de confrères journalistes et de membres des forces de sécurité.

La NIA a déclaré que Kamran Yousuf n’était pas « un vrai journaliste », car il ne s’était pas acquitté du « devoir moral d’un journaliste » en couvrant les actions que mène le gouvernement en matière de développement et de politique. Ses avocats ont souligné que couvrir des manifestations est une activité journalistique légitime, ajoutant qu’il avait couvert plusieurs autres événements, y compris des activités du gouvernement. En outre, l’acte d’inculpation ne présente aucun élément de preuve attestant qu’il était membre d’une « organisation terroriste ».

Kamran Yousuf a travaillé pour plusieurs organes de presse au Cachemire, sur divers sujets. Dans le cadre de son travail, il s’est rendu sur divers lieux de manifestations et a des contacts variés. Amnesty International estime que les accusations portées à son encontre sont forgées de toutes pièces et motivées par des considérations politiques, et s’inscrivent dans le cadre d’une manœuvre visant à baillonner le journalisme au Cachemire. Sa demande de remise en liberté sous caution sera examinée lors d’une audience le 27 février. Le tribunal spécial créé à Delhi pour examiner les affaires de la NIA doit décider des accusations définitives, avant le procès, le 8 mars.

Kamran Yousuf, photojournaliste indépendant, a commencé à travailler avec des médias locaux dans l’État de Jammu-et-Cachemire en 2014. En 2017, il s’est démarqué en couvrant les manifestations antigouvernementales dans cet État. Le Comité pour la protection des journalistes, Reporters sans frontières, la Guilde des rédacteurs du Cachemire, la Kashmir Working Journalists Association et plusieurs journalistes de renom ont appelé à la libération de Kamran Yousuf et ont critiqué les commentaires de la NIA sur les activités qui constituent le « vrai » journalisme.

La liberté de la presse est de plus en plus menacée en Inde depuis quelques années. Les journalistes subissent des attaques ciblées, des actes d’intimidation, de répression et de détention arbitraire au titre de lois draconiennes telles que la Loi relative à la prévention des activités illégales, prinicpale loi antiterroriste en Inde. Plusieurs groupes de défense des droits humains ont signalé à plusieurs reprises des cas où la Loi relative à la prévention des activités illégales avait été utilisée de manière abusive. Ainsi, des militants exerçant pacifiquement leurs droits aux libertés d’expression et d’association ont été placés en détention sur la base d’éléments de preuve fabriqués de toutes pièces et de fausses accusations.

Certaines dispositions de ladite Loi sont contraires aux normes internationales relatives aux droits humains et sont susceptibles de conduire à des violations de ces droits. Par exemple, ce texte amoindrit les pièces nécessaires à une condamnation et propose une définition large des « actes de terrorisme » et de l’« appartenance » à des organisations « illégales ».

La liberté de la presse au Cachemire est particulièrement menacée. En octobre 2016, le gouvernement de l’État de Jammu-et-Cachemire a interdit pendant trois mois la publication de Kashmir Reader, quotidien anglophone, au motif qu’il menaçait la « tranquillité publique ». Les autorités exercent des pressions sur les journalistes et les sociétés de presse pour qu’ils traitent certains sujets sous un angle qu’elles jugent approprié.

En octobre 2017, le ministère de l’Intérieur a adressé une lettre à de hauts responsables du gouvernement de l’État de Jammu-et-Cachemire et de la police d’État, affirmant : « Il est entendu que certains journaux au Jammu-et-Cachemire publient des contenus fortement radicalisés... La publication d’articles hostiles à la nation dans les journaux de l’État doit être traitée avec fermeté. En outre, ces journaux ne doivent pas bénéficier d’un quelconque soutien du gouvernement de l’État sous forme de publicités. »

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