La Tunisie doit cesser de punir les victimes de violence sexuelle

Une adolescente cible de pression qui épouse son violeur. Une femme dans l’incapacité de signaler un viol parce que son agresseur est son mari. Des hommes et des femmes agressés en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre. Ces personnes sont des victimes de violence sexuelle. Pourtant en Tunisie, au lieu de les protéger et de les soutenir, la loi les considère comme des criminels et la société les accuse d’être responsables de ces violences. D’une manière ou d’une autre, les victimes d’agressions sexuelles se voient refuser l’accès à la justice et aux soins médicaux appropriés auxquels elles ont droit. Elles n’ont personne vers qui se tourner pour obtenir de l’aide. On leur assène à longueur de temps d’assumer, de “faire avec". N’est-il pas temps que les autorités tunisiennes assument et prennent leurs responsabilités, elles aussi ? Une loi globale contre les violences sexuelles a été annoncée il y a plus d’un an, mais elle n’existe toujours pas.

Vous aussi, agissez en signant la pétition demandant au Premier ministre tunisien de donner la priorité à la lutte contre les violences sexuelles et aux violences de genre, et de veiller à ce que les victimes obtiennent les soins de santé et l’accès à la justice dont elles ont besoin.

La Tunisie est souvent présentée comme un chef de file en matière des droits des femmes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Le Code du statut personnel, adopté en 1956 et plusieurs fois modifié depuis, est considéré comme le code le plus progressiste en matière de droits des femmes dans la région. Mais malgré des progrès importants, rendus possibles grâce à un fort mouvement de défense des droits des femmes dans le pays, la réalité continue à battre en brèche ces progrès, particulièrement en ce qui concerne les violences sexuelles et les violences liées au genre.

En 2012, une femme de 27 ans, Meriem Ben Mohamed (un pseudonyme), a porté plainte pour viol contre deux policiers. Au lieu d’être soutenue et d’obtenir justice et malgré le courage dont elle a fait preuve en dénonçant ce qui lui était arrivé, Meriem s’est retrouvée accusée de « d’atteinte aux bonnes mœurs ». Les policiers ont déclaré que Meriem leur avait fait des avances après qu’ils l’aient surprise avec son fiancé, seuls dans une voiture la nuit. Les Tunisiens ont été scandalisés et ont entamé une énorme campagne de soutien en faveur de Meriam, jusqu’à ce que les charges à son encontre soient abandonnées et que les policiers soient traduits en justice. Fait sans précédent, le président alors en exercice, Moncef Marzouki, a demandé à rencontrer Meriem en personne pour lui présenter les excuses de l’État. Les policiers ont finalement été condamnés à 15 ans de prison, peine qu’ils purgent aujourd’hui.

Et Meriem n’est pas la seule. Son cas est emblématique des problèmes rencontrés par les victimes de violences sexuelles et de violences liées au genre en Tunisie. Comme elle, de nombreuses victimes sont accusées d’être responsables de leurs abus. Le cas de Meriem a permis de mettre en avant la nécessité d’une réforme juridique globale, qui puisse protéger les victimes et leur permettre d’avoir un accès adéquat à des services de santé et à la justice.

Les violences contre les femmes et les filles sont très fréquentes dans la société tunisienne. Selon la première et seule enquête nationale conduite par l’Office national de la famille et de la population (ONFP) en 2010, pas moins de 47 % des tunisiennes ont subi une forme de violence au moins une fois dans leur vie. Parmi elles, 15,7 % ont été victimes de violences sexuelles . Il n’existe pas de données officielles sur l’étendue des violences sexuelles perpétrées par les agents étatiques ou sur les violences faites aux travailleurs et travailleuses du sexe ou aux personnes LGBTI en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. On ne connait pas la véritable ampleur des violences sexuelles et des violences liées au genre car de nombreuses victimes ne se manifestent pas, par peur d’être stigmatisées par leur famille ou leur communauté. Dans bien des cas, ces violences sont passées sous silence.

Bien que les autorités tunisiennes aient pris des mesures pour combattre les violences sexuelles et liées au genre et aient modifié certaines lois en la matière, la discrimination en droit et en pratique persiste. Ainsi, les victimes de violences sexuelles et de violences liées au genre ne sont pas protégées comme elles le devraient et ont un accès limité aux services de santé et à la justice.

