Des détenus palestiniens sont soumis à des actes de torture et des traitements dégradants

Nuages de fumée

Les autorités israéliennes ont considérablement accru leur recours à la détention administrative, une forme de détention arbitraire, contre des Palestiniens et Palestiniennes en Cisjordanie occupée, ont renouvelé les mesures d’urgence favorisant les traitements inhumains et dégradants de détenu·e·s et n’ont mené aucune enquête sur les cas de torture et les morts en détention au cours des quatre dernières semaines, a déclaré Amnesty International le 8 novembre 2023.

Depuis le 7 octobre, les forces israéliennes ont placé plus de 2 200 hommes et femmes palestiniens en détention, d’après la Société des prisonniers palestiniens. D’après l’organisation israélienne de défense des droits humains HaMocked, entre le 1er octobre et le 1er novembre, le nombre total de Palestiniens et Palestiniennes maintenus en détention administrative sans inculpation ni procès est passé de 1 319 à 2 070.

Des déclarations de personnes ayant été détenues puis libérées, ainsi que des vidéos et des photos témoignent de certaines des formes de torture et d’autres mauvais traitements auxquelles ont été soumis des détenu·e·s aux mains des forces israéliennes ces quatre dernières semaines. Des détenu·e·s ont, entre autres, été roués de coups et humiliés, et notamment forcés à garder la tête baissée, à s’agenouiller au sol pendant le compte des détenu·e·s et à chanter des chansons israéliennes.

« Au cours du dernier mois, nous avons constaté une augmentation considérable du recours par Israël à la détention administrative, une détention sans inculpation ni procès qui peut être reconduite indéfiniment, et dont l’utilisation était déjà à son niveau le plus haut de ces 20 dernières années avant l’intensification des hostilités du 7 octobre. La détention administrative est l’un des outils clés employés par Israël pour appliquer son système d’apartheid contre la population palestinienne. Des témoignages et des enregistrements vidéos révèlent également plusieurs cas de torture et d’autres mauvais traitements infligés par les forces israéliennes, notamment des coups violents et des humiliations délibérées auxquels ont été soumis des Palestiniens et Palestiniennes détenus dans des conditions déplorables », a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« L’interdiction de la torture ne souffre aucune suspension ou dérogation, même, et surtout, dans des périodes comme celle que nous traversons »

« Les exécutions sommaires et les prises d’otages dont le Hamas et d’autres groupes armés se sont rendus responsables le 7 octobre sont des crimes de guerre et doivent être condamnés, mais les autorités israéliennes ne peuvent utiliser ces attaques pour justifier leurs propres attaques illégales et les sanctions collectives imposées aux civil·e·s dans la bande de Gaza assiégée, ainsi que la torture, la détention arbitraire et les autres atteintes aux droits humains infligées à des détenu·e·s palestiniens. L’interdiction de la torture ne souffre aucune suspension ou dérogation, même, et surtout, dans des périodes comme celle que nous traversons. »

Des chercheurs et chercheuses d’Amnesty International se sont entretenus avec 12 personnes, dont six personnes ayant été libérées après avoir été maintenues en détention, trois proches de détenu·e·s et trois avocat·e·s travaillant sur les récentes arrestations. Les équipes de recherche ont également consulté des témoignages d’autres détenu·e·s libérés et ont analysé des vidéos et des images.

Torture et humiliation

Amnesty International recense depuis des décennies la torture généralisée infligée par les autorités israéliennes dans des centres de détention en Cisjordanie. Cependant, ces quatre dernières semaines, des vidéos et des photos ont été largement diffusées en ligne, montrant des soldats israéliens frappant et humiliant des Palestiniens et Palestiniennes détenus les yeux bandés, dénudés, les mains attachées ; une illustration particulièrement effrayante de la torture et des mauvais traitements infligés aux détenu·e·s palestiniens.

« L’un des agents israéliens qui sont arrivés s’est approché de moi et m’a frappé sur le côté gauche, puis il a sauté à pieds joints sur ma tête, enfonçant ma tête encore davantage dans le sol, il a ensuite continué de me donner des coups de pied alors que j’avais la tête au sol, dans la poussière, les mains attachées dans le dos »

L’une des images analysées par le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International montre trois hommes palestiens, nus et les yeux bandés, à côté d’un soldat israélien portant un uniforme vert olive comme ceux que portent les forces de l’armée de terre israélienne. Une enquête [1] publiée par le journal Haaretz le 19 octobre a conclu que la photo avait été prise à Wadi al Seeq, un village à l’est de Ramallah, le 12 octobre. L’un des trois hommes apparaissant sur la photo a déclaré à Amnesty International qu’il avait dans un premier temps été détenu et frappé par des colons, mais que, deux heures plus tard, une Jeep de l’armée israélienne était arrivée :

