La législation et les pratiques du gouvernement émirien imposent de sévères restrictions aux droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique et bafouent un large éventail d’autres droits, notamment le droit à la vie privée et les droits des personnes migrantes. Au cours de l’année écoulée, des centaines [1] d’organisations de la société civile internationale [2], dont Amnesty International, ont invité les Émirats arabes unis à libérer les dissidents et à permettre à la société civile de fonctionner librement dans le pays. Or, le gouvernement a refusé ne serait-ce que d’engager la discussion au sujet de son bilan en termes de droits humains ou d’entreprendre des réformes.
« Comment un État serait-il crédible dans la lutte contre la crise climatique s’il continue de resserrer son étau autour de la société civile ? Le fait que les Émirats arabes unis, dont le bilan en matière de droits fondamentaux est catastrophique, mènent des discussions sur l’un des défis existentiels les plus graves auxquels l’humanité est confrontée en termes de droits humains, dans le cadre de l’un des forums internationaux les plus en vue, tourne en dérision la COP28, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Si le gouvernement émirien attache de l’importance à son engagement de favoriser une COP " inclusive ", il doit commencer par libérer tout de suite les dizaines d’Émirien·ne·s qui croupissent en prison pour avoir exprimé leurs opinions »
« La libération des personnes injustement incarcérées pour avoir revendiqué la démocratie dans le pays adresserait un message crucial, à savoir que les autorités sont prêtes à s’acquitter de leurs obligations en termes de droits humains – et porterait l’espoir de voir la COP28 se dérouler dans un climat exempt de peur et d’intimidation.
« Si le gouvernement émirien attache de l’importance à son engagement de favoriser une COP " inclusive " [3], il doit commencer par libérer tout de suite les dizaines d’Émirien·ne·s qui croupissent en prison pour avoir exprimé leurs opinions. En outre, il doit mettre fin à la surveillance illégale et abroger les lois qui portent atteinte aux droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. S’il n’en fait rien, la présidence de la COP assurée par les Émirats arabes unis se résumera à une stratégie de relations publiques destinée à détourner l’attention de la triste réalité de leur bilan en matière de droits humains. »
Détentions arbitraires
Au moins 64 citoyens émiriens sont incarcérés illégalement, en raison de leurs opinions politiques dissidentes réelles ou présumées. La majorité d’entre eux depuis le procès collectif de 2012-2013 [4], à l’issue duquel 94 Émiriens ont été jugés pour avoir appelé à la réforme et au changement démocratique. La Cour suprême, dans son verdict non susceptible d’appel, a ignoré le fait que de nombreux accusés avaient été détenus au secret pendant des mois et que certains avaient déclaré avoir été torturés en vue de leur extorquer des « aveux », que la Cour a ensuite retenus à titre de preuves pour les condamner.
Plus d’un tiers des accusés de ce procès collectif avaient signé une pétition [5] adressée aux dirigeants en 2011 en faveur d’un pouvoir législatif élu. Les Émirats arabes unis continuent de poursuivre les accusés de ce procès qui se sont réfugiés à l’étranger. Au mois de mai, ils ont annoncé avoir placé en détention Khalaf al Rumaithi, l’un des 94 accusés dans le cadre de cette affaire, après que les forces de sécurité jordaniennes l’ont expulsé sur demande des autorités émiriennes. En juin, la sécurité d’État a convoqué Mansoor al Ahmadi, prisonnier jugé lors d’un procès collectif, libéré après plus de huit ans de prison et après avoir subi la détention au secret.
Des défenseur·e·s des droits humains incarcérés
Parmi les accusés du procès collectif de 2012-2013 figuraient deux éminents avocats spécialistes des droits humains, Mohamed al Mansoori et Mohamed al Roken. Tous deux avaient été présidents de l’Association des juristes, qui était l’association nationale des professionnels du secteur judiciaire émirien jusqu’à ce que le gouvernement ordonne sa dissolution en 2012 [6].
Après 2013, Ahmed Mansoor, membre du comité consultatif de Human Rights Watch sur le Moyen-Orient, est resté le dernier défenseur émirien des droits humains à s’exprimer et à travailler dans le pays. En 2017, il a été incarcéré pour « promotion de fausses informations » [7].
Criminalisation de la dissidence
La législation émirienne érige en infraction toute critique des dirigeants et de l’État, les manifestations « portant atteinte à l’ordre public », toute publication « portant préjudice à la monnaie nationale » ou semant la « confusion » au sujet de l’économie, toute « atteinte aux intérêts de l’État » (passible d’une peine de prison à perpétuité ou de la peine de mort), la promotion de la « non-loyauté envers la direction [de l’État] », l’« incitation au péché ou à l’outrage à la pudeur » et l’« atteinte aux bonnes mœurs ».
Aucune de ces lois n’a été abrogée depuis que les Émirats arabes unis ont été désignés pays hôte de la COP28 et le texte de l’Accord avec l’État hôte (HCA), qui déterminera si et comment ces lois s’appliquent sur le site de la conférence, reste secret.
Absence de protection pour les travailleuses et travailleurs migrants
La législation émirienne n’accorde pas de droit à des moyens de subsistance et à des conditions de travail décents aux travailleuses et travailleurs migrants. Seuls 8 % des Émiriens travaillent dans le secteur privé, qui satisfait la plupart de ses besoins en matière d’emploi grâce à la main-d’œuvre immigrée. À la différence du secteur public qui emploie la plupart des Émiriens, le secteur privé ne prévoit pas de salaire minimum. Le « personnel des services », c’est-à-dire ceux qui travaillent dans la maison de leurs employeurs, peuvent légalement avoir à travailler jusqu’à 72 heures par semaine.
« Le monde entier attend de voir comment ils vont mener ces négociations cruciales pour l’avenir de la planète. La même attention sera portée au bilan terni des Émirats arabes unis en matière de droits humains »
En 2021, après avoir procédé à une vague d’arrestations massives à caractère racial, les Émirats arabes unis ont expulsé au moins 376 travailleuses et travailleurs migrants africains en dehors de toute procédure légale, souvent après les avoir détenus au secret pendant des mois et leur avoir infligé des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
« Alors que tous les regards sont tournés vers la COP28, les Émirats arabes unis doivent saisir l’occasion de prendre des mesures importantes en matière de justice climatique et de droits humains. Le monde entier attend de voir comment ils vont mener ces négociations cruciales pour l’avenir de la planète. La même attention sera portée au bilan terni des Émirats arabes unis en matière de droits humains, et ils peuvent commencer à y remédier en veillant à ce que chacun puisse s’exprimer pacifiquement et librement dans le pays », a déclaré Agnès Callamard.
Complément d’information
Contrairement à la plupart des États, les Émirats arabes unis ne sont pas signataires du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ni du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Entre autres, 55 organisations de la société civile au mois de mai [8] et plus de 200 en septembre [9] ont publié des déclarations conjointes sur la nécessité urgente de réformer le bilan déplorable des Émirats arabes unis en matière de droits humains. Depuis plus de cinq ans, les communications d’Amnesty International avec le gouvernement émirien sur des questions urgentes relatives aux droits humains sont restées sans réponse. Le gouvernement rejette [10] tout dialogue sur son bilan de cette année.