Écrire La victime d’une séance de torture filmée manque toujours à l’appel : Salman Tepsourkaïev

On ignore où se trouve Salman Tepsourkaïev, modérateur de la chaîne Telegram 1ADAT, média connu pour ses critiques à l’égard des autorités tchétchènes, près d’un an après son enlèvement à Guelendzhik, dans la région de Krasnodar (sud de la Russie), le 6 septembre 2020.

Ce n’est qu’en novembre 2020 que le service des enquêtes de Guelendzhik a ouvert une enquête sur cette affaire. En mai 2021, les investigations ont été confiées à des enquêteurs en Tchétchénie.

On ignore ce qui est advenu de Salman Tepsourkaïev et où il se trouve.

La chaîne 1ADAT, diffusée via Telegram (application de messagerie instantanée), a été créée au début du mois de mars 2020. Le nombre de ses abonnés a augmenté rapidement et atteint désormais plus de 18 000. Elle publie des informations faisant état de violations des droits humains, notamment de disparitions forcées, de détentions arbitraires et d’actes de torture en Tchétchénie, ainsi que des critiques sévères et des sketchs satiriques traitant des autorités tchétchènes. La chaîne a plusieurs administrateurs, qui gardent l’anonymat.

Selon le quotidien russe indépendant Novaïa Gazeta, les autorités tchétchènes tentent d’identifier les créateurs de la chaîne, ses administrateurs et ses auteurs contributeurs depuis le mois de mai 2020. En raison des précautions prises par les administrateurs de la chaîne, les tentatives des autorités ont échoué jusqu’à ce que Salman Tepsourkaïev, 19 ans, modérateur pour 1ADAT, compromette son anonymat en révélant son identité à une personne probablement infiltrée faisant partie des forces de l’ordre. Le 6 septembre, il a été enlevé à Guelendzhik, une ville de la région de Krasnodar, dans le sud de la Russie. Selon l’ONG russe Comité contre la torture, qui s’occupe de cette affaire, les témoins ont affirmé que les auteurs de l’enlèvement leur ont montré des badges d’agents du ministère de l’Intérieur.

Le 7 septembre 2020, des membres de la famille de Salman Tepsourkaïev ont établi la géolocalisation de son téléphone portable. Il a été allumé à Grozny, la capitale tchétchène, sur les lieux du régiment de la patrouille de police portant le nom de l’ancien président Akhmat Kadyrov. Ce régiment a été à de nombreuses reprises accusé d’avoir perpétré des violations des droits humains, notamment des disparitions forcées, des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires. En particulier, en 2017-2021, Novaïa Gazeta a publié des enquêtes sur l’implication du régiment dans l’exécution extrajudiciaire collective de 27 hommes tchétchènes, en janvier 2017.

Le soir du 7 septembre, une vidéo a été diffusée sur les réseaux sociaux, dans laquelle on voit Salman Tepsourkaïev soumis à des violences sexuelles, à titre de « représailles » pour sa collaboration avec 1ADAT. Au moins trois autres vidéos montrant Salman Tepsourkaïev ont été publiées sur Instagram au cours des quelques jours suivants. Depuis lors, on ignore ce qui est arrivé à Salman Tepsourkaïev et où il se trouve. Le 14 septembre, des défenseur·e·s des droits humains du Comité contre la torture ont fait un signalement de crime aux Comités d’instruction de la région de Krasnodar et de la République tchétchène. Ils ont aussi mené leur propre enquête. Ils ont notamment trouvé des enregistrements de vidéosurveillance montrant clairement les auteurs de l’enlèvement de Salman Tepsourkaïev, images qui auraient pu être utiles afin de les identifier ; ils ont aussi établi les numéros d’immatriculation des véhicules utilisés par ces personnes, et déterminé que l’un des véhicules appartenait à un policier tchétchène. Ils ont également découvert que peu avant l’enlèvement, un policier du poste de police n° 1 de Grozny avait téléphoné à Salman Tepsourkaïev.

Ces éléments ont été transmis aux enquêteurs. Il n’y a cependant pas eu d’avancée notable, et l’enquête sur l’enlèvement de Salman Tepsourkaïev a seulement été ouverte le 27 novembre 2020, par le service d’enquête de Guelendzhik. Le 28 mai 2021, le dossier a été confié à la République tchétchène aux fins d’un complément d’enquête, au motif que « la majorité des témoins et personnes impliquées dans de crime se trouvent sur le territoire tchétchène ».

Depuis l’arrivée au pouvoir de Ramzan Kadyrov (qui a été nommé par le Kremlin), la Tchétchénie est le théâtre de nombreuses violations des droits humains, dont les auteurs agissent dans une impunité quasi totale, et la liberté d’expression y est réprimée avec brutalité depuis des années.

Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains ont relevé plusieurs cas de détracteurs du régime, notamment des défenseurs des droits humains, des journalistes et des blogueurs, qui ont été poursuivis et emprisonnés sur la base de fausses accusations, ou même enlevés et tués. Les citoyens qui osent critiquer Ramzan Kadyrov, les membres de son administration, ses proches ou ses adjoints, ceux qui se plaignent de problèmes locaux tels que la fermeture d’un hôpital, ou même ceux qui demandent de l’aide d’une façon jugée mauvaise pour l’image de la Tchétchénie (par exemple, en sollicitant une aide pour subvenir aux besoins d’une famille nombreuse) sont souvent forcés à se déshonorer et à présenter des « excuses » publiques pour leurs actions devant une caméra, pour qu’elles soient ensuite diffusées à la télévision locale ou sur les réseaux sociaux. Cette pratique s’est généralisée depuis 2015.

Les détracteurs de Ramzan Kadyrov ne sont pas non plus en sécurité à l’étranger, où beaucoup d’attaques et d’assassinats suspects qui semblaient commandités depuis la Tchétchénie ont été signalés. Le 13 janvier 2009, un ancien garde du corps de Ramzan Kadyrov l’ayant par la suite critiqué publiquement, Oumar Israïlov, dont le témoignage accusait directement le président tchétchène de torture et d’autres violations des droits humains, a été abattu à Vienne, en Autriche. Le 1er février 2020, le corps du blogueur tchétchène Imran Aliev (surnommé « Mansour le Vieux »), a été retrouvé à Lille, en France. Le 4 juillet 2020, c’est le blogueur Mamikhan Oumarov qui a été abattu en périphérie de Vienne. Ces deux hommes avaient vivement critiqué Ramzan Kadyrov et son régime. Le 26 février 2020, un autre blogueur et détracteur connu du régime, Toumso Abdourakhmanov, qui vit en exil dans un pays d’Europe tenu secret, a été attaqué avec un marteau par un intrus pendant qu’il dormait dans son appartement. Il a réussi à maîtriser son agresseur et survécu.

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