En mars 2018, presque cinq ans avant l’arrestation de Manahel al Otaibi, le prince héritier Mohamed bin Salman a déclaré lors d’une interview télévisée que « la tenue des femmes doit être décente et respectueuse, comme celle des hommes », mais que la loi « ne précise pas particulièrement qu’elles doivent porter une abaya noire ou un voile noir », et que « la décision est laissée entièrement aux femmes quant au type de tenue décente et respectueuse qu’elles choisissent de porter ».
Le dossier de Manahel al Otaibi a été traité dans un premier temps par le tribunal pénal de Riyadh. Le 23 janvier 2023, celui-ci a estimé qu’il n’avait pas compétence pour juger cette affaire et l’a renvoyée devant le Tribunal pénal spécial, qui siège également dans la capitale saoudienne. Le Tribunal pénal spécial utilise régulièrement des dispositions floues de la législation sur la cybercriminalité et la lutte contre le terrorisme qui assimilent l’expression pacifique d’opinions à du « terrorisme ». Amnesty International a recueilli des informations attestant que chaque étape de la procédure judiciaire devant le Tribunal pénal spécial est entachée de violations des droits humains.
Les deux sœurs de Manahel al Otaibi ont également été poursuivies pour des « infractions » découlant de leur mobilisation en faveur des droits des femmes. Dans le dossier d’accusation de Manahel al Otaibi, le procureur du tribunal pénal de Riyadh a accusé sa sœur Fawzia de mener une « campagne de propagande pour inciter les filles saoudiennes à dénoncer les principes religieux et à se rebeller contre les coutumes et traditions de la culture saoudienne », parce qu’elle a utilisé un hashtag qui « promeut la libération et la fin de la tutelle masculine ».
Ce document de procédure examiné par Amnesty International indique qu’une ordonnance distincte sera émise pour l’arrestation de Fawzia al Otaibi. Leur autre sœur, Mariam, une militante bien connue pour ses prises de position contre la tutelle masculine dans le pays, a été inculpée et détenue par le passé pour avoir défendu les droits des femmes et elle est actuellement soumise à une interdiction de voyager.
Dans une affaire similaire à celle de Manahel al Otaibi, le 25 janvier 2023, le Tribunal pénal spécial a de nouveau condamné Salma al Shehab, étudiante en doctorat à l’université de Leeds et mère de deux enfants, à 27 ans de réclusion suivis de 27 ans d’interdiction de voyager en appel. Il l’a déclarée coupable d’infractions liées au terrorisme à l’issue d’un procès d’une iniquité flagrante, pour avoir publié des tweets soutenant les droits des femmes.
À la mi-2021, la quasi-totalité des défenseur·e·s des droits humains, des défenseur·e·s des droits des femmes, des journalistes indépendants, des écrivain·e·s et des militant·e·s du pays étaient détenus arbitrairement, faisaient l’objet de procès iniques prolongés – la plupart du temps devant le Tribunal pénal spécial – ou avaient été libérés sous des conditions comprenant des interdictions de voyager et d’autres restrictions arbitraires de leurs droits fondamentaux, comme le droit de militer pacifiquement.
Au 31 janvier 2024, Amnesty International avait rassemblé des informations sur les cas d’au moins 69 personnes poursuivies pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, parmi lesquelles des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques pacifiques, des journalistes, des poètes et des dignitaires religieux, dont 32 pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions sur les réseaux sociaux. Le nombre réel des procédures engagées à ce titre est probablement beaucoup plus élevé.