Dans un nouveau rapport, Amnesty International conclut que Pfizer, qui a récemment déclaré s’attendre à engranger 31 milliards d’euros grâce à ses ventes de vaccins pour cette année seulement, déforme la réalité afin de redorer l’image de l’entreprise. Pfizer assure accorder la priorité à une distribution équitable de ses vaccins et prétend s’engager à partager son savoir-faire et ses connaissances scientifiques – mais la vérité est toute autre.
« Nous sommes toujours plongés dans une crise sanitaire mondiale et des droits humains sans précédent et tous les pays du globe doivent avoir accès aux vaccins dès que possible. Pfizer affirme s’être engagé à fournir des doses aux pays à revenu faible et intermédiaire, mais les chiffres racontent une autre histoire. Le fait est que l’entreprise continue de privilégier les profits », a déclaré Patrick Wilcken, responsable du programme Entreprises, sécurité et droits humains d’Amnesty International.
« Nous sommes toujours plongés dans une crise sanitaire mondiale et des droits humains sans précédent et tous les pays du globe doivent avoir accès aux vaccins dès que possible »
Les dirigeant·e·s de Pfizer clament haut et fort que d’ici la fin de l’année, la multinationale basée aux États-Unis aura fourni au moins un milliard de doses aux « nations à revenu faible et intermédiaire [1] ».
Pourtant, le discours est trompeur. La Banque mondiale répartit les économies du monde en quatre groupes à des fins d’analyses : faible revenu, revenu intermédiaire de la tranche inférieure, revenu intermédiaire de la tranche supérieure et revenu élevé. Or, dans ces déclarations, Pfizer amalgame les pays à revenu faible, intermédiaire de la tranche inférieure et intermédiaire de la tranche supérieure – soit plus de 84 % de la population mondiale – en un seul groupe et les désigne sous le terme nations « à revenu faible et intermédiaire ». Dans cette catégorie très large, la majeure partie des doses du vaccin Pfizer ont en fait atterri dans les pays à revenu « intermédiaire de la tranche supérieure » comme la Malaisie, le Mexique et la Thaïlande.
Selon Pfizer, à la fin du mois de septembre, l’entreprise avait expédié au total deux milliards de doses. Dans une lettre adressée à Amnesty International en novembre, elle a reconnu que sur ces deux milliards, 154 millions de doses seulement – moins de 8 % du total – avaient atteint 42 pays à revenu faible et à revenu intermédiaire inférieur. Elle a indiqué avoir distribué moins de 10 % de ces doses (soit 15,4 millions) à des pays à faible revenu.
« Ces entreprises peuvent tenter de manipuler les faits, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : elles continuent d’expédier la majeure partie de leurs doses dans les régions riches du globe », a déclaré Patrick Wilcken.
Les allégations de Pfizer qui s’est « engagé à partager [nos] outils et connaissances scientifiques » offrent un contraste saisissant avec le refus de l’entreprise de rejoindre le Groupement d’accès aux technologies contre la COVID-19 (C-TAP), mis en œuvre pour regrouper les données et les connaissances, et de participer au centre de transfert technologique pour les vaccins à ARNm de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en Afrique du Sud, ce qui retarde fortement le développement de sites de production en Afrique.
« Ces entreprises peuvent tenter de manipuler les faits, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : elles continuent d’expédier la majeure partie de leurs doses dans les régions riches du globe »
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 4,4 % seulement des habitant·e·s du continent sont pleinement vaccinés et la population a donc grand besoin d’avoir accès aux vaccins. Pfizer fait activement pression contre la dérogation à l’Accord sur les ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui permettrait de libérer provisoirement les droits de la propriété intellectuelle et ainsi d’étendre la capacité de production de vaccins anti-COVID-19 dans le monde.
Par ailleurs, alors que Pfizer assure que les coûts de développement et de fabrication liés au vaccin anti-COVID-19 sont entièrement autofinancés, l’entreprise a bénéficié de précommandes des pays parmi les plus riches de la planète et d’un financement public important perçu par son partenaire allemand BioNTech.
Pfizer n’est pas seule à faire preuve de tels manquements. Les autres fabricants de vaccins contre le COVID-19 européens et américains, BioNTech, Moderna, Johnson & Johnson et AstraZeneca, bloquent tous le partage de technologie et font du lobbying contre la dérogation à l’Accord sur les ADPIC.
Selon les données fournies par Airfinity, société d’analyse des données scientifiques, Moderna et Johnson & Johnson présentent également un piètre bilan en matière de distribution équitable des vaccins. Environ 96 % des vaccins de Moderna continuent d’être livrés dans les pays à revenu élevé et à revenu intermédiaire de la tranche supérieure.
« Il ne reste plus que 50 jours avant la fin de l’année, et il n’est pas trop tard pour que ces géants pharmaceutiques changent de cap »
Au cours des 50 derniers jours, seules 100 000 des 52 millions de doses fournies sont arrivées dans des pays à faible revenu. La répartition de Johnson & Johnson est tout aussi inadéquate. Selon Airfinity, Johnson & Johnson n’a livré que 11 % de ses vaccins à des pays à faible revenu, et 5 % à des pays à revenu intermédiaire inférieur, les 84 % restants ayant été fournis à des pays à revenu intermédiaire supérieur et à revenu élevé.
« Il ne reste plus que 50 jours avant la fin de l’année, et il n’est pas trop tard pour que ces géants pharmaceutiques changent de cap, fassent ce qui est juste et s’acquittent de leurs responsabilités en termes de droits humains. Aussi doivent-ils intensifier la distribution équitable et veiller à ce que la moitié des doses qu’ils vont produire d’ici la fin de l’année 2021 soient allouées à ces pays, a déclaré Patrick Wilcken.
« En agissant maintenant, ils peuvent contribuer à vacciner 1,2 milliard de personnes supplémentaires dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire inférieur d’ici à la fin de l’année – et ainsi sauver au moins 2 millions* de vies. »
Amnesty International soutient l’objectif de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui vise à vacciner 40 % des habitant·e·s des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur d’ici fin 2021, dans le cadre de sa campagne 100 jours pour rattraper le retard : deux milliards de doses maintenant !, qui engage les États et les entreprises pharmaceutiques à agir d’urgence pour atteindre cet objectif vital.
« En agissant maintenant, ils peuvent contribuer à vacciner 1,2 milliard de personnes supplémentaires dans les pays à revenu faible »
Pour y parvenir, les laboratoires pharmaceutiques doivent allouer 50 % des vaccins qu’ils produisent entre le 21 septembre et le 31 décembre 2021 à des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur, les États doivent redistribuer les centaines de millions de doses en surplus dont ils disposent dans leurs stocks et les États et les laboratoires pharmaceutiques doivent augmenter la production mondiale de vaccins anti-COVID en partageant connaissances et technologie.
Durant le mois de novembre, Amnesty International organisera des manifestations devant les bureaux des laboratoires pharmaceutiques à travers le monde, dont Pfizer, appelant l’entreprise à cesser de bloquer l’accès aux vaccins, à partager et à sauver des vies.
La campagne d’Amnesty International 100 jours pour rattraper le retard invite les États et les entreprises pharmaceutiques à partager les vaccins avec les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur, pour que des millions d’autres personnes puissent être protégées contre le virus du COVID-19 en 2021. Agissez maintenant !