« L’un des agents israéliens qui sont arrivés s’est approché de moi et m’a frappé sur le côté gauche, puis il a sauté à pieds joints sur ma tête, enfonçant ma tête encore davantage dans le sol, il a ensuite continué de me donner des coups de pied alors que j’avais la tête au sol, dans la poussière, les mains attachées dans le dos. Puis il a pris un couteau et a déchiré tous mes vêtements sauf mes sous-vêtements et a utilisé un bout de mes vêtements déchirés pour me bander les yeux. Les coups sur mon corps se sont poursuivis, à un moment, il a commencé à me sauter sur le dos, trois ou quatre fois, tout en criant : “Meurs, ordure”… À la fin, avant que cela ne s’arrête enfin, un autre agent m’a uriné sur le visage et le corps tout en nous criant “de mourir”. »

Amnesty International s’est également entretenue avec deux femmes qui ont été maintenues en détention arbitraire pendant 14 heures dans un commissariat de Jérusalem-Est occupée, où elles ont été soumises à des humiliations, des fouilles au corps et des moqueries et ont reçu l’ordre d’insulter le Hamas. Elles ont été libérées plus tard sans avoir été inculpées.

Une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 31 octobre et analysée par le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International montre neuf hommes détenus, dont l’accent permet de conclure qu’ils sont palestiniens, nus pour certains, presque nus pour d’autres, les yeux bandés et les mains menottées, entourés d’au moins 12 soldats portant des uniformes vert olive et équipés de fusils d’assaut M4A1 ou Tavor X95. Tant les uniformes que les armes sont des équipements standards de l’armée de terre israélienne. La vidéo montre l’un des militaires frappant du pied la tête de l’un des détenus. Une autre vidéo publiée sur la plateforme X (anciennement Twitter) le 31 octobre et analysée par le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International montre un homme, vraisemblablement palestinien, les yeux bandés, ainsi qu’un sergent de l’armée israélienne se moquant de lui et dansant autour de lui.

Un détenu palestinien récemment libéré de Jérusalem-Est occupée, qui s’est entretenu avec Amnesty International sous couvert d’anonymat, a déclaré que lui et d’autres détenus du « Complexe russe » (al Maskoubiyeh), un centre de détention à Jérusalem, avaient été frappés par des agents israéliens chargés des interrogatoires, et que ces violences lui avaient causé des hématomes et trois côtes cassées. Il a également indiqué que des policiers israéliens menant les interrogatoires les avaient frappés de manière soutenue à la tête en leur criant de garder toujours la tête baissée, tout en leur ordonnant de « faire l’éloge d’Israël et d’insulter le Hamas ». Il a déclaré que « même quand l’un des 12 détenus qui se trouvaient dans la cellule l’a fait, les coups et l’humiliation n’ont pas cessé ».

« La détention des personnes protégées en dehors du territoire occupé, comme dans le cas des Palestinien·ne·s des territoires palestiniens occupés détenus en Israël, constitue également une violation du droit international humanitaire et un transfert forcé »

Depuis le 7 octobre, d’après les autorités israéliennes, quatre détenus sont morts dans des centres de détention israéliens [2] dans des circonstances qui n’ont pas fait l’objet d’enquêtes. Deux [3] des quatre personnes mortes étaient des travailleurs de la bande de Gaza occupée, détenus au secret par l’armée israélienne dans des centres de détention militaires, et leur mort n’a été rendue publique par l’armée qu’après une enquête du journal israélien Haaretz.

Au titre du droit international, la torture et les autres formes de mauvais traitements infligés à des personnes protégées dans un territoire occupé constituent un crime de guerre. La détention des personnes protégées en dehors du territoire occupé, comme dans le cas des Palestinien·ne·s des territoires palestiniens occupés détenus en Israël, constitue également une violation du droit international humanitaire et un transfert forcé.

Traitements inhumains et dégradants dans les prisons

Les Services pénitentiaires israéliens ont informé le groupe de défense des droits humains HaMocked qu’au 1er novembre, 6 809 détenu·e·s palestiniens se trouvaient sous leur responsabilité. Le 31 octobre, les autorités israéliennes ont prolongé d’un mois l’« état d’urgence dans les prisons », qui donne au ministre de la Sécurité nationale israélien des pouvoirs presque illimités lui permettant de priver de visites de leur famille et de leurs avocat·e·s les détenu·e·s condamnés, de maintenir les détenu·e·s dans des cellules surpeuplées, de les priver d’exercice extérieur et d’imposer des sanctions collectives cruelles comme des coupures d’eau et d’électricité pendant plusieurs heures, permettant ainsi une intensification des traitements cruels et inhumains des détenu·e·s, ce qui bafoue l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a confirmé [4] que des détenu·e·s palestiniens avaient été privés de contact avec leur famille et leurs avocat·e·s depuis le 7 octobre. Sanaa Salameh, l’épouse de Walid Daqqah, un détenu palestinien atteint d’un cancer en phase terminale, a déclaré à Amnesty International que, depuis le 7 octobre, ni elle ni l’avocat de Walid Daqqah n’avaient été autorisés à le voir et qu’ils n’avaient pas pu obtenir d’informations sur son état de santé. « Je ne sais pas s’il reçoit les soins médicaux dont il a besoin. Je n’ai absolument aucun contact avec lui, je n’ai pas la moindre information pour me réconforter », a-t-elle déclaré à Amnesty.

