Un an de campagne contre le viol : le bilan Par Sarah Loriato, chargée de campagne, et Zoé Spriet-Mezoued, coordinatrice campagnes et plaidoyer d’AIBF

En mars 2020, Amnesty International et SOS Viol publient un sondage réalisé par l’Institut Dedicated, dont les résultats plus qu’alarmants témoignent de la nécessité pour les autorités belges à s’investir véritablement dans la lutte contre les violences sexuelles. Les organisations lancent alors une campagne commune destinée à ce que la lutte contre les violences sexuelles devienne une priorité absolue des différents gouvernements en Belgique.

Après un an de campagne, Amnesty International et SOS Viol s’apprêtent à remettre les signatures d’une pétition contre le viol et les violences sexuelles au Premier ministre belge. L’occasion pour les deux organisations de faire le bilan de leurs recommandations et de leur mise en œuvre par les autorités.

Une approche efficace, globale et coordonnée

En raison de la structure complexe de l’État, la lutte contre la violence sexuelle en Belgique est menée à différents niveaux. Les autorités fédérales, communautaires et régionales ont toutes des responsabilités importantes. Cela permet, il est vrai, de mettre en place des politiques locales plus réactives. Cela signifie cependant que des efforts supplémentaires sont nécessaires pour assurer la cohérence des politiques menées et la coordination des différentes entités impliquées.

Amnesty International et SOS Viol saluent à cet égard la création de la Conférence interministérielle (CIM) droits des femmes, en 2019 à l’initiative des ministres Bénédicte Linard, Christie Morreale et Nawal Ben Hamou, qui devrait permettre d’articuler l’action des différents niveaux de pouvoir.

En outre, des plans ont été lancés par les différentes autorités belges : le Plan d’action de lutte contre la violence sexuelle de la Région flamande, le Plan régional bruxellois de lutte contre les violences envers les femmes, le Plan droit des femmes de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), et le Plan intrafrancophone de lutte contre les violences faites aux femmes, dont les mesures sont portées collégialement par les autorités de la FWB, de la Région wallonne et de la Commission communautaire francophone (COCOF). Au niveau fédéral, un nouveau Plan d’action national de lutte contre toutes les formes de violences basées sur le genre (PAN) devrait être publié dans les mois qui viennent.

Amnesty International et SOS Viol attirent l’attention du gouvernement sur la nécessité pour le PAN d’assurer la cohérence et de la coordination des différents plans des autorités fédérées.

L’élimination de la violence sexuelle a un coût

Les ressources qui sont ou seront mises à disposition pour lutter contre les violences sexuelles ne sont pas encore claires. Cela est en partie dû à la complexité de la structure décentralisée du pouvoir et des différents plans existants.

Amnesty International et SOS Viol recommandent de consacrer un budget spécifique, transparent, pérenne et suffisant à la lutte contre le viol. Les organisations comptent notamment sur le PAN à venir pour détailler des mesures concrètes et suffisamment budgétisées pour mettre pleinement en œuvre la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe — signée et ratifiée par la Belgique —, un dispositif européen contraignant qui a pour objectif d’engager les États parties à lutter contre les violences faites aux femmes.

Perspective de genre vs égalité des sexes

Amnesty International et SOS Viol militent pour l’égalité de genre et la non-discrimination. Les femmes et les hommes peuvent être victimes de violence sexuelle et toutes les situations doivent pouvoir être prises en charge, peu importe le genre de la victime. Cependant, il est crucial de reconnaître que les filles et les femmes sont touchées de manière disproportionnée par les violences sexuelles. Nous insistons pour que dans ses plans et lois, la Belgique adopte une perspective non neutre, genrée, des violences sexuelles, comme c’est déjà le cas dans le plan de la Région flamande, le Plan droit des femmes de la FWB et le Plan intrafrancophone. Ceci, afin de pouvoir apporter une réponse adaptée aux causes structurelles de la violence, résultant en grande partie d’une relation inégalitaire entre femmes et hommes.

