Les témoins de Jéhovah sont la cible de persécutions et d’actes de harcèlement en Russie depuis qu’un tribunal de la région administrative de Rostov (sud de la Russie), en 2009, a interdit leur organisation locale et a déclaré « extrémistes » 34 de leurs publications. Les années suivantes, plusieurs groupes, un peu partout en Russie, ont été déclarés « extrémistes » par des tribunaux locaux. Fondées sur la définition floue de l’« extrémisme » figurant dans le droit russe, ces décisions relèvent d’une pratique croissante consistant à invoquer cette notion pour cibler des personnes dont les autorités ne partagent pas les opinions, notamment politiques, mais aussi religieuses.
En avril 2017, la Cour suprême de Russie s’est prononcée en faveur de la fermeture de l’organisation des témoins de Jéhovah en Russie, de la cessation de ses activités et de la saisie de ses biens. Tous les groupes locaux ont donc été interdits de fait. Depuis lors, toute activité menée pour un groupe local de témoins de Jéhovah est considérée comme une infraction.
Dennis Christensen, un ressortissant danois vivant en Russie depuis plus de 20 ans, a été arrêté un mois après l’arrêt de la Cour suprême de 2017, devenant ainsi le premier témoin de Jéhovah à être incarcéré en Russie après l’interdiction. Le 6 février 2019, le tribunal du district de Jeleznodorojnyi (Orel) a déclaré Dennis Christensen coupable d’avoir « organisé les activités d’une organisation extrémiste » (article 282.2 (1) du Code pénal russe) et l’a condamné à six ans d’emprisonnement. Selon l’accusation, il organisait un culte local de témoins de Jéhovah. Le fait qu’il ait recueilli des dons et géré le nettoyage des locaux utilisés par les fidèles a été cité à titre de preuve de sa « culpabilité ».
Le 23 mai, le tribunal régional d’Orel a confirmé sa condamnation et il a été transféré à la colonie pénitentiaire n° 3 dans la région de Koursk, à quelque 200 kilomètres de la ville d’Orel, où il vit.
Sur place, Dennis Christensen a semble-t-il été victime de harcèlement de la part de la direction de la colonie pénitentiaire, notamment par le biais de réprimandes arbitraires pour de prétendues violations. Ses précédentes demandes de libération conditionnelle ou d’assouplissement de son régime de détention ont été rejetées.
Bien qu’il ne soit pas totalement rétabli après avoir souffert d’une pneumonie fin 2019, l’administration pénitentiaire ne lui fournit pas les soins médicaux que son état nécessite, et a semble-t-il « égaré » son dossier médical. Le 23 juin, le tribunal du district de Lgov a statué que Dennis Christensen devait être libéré et s’acquitter d’une amende de 400 000 roubles (environ 5 000 euros) pour couvrir le restant de sa peine. Deux jours plus tard, il a été fait appel de cette décision et Dennis Christensen attend désormais que la date de son audience en appel soit fixée.
En juin 2017, Dennis Christensen a porté plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à propos de son arrestation. Le royaume du Danemark est intervenu dans le cas Christensen c. Russie en qualité de tierce partie. À la connaissance d’Amnesty International, cette plainte a dépassé le stade de la transmission.
Selon les données fournies par l’organisation des témoins de Jéhovah, depuis la condamnation de Dennis Christensen, les représailles contre ses membres en Russie se sont intensifiées. Au 1er juillet, au moins 353 témoins de Jéhovah faisaient l’objet de poursuites pour « extrémisme » et quelque 170 personnes se trouvaient en détention provisoire. Dix personnes ont été reconnues coupables. Au moins 25 personnes se trouvaient en détention provisoire et 24 étaient assignées à domicile. Au moins 973 logements de témoins de Jéhovah ont été perquisitionnés depuis la décision rendue par la Cour suprême en 2017, dont 176 en 2020, en pleine pandémie de COVID-19.
Amnesty International considère la décision des autorités russes de criminaliser les enseignements et les pratiques des témoins de Jéhovah comme une mesure arbitraire et discriminatoire et une violation du droit à la liberté de religion. Elle a appelé les autorités à annuler ces décisions. Elle a également souligné à plusieurs reprises que la législation russe en matière de lutte contre l’extrémisme était souvent appliquée de manière arbitraire et a appelé les autorités à revoir la législation et les pratiques en vigueur et à les mettre en conformité avec les normes internationales.
Amnesty International considère que Dennis Christensen et tous les témoins de Jéhovah privés de liberté uniquement pour avoir exercé sans violence leur droit de pratiquer la religion de leur choix sont des prisonniers d’opinion. Ces personnes doivent être libérées immédiatement et sans condition, leurs condamnations doivent être annulées et toutes les charges retenues contre elles doivent être abandonnées.