Algérie, Des journalistes condamnés à de lourdes peines de prison dans un contexte de répression croissante

Algerie

Les autorités algériennes doivent immédiatement mettre un terme à la campagne de plus en plus offensive de harcèlement des médias, dans le cadre de laquelle deux journalistes de premier plan ont récemment été condamnés à de lourdes peines de prison pour avoir simplement exprimé leurs opinions ou couvert des manifestations.

Depuis le début, en février 2019, du mouvement de protestation du Hirak, qui appelle à un changement politique radical en Algérie, au moins huit journalistes ont été emprisonnés en raison de leur couverture des manifestations du mouvement ou de leurs publications sur les réseaux sociaux, souvent après avoir été déclarés coupables d’accusations forgées de toutes pièces, comme « atteinte à l’intégrité du territoire national », « atteinte à la personne du président de la République » ou « incitation à un attroupement ». Plusieurs sites Internet d’information bien connus pour leur position critique à l’égard du gouvernement voient leur accès bloqué sur les réseaux algériens.

« Les autorités algériennes sont prêtes à tout pour réduire au silence les voix critiques. Des journalistes ont récemment été emprisonnés pour avoir partagé des vidéos, critiqué le président et exprimé leur soutien à des mouvements de protestation, a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

« Amnesty International appelle les autorités à mettre fin au harcèlement judiciaire systématique des journalistes et à respecter le droit à l’information, en levant le blocage imposé à des sites d’information. »

Harcèlement judiciaire de journalistes

Le 24 août, un tribunal de première instance de la ville de Constantine a condamné le journaliste et militant Abdelkrim Zeghileche à deux ans d’emprisonnement en raison de deux de ses publications sur Facebook. Abdelkrim Zeghileche est le directeur de la station de radio indépendante Radio Sarbacane. D’après l’un de ses avocats, la première publication qualifiait le président algérien Abdelmadjid Tebboune d’« imposteur placé au pouvoir par l’armée » et est à l’origine des poursuites pour « atteinte à la personne du président de la République ».

Dans une seconde publication sur la page de l’initiative politique Constantine - Perspectives Algériennes [1], Abdelkrim Zeghileche appelait à la création de partis politiques, ce qui a entraîné sa condamnation pour « publications Facebook pouvant porter atteinte à l’unité nationale ». Depuis son arrestation le 23 juin, Abdelkrim Zeghileche est détenu à la prison de Koudiat, à Constantine.

Le 10 août, dans le cadre d’une autre affaire très médiatisée, le tribunal de première instance de Sidi M’hamed, à Alger, a condamné le journaliste de renom Khaled Drareni à trois ans de prison pour avoir couvert une manifestation du mouvement de protestation du Hirak, ainsi que pour ses interventions dans des médias étrangers. Khaled Drareni a été poursuivi pour « atteinte à l’intégrité du territoire national » et « incitation à un attroupement non armé ». Khaled Drareni est le fondateur du site Internet Casbah Tribune et le correspondant en Algérie de la chaîne de télévision francophone TV5 Monde. Il a été déclaré coupable en même temps que Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, qui ont tous deux été condamnés à une peine de deux ans de prison avec sursis.

Khaled Drareni, Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche ont fait appel de leur condamnation et un procès en appel doit s’ouvrir le 8 septembre.

« Les autorités algériennes sont prêtes à tout pour réduire au silence les voix critiques »

Le 4 août, le journaliste Mustapha Bendjama, rédacteur en chef du journal régional Le Provincial [2], a été interrogé à Annaba, dans l’est du pays, pendant environ 90 minutes, en raison d’une publication qu’il avait partagée [3] sur sa page Facebook demandant la libération d’un militant du Hirak détenu. Le Provincial avait déjà publié des articles et des commentaires de soutien aux revendications du mouvement. Mustapha Bendjama a déclaré avoir été interrogé 20 fois en raison de son travail de journaliste sur les manifestations du Hirak, et fait l’objet de poursuites dans le cadre de trois affaires judiciaires différentes liées à ses publications sur Facebook.

D’après le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), qui surveille les procès de militants du Hirak, le 17 juin, Ali Djamel Toubal, un correspondant du journal Ennahar, basé dans la ville de Mascara, dans l’ouest du pays, a été condamné à deux ans d’emprisonnement, avant de bénéficier d’une libération provisoire le 18 août. Le jour de son arrestation, Ali Djamel Toubal avait partagé [4] une vidéo sur Facebook dans laquelle un gynécologue évoquait la détérioration des conditions de travail des médecins dans la ville d’In Amenas.

Entre le 12 juin et le 8 juillet, Merzoug Touati, un journaliste du site Internet d’information L’Avant-Garde Algérie, a été maintenu en détention dans la ville de Béjaïa, dans l’est du pays, après avoir été arrêté alors qu’il allait couvrir une manifestation de soutien aux militants du Hirak détenus. Le tribunal de première instance de Béjaïa a condamné Merzoug Touati à une amende de 100 000 dinars algériens (environ 776 dollars américains) pour « outrage à corps constitué ».

« Tous ces journalistes sont sanctionnés pour avoir mené leur travail légitime. Au lieu de harceler les journalistes, les autorités algériennes doivent veiller à ce que tous les journalistes dans le pays puissent mener leur travail légitime sans faire l’objet d’intimidation, de harcèlement et de menaces d’arrestation », a déclaré Amna Guellali.

D’après le CNLD, au 25 août, au moins 42 personnes étaient détenues en raison de leur participation en ligne et hors ligne aux manifestations du Hirak.

Blocage de certains médias

En plus du harcèlement dont sont victimes des journalistes, plusieurs sites Internet d’information sont devenus inaccessibles en Algérie, et les autorités ont admis avoir bloqué l’accès à au moins deux de ces sites. Le 15 avril, le ministre de la Communication Ammar Belhimer a reconnu [5] que les autorités avaient bloqué, sans avertissement préalable, deux médias en ligne indépendants, Maghreb Emergent et RadioMPost, dans l’attente de « poursuites judiciaires complémentaires » contre leur directeur éditorial Ihsane El Kadi, pour « diffamation et offense » à l’égard du président Abdelmadjid Tebboune. Deux autres médias restent bloqués et inaccessibles en Algérie.

Plusieurs autres sites Internet d’information bien connus pour leur position critique à l’égard du gouvernement voient leur accès bloqué sur les réseaux algériens. Par exemple, les sites Tout sur l’Algérie (TSA) et Interlignes sont presque systématiquement inaccessibles depuis 2019.

Le site Internet d’information L’Avant-Garde Algérie est inaccessible depuis le 23 août 2020.

Amnesty International a fait une évaluation technique le 26 août 2020. Celle-ci a révélé qu’il était possible d’accéder aux trois sites Internet depuis l’étranger ou en utilisant un réseau privé virtuel (VPN) en Algérie, mais qu’il était impossible d’y accéder depuis l’Algérie en utilisant l’opérateur de télécommunications national Algérie Télécom.

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