Écrire Cinquante-neuf personnes privées de liberté

Le 21 novembre, la Cour suprême du Venezuela a annulé une décision, rendue un an plus tôt, ordonnant la libération de 59 personnes de nationalité colombienne, arrêtées au cours d’une opération des forces de sécurité en 2016. Ces personnes sont toujours privées de liberté.

Les 59 personnes de nationalité colombienne détenues à La Yaguara, un quartier de Caracas, la capitale du Venezuela, n’ont toujours pas comparu devant un juge, fait l’objet d’enquêtes pénales ni été inculpées. En novembre 2017, un tribunal de contrôle (instance chargée de la procédure préliminaire) a ordonné leur libération, aucun élément ne prouvant qu’elles aient commis une infraction et aucune décision n’ayant été émise en vue de leur arrestation. De fait, les agents qui les ont arrêtées n’avaient pas présenté de mandat d’arrêt.

Ces 59 personnes ont été arrêtées arbitrairement le 1er septembre 2016 en différents endroits de la capitale du Venezuela, Caracas, dans le cadre de l’Opération Libération du peuple. Selon les informations dont dispose Amnesty International, elles ne se connaissaient pas. Le gouvernement a avancé un certain nombre de motifs pour justifier leur arrestation. Il a d’abord affirmé qu’elles appartenaient à un groupe paramilitaire colombien, puis qu’elles avaient été appréhendées parce qu’il s’agissait de migrants en situation irrégulière. Or, plusieurs de ces personnes détiennent des papiers délivrés par le Service administratif vénézuélien chargé de l’identification, de l’immigration et des étrangers (SAIME). On ignore toutefois combien d’entre elles pourraient avoir besoin d’une protection internationale.

Compte tenu de l’annulation de la décision de remise en liberté, ces 59 personnes risquent fort de continuer à subir des violations des garanties de procédure et de leur droit à un procès équitable, et de voir leur détention prolongée pour une durée indéfinie.

Ces personnes ont subi des conditions de détention insalubres et attentatoires à leur dignité : elles ont ainsi été détenues dans des cellules de fortune, sans eau potable, où elles dormaient en plein air. Des proches ont indiqué à Amnesty International qu’elles avaient contracté des problèmes de santé en détention et qu’elles ne bénéficiaient pas des soins médicaux qu’elles avaient demandés.

Le 1er septembre 2016, le président de la République du Venezuela a annoncé à la télévision nationale que 92 personnes de nationalité colombienne avaient été arrêtées dans un « camp paramilitaire » situé à 500 mètres de sa résidence officielle, le palais de Miraflores. Il a affirmé que l’intervention des forces de sécurité avait permis de déjouer une tentative de coup d’État prévue à cette date.

Ces personnes ont pourtant été appréhendées entre le 21 août et le 5 septembre 2016, en divers endroits de la capitale (Petare, Baruta, Carapita, Mamera, Catia, Avenida Fuerzas Armadas et Avenida Casanova, par exemple), parfois très éloignés du lieu où les arrestations sont censées s’être produites, selon la version officielle des événements. L’une d’elles a été arrêtée à Colonia Tovar, une ville de l’État d’Aragua, à deux heures de Caracas. Quatre autres ont été appréhendées alors qu’elles se trouvaient au siège du Service administratif chargé de l’identification, de l’immigration et des étrangers (SAIME), à Caracas, où elles s’occupaient des formalités nécessaires pour leur papiers d’identité.

Le 19 septembre 2016, elles ont toutes été transférées dans la ville de San Cristóbal, dans l’État de Táchira (à la frontière avec la Colombie), aux fins de leur expulsion, les autorités affirmant qu’il s’agissait non plus de paramilitaires mais d’étrangers en situation irrégulière.

Il est à craindre que l’arrestation de ces 92 ressortissants colombiens dans le cadre de l’Opération Libération du peuple n’ait créé un inquiétant précédent de traitement discriminatoire à l’égard des étrangers au Venezuela. En effet, dans cette affaire, les autorités n’ont respecté ni la Loi relative aux étrangers et à l’immigration, qui encadre les procédures accélérées d’expulsion de migrants sans papiers, ni la procédure établie pour le renouvellement par l’État vénézuélien des titres expirés.

Au cours de la première année, certaines de ces personnes se sont enfuies et d’autres ont été expulsées pour raisons humanitaires en raison de graves problèmes de santé. En novembre 2017, l’un des détenus, José de los Santos Hernández, 46 ans, est mort des suites d’une infection provoquée par un insecte qui s’était logé dans son oreille, infection qui n’avait pas été soignée en temps voulu.

Au 21 novembre 2017, date à laquelle la décision ordonnant leur libération sans condition a été rendue, 60 de ces ressortissants colombiens étaient toujours en détention. À la suite de la décision du juge, Martín Enrique Gutiérrez Cera, 61 ans, a été expulsé le 29 novembre 2017 pour raisons humanitaires, après avoir subi un accident vasculaire cérébral.

En conséquence, le nombre des ressortissants colombiens actuellement incarcérés s’élève à 59. Des responsables de la police nationale bolivarienne ont dit à maintes reprises à leurs avocats et à leurs proches qu’ils étaient détenus en raison « d’ordres venus d’en haut ». Quand María Ángela Olguín était ministre des Affaires étrangères en Colombie, plus de 40 communications diplomatiques concernant ce dossier ont été adressées aux autorités vénézuéliennes, sans résultat. En octobre 2018, 76 communications orales au total avaient été présentées à l’État vénézuélien au sujet de cette affaire.

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