La Belgique s’est engagée à prendre en compte cette perspective de genre dans la lutte contre la violence fondée sur le genre en ratifiant la Convention d’Istanbul. Cette obligation a par ailleurs été rappelée en septembre 2020 par le Comité GREVIO (Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique), en charge de l’évaluation de la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul.

Assistance et accompagnement des victimes de violence sexuelle

Les victimes de violences sexuelles ont souvent beaucoup de mal à obtenir de l’aide et/ou à porter plainte. Il est donc important que les acteurs et actrices de première ligne soient facilement identifiables et formé·e·s.

Les Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) accueillent et assistent les victimes de jour comme de nuit en assurant notamment les soins médicaux et psychologiques nécessaires et une assistance policière en cas de dépôt de plainte. Afin que chacun·e puisse avoir accès à ces services, il devrait exister un CPVS par province. On ne compte pourtant à ce jour que trois centres en activité dans toute la Belgique.

En 2021, trois nouveaux CPVS devraient voir le jour à Anvers, Charleroi et Louvain. De plus, le gouvernement a promis d’ici 2023 un centre opérationnel dans chaque province. Amnesty et SOS Viol suivent de près ce déploiement et demandent au gouvernement de fournir à tous les centres des ressources structurelles adéquates. Leur fonctionnement doit être suivi et évalué, et des ajustements doivent être apportés si nécessaire. Les CPVS doivent notamment pouvoir être accessibles à un maximum de victimes et pour cela, être rattachés aux différentes zones de police environnantes, en étant dotés des moyens adaptés à l’étendue de leur périmètre. En outre, l’existence des CPVS doit être mieux connue de la population.

Il est également important que les lignes d’assistance téléphonique, et notamment le numéro gratuit SOS Viol 0800/98.100, soient connues de tou·te·s et qu’elles disposent de ressources suffisantes pour être ouvertes 24 h/24, 7 j/7, dans toutes les régions.

La visibilité accrue du numéro vert géré par SOS Viol induit des prises en charge toujours plus nombreuses au sein du service, ce qui requiert un renforcement pérenne des moyens alloués en termes de personnel et d’infrastructures.

Sensibilisation

Les victimes n’osent souvent pas parler de ce qui leur est arrivé de peur d’être incomprises ou stigmatisées. En outre, notre sondage de mars 2020 témoigne de la persistance d’un grand nombre de préjugés et de stéréotypes sur la violence sexuelle. À titre d’exemple, le sondage a révélé que 16 % des hommes belges pensent que les victimes de violence sexuelle sont en partie responsables lorsqu’elles portent des vêtements sexy, tandis que pas moins de 31 % des jeunes de 15 à 25 ans interrogés pensent qu’il n’y a pas de viol si un refus n’est pas énoncé explicitement.

Amnesty et SOS Viol saluent le lancement par les autorités de diverses campagnes d’information et de sensibilisation qui orientent les victimes vers les services sociaux. Les chiffres ci-dessus et nos recherches soulignent cependant la nécessité de mener des campagnes de prévention, afin de modifier les valeurs et les comportements qui banalisent la violence sexuelle.

En outre, les campagnes devraient être mieux adaptées aux différents groupes cibles en priorisant les jeunes, qui doivent être sensibilisés aux questions du consentement et des mythes et stéréotypes liés au viol.

Pour Amnesty International et SOS Viol, la campagne #JDIWI, dont le but est de sensibiliser en priorité les garçons et les jeunes hommes de 15 à 25 ans à la notion de consentement, reste une priorité.

Une meilleure formation de la police et de la justice

Ces stéréotypes persistent également parmi les acteurs de première ligne en contact direct avec les victimes. Des questions maladroites, voire déplacées, lors d’un dépôt de plainte, peuvent notamment entraîner un traumatisme supplémentaire pour certaines victimes, ce qui constitue de la victimisation secondaire. C’est le cas par exemple lorsque l’agent·e de police minimise les faits, ou encore lorsqu’il·elle responsabilise en partie la victime pour le viol ou l’agression sexuelle subie. En plus du traumatisme psychologique que cela entraîne, de telles attitudes peuvent conduire une victime à ne plus vouloir porter plainte, favorisant du même fait l’impunité.