L’avocat palestinien Hassan Abadi, qui rend visite à au moins quatre détenu·e·s chaque semaine depuis le 7 octobre, a déclaré à Amnesty International que des détenu·e·s palestiniens étaient privés du droit de faire de l’exercice en extérieur et qu’ils étaient humiliés pendant le compte des détenu·e·s, et notamment forcés à s’agenouiller au sol. Il a ajouté que des Palestiniens et Palestiniennes en détention se voyaient confisquer tous leurs effets personnels, notamment des livres, des journaux intimes, des lettres, des vêtements, de la nourriture et d’autres objets, qui étaient parfois brûlés. Les autorités pénitentiaires ont confisqué à des femmes détenues palestiniennes de la prison d’al Damon leurs protections hygiéniques. D’après Hassan Abadi, une de ses clientes lui a dit que lorsqu’elle avait été détenue et qu’on lui avait bandé les yeux au commissariat de Kiryat Arba, près d’Hébron, un agent l’avait menacée de viol.

Augmentation du nombre de détentions arbitraires

Le nombre de Palestiniens et Palestiniennes soumis à une détention administrative était déjà en augmentation en 2023, atteignant 1 319 le 1er octobre 2023, d’après HaMocked. Au 1er novembre, plus de 2 070 Palestiniens et Palestiniennes étaient en détention administrative. Les Palestiniens et Palestiniennes considérés par Israël comme des « détenu·e·s relevant de la sécurité nationale » sont souvent détenus sans inculpation ni procès, principalement au titre d’ordonnances de détention administrative, qui peuvent être renouvelées indéfiniment tous les six mois.

La détention administrative est une forme de détention au titre de laquelle les personnes sont maintenues en détention par les autorités étatiques pour des motifs liés à la sécurité tenus secrets, dont la personne détenue et son avocat·e ne peuvent pas prendre connaissance, contournant ainsi les garanties d’une procédure régulière prévues par le droit international pour toutes les personnes privées de liberté. Amnesty International a conclu qu’Israël avait utilisé systématiquement la détention administrative comme moyen de persécuter les Palestiniens et Palestiniennes, et non pas en tant que mesure préventive extraordinaire appliquée de manière sélective.

Les autorités israéliennes ont également choisi d’appliquer la Loi relative à l’incarcération des combattants irréguliers, une catégorie qui n’est pas reconnue par le droit international, pour maintenir en détention indéfiniment et sans inculpation ni procès au moins 105 Palestiniens et Palestiniennes de la bande de Gaza occupée, qui étaient entrés en Israël pendant l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre. On ignore combien de ces personnes sont détenues en lien avec les attaques.

« Les autorités israéliennes doivent immédiatement mettre un terme aux mesures d’urgence inhumaines imposées aux détenu·e·s palestiniens et leur permettre immédiatement de recevoir la visite de leurs avocat·e·s et de leur famille »

Les autorités israéliennes ont également soumis des milliers de Palestiniens et Palestiniennes de Gaza détenant un permis d’entrer en Israël, principalement des travailleurs et travailleuses, à une troisième forme de détention arbitraire, par laquelle ces personnes ont été détenues au secret pendant au moins trois semaines dans des bases de détention militaires en Israël et en Cisjordanie. Un grand nombre de ces personnes ont été libérées, mais les autorités israéliennes n’ont pas révélé combien étaient encore détenues.

« Les autorités israéliennes doivent immédiatement mettre un terme aux mesures d’urgence inhumaines imposées aux détenu·e·s palestiniens et leur permettre immédiatement de recevoir la visite de leurs avocat·e·s et de leur famille. Tous les Palestiniens et Palestiniennes qui sont détenus arbitrairement doivent être libérés. Nous appelons instamment Israël à autoriser le Comité international de la Croix-Rouge à procéder à des visites d’urgence dans les prisons et centres de détention et à surveiller les conditions de détention des détenu·e·s palestiniens », a déclaré Heba Morayef.

« Les autorités judiciaires israéliennes doivent également mener des enquêtes indépendantes et impartiales sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements et poursuivre en justice dans le cadre de procès équitables les personnes ayant ordonné et infligé des actes de torture. »

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