Par exemple, les articles du Code pénal incriminant les violences sexuelles figurent dans une partie traitant de l’attentat à la pudeur, mettant ainsi en avant l’honneur et la moralité. Le viol et les agressions sexuelles contre des femmes et des filles continuent à être perçus comme des atteintes à la réputation de la famille plutôt que comme des violations de l’intégrité physique des victimes. Ainsi, en vertu de l’article 227 bis du Code pénal, une personne accusée de viol sur une fille de moins de 20 ans peut éviter toute poursuite en épousant sa victime. De même, en vertu de l’article 239, tout homme qui enlève une fille peut éviter les poursuites en l’épousant.

Le Code pénal ne contient pas de définition claire de ce que constitue l’acte de viol, mais il impose une peine plus sévère (peine de mort) si le crime de viol est « commis avec violence » (article 227). Par ailleurs, le Code pénal ne reconnait pas le viol conjugal. Ces dispositions ne tiennent pas compte du fait que les viols sont souvent commis sans recours à la force et la loi devrait baser toute définition sur l’absence de consentement plutôt que sur le recours à la force. En pratique, les plaintes déposées pour agression ou violence familiale sont souvent retirées en raison des pressions exercées par l’agresseur, des membres de la famille ou à cause de la « honte » supposée qu’un tel acte engendre pour la victime.

Le fait d’ériger en infraction certaines formes de relations sexuelles entre adultes consentants non mariés constitue un frein supplémentaire au recours en justice des victimes de violences sexuelles et de violences liées au genre. Les lois relatives à l’adultère sont parfois détournées pour faire chanter les victimes afin de les dissuader de dénoncer le crime et de porter plainte, par crainte d’être elles-mêmes poursuivies. L’article 230 du Code pénal, qui érige en infraction les relations librement consenties entre personnes de même sexe, constitue non seulement une discrimination à l’égard des personnes LGBTI mais encourage en plus les violences à leur encontre, perpétrées en raison de leur identité de genre et de leur orientation sexuelle. Les travailleurs et travailleuses du sexe sont peut-être le groupe le plus vulnérable face aux violences sexuelles et aux violences liées au genre car ils dénoncent rarement les crimes dont ils sont victimes, leurs activités étant érigées en infraction. Selon les travailleurs et travailleuses du sexe et les personnes LGBTI, les agents étatiques, en particulier les policiers, se rendent coupables de nombreuses extorsions, agressions physiques et agressions sexuelles.

Si elles veulent porter plainte, les victimes de violences sexuelles et de violences liées au genre doivent faire face à des obstacles d’ordre pratique et social. Elles sont d’abord confrontées à la réticence de la police à reconnaître leur plainte. L’une des principales difficultés pour les survivants ayant recours à la justice est d’obtenir des preuves. En effet, c’est le plaignant qui a officiellement la charge de prouver qu’il a été victime d’un crime et la victime et ses avocats doivent donc recueillir eux-mêmes des preuves. La réticence de la police judiciaire à conduire des enquêtes et la rigueur de ces enquêtes sont sources d’interrogations. Dans de nombreux cas, les femmes finissent par retirer leur plainte avant même qu’elle soit jugée en raison d’une méfiance envers le système judiciaire et de pressions sociales et familiales.
Les autorités tunisiennes n’ont toujours pas mis en place des services d’aide complets et intégrés pour que les victimes puissent avoir accès sans délai à des soins de santé et pour répondre à leurs besoins immédiats et à long terme en matière sociale et de santé. Les services sociaux et médicaux en place pour les victimes de violences sexuelles et de violences liées au genre restent limités et très inadéquats, en particulier parce qu’ils n’ont pas les ressources financières nécessaires. C’est pourquoi la plupart des mesures d’aide en place sont appuyées par la communauté internationale et menées par des organisations de la société civile.

Projet de loi en Tunisie sur les violences faites aux femmes et aux filles

L’attention portée par les acteurs de la société civile au problème de la violence à l’égard des femmes a conduit le ministère de la Femme à travailler sur un projet de loi globale visant à combattre les violences faites aux femmes et aux filles. Le projet de loi a cependant été bloqué au niveau du Conseil des ministres (le projet original avait fait l’objet d’une fuite à la presse avant sa présentation officielle, déclenchant un retour de bâton médiatique et l’opposition de certains parlementaires, ainsi que des préoccupations sur le manque de participation de certains ministères dans le processus de rédaction) et les questions de sécurité ont pris le devant de la scène. Le Conseil des ministres compte faire rédiger un nouveau projet par un comité de rédaction interministériel mais on ignore tout du calendrier prévu.

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