Amnesty International et SOS Viol demandent que soient garanties l’information et les ressources nécessaires aux agent·e·s de police et au personnel judiciaire, afin de répondre adéquatement aux rapports ou aux plaintes pour violence sexuelle.

Un accueil spécialisé et une enquête de qualité par la police et la justice sont nécessaires. À cet effet, la formation de base et continue de la police et de la justice doit s’améliorer et être de nature pluridisciplinaire. En 2020, une loi imposant une formation obligatoire aux magistrats sur les violences sexuelles et intrafamiliales est entrée en vigueur. Amnesty et SOS Viol suivent de près la mise en œuvre effective de cette loi, en plus du contenu concret et des modalités de mise en œuvre des formations, qui devraient commencer en 2021. Par ailleurs, les organisations demandent qu’une formation puisse aussi être dispensée aux avocat·e·s, expert·e·s juridiques et autres professionnels de la justice impliqués dans des affaires de mœurs.

Mettre fin à l’impunité

Entre 2010 et 2017, plus de la moitié des affaires de viol ont été classées sans suite. Le motif de rejet le plus fréquent est le manque de preuves. En outre, le taux de condamnation pour viol n’est pas connu en Belgique, et le phénomène de l’impunité est donc difficile à quantifier. Cependant, plusieurs sources s’accordent à dire que seuls environ 4 % des viols aboutiraient à une condamnation. Des milliers de victimes n’obtiennent donc pas justice, ce qui est tout à fait inacceptable et envoie ce signal négatif à toute une population : la Belgique ne condamne pas le viol. Des personnes peuvent ainsi perdre confiance dans le système juridique et ne pas déposer plainte, tandis que les auteurs de viol peuvent se sentir libres d’agir, sans crainte de poursuite. Le gouvernement doit prévoir des réponses efficaces à ce phénomène afin d’augmenter le nombre de signalements.

Pour pallier le manque de preuves, la prise en charge de la victime combinée à une collecte immédiate de preuves, possible dans les CPVS, doit être à disposition des victimes.
Avec la récente imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs, il faut aussi revoir le système d’administration de la preuve afin que ces dispositions légales ne restent pas lettre morte.

Sur le plan judiciaire, une réécriture de la loi sur les crimes sexuels a été annoncée pour le gouvernement, afin de la mettre en conformité avec le droit international. Amnesty International et SOS Viol suivront de près cette évolution.

Collecte et publication des données sur le viol

Face au manque de statistiques émises par les institutions belges, Amnesty International Belgique Francophone et SOS Viol ont publié en mars 2020 un sondage portant sur les violences sexuelles. Les résultats obtenus sont alarmants : près d’un·e Belge sur deux a déjà été exposé·e à au moins une forme de violence sexuelle.

Les données disponibles sur les infractions sexuelles sont encore insuffisantes tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Elles ne sont ni accessibles et ni harmonisées entre les acteurs impliqués. Elles ne sont pas non plus genrées.

Amnesty et SOS Viol rappellent qu’une bonne collecte et une bonne gestion des données sont essentielles à la mise en place de politiques de prévention et de lutte contre la violence sexuelle, pour permettre une bonne compréhension des phénomènes de violence, une utilisation plus efficace des ressources et une action plus ciblée. Les organisations restent attentives au développement de la base de données ViCLAS aux infractions sexuelles extrafamiliales et aux mesures spécifiques en ce qui concerne la collecte et le traitement des données relatives aux violences sexuelles, comme énoncé par le ministre de la Justice.

Amnesty International et SOS Viol continuent à faire campagne contre la violence sexuelle après cette première remise des signatures collectées. Les organisations suivront de près l’évolution de la situation et analyseront minutieusement la mise en œuvre des différentes ambitions exprimées par les gouvernements.

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