« Pour qu’une politique de protection des défenseur·e·s des droits humains puisse être efficace, les autorités doivent tout d’abord reconnaître publiquement la légitimité du travail de ces personnes, et leur proposer un environnement leur permettant de mener leur action dans des conditions sûres », a déclaré María José Veramendi, spécialiste de l’Amérique du Sud à Amnesty International.
Un an après avoir publié le rapport intitulé No nos van a detener, qui a mis en évidence les manquements du ministère public face à une série d’agressions et de menaces de mort ayant visé Patricia Gualinga, Nema Grefa, Salomé Aranda et Margoth Escobar, membres du Collectif des femmes amazoniennes, Amnesty International constate que ces enquêtes n’ont guère avancé.
« Nous sommes des femmes de paix, mais nous sommes aussi comme une ruche, si on touche à l’une d’entre nous, nous sommes toutes affectées »
« Nous voulons que justice soit faite et que nos droits soient respectés », a déclaré le Collectif des femmes amazoniennes aux autorités équatoriennes. « Nous sommes des femmes de paix, mais nous sommes aussi comme une ruche, si on touche à l’une d’entre nous, nous sommes toutes affectées. Tant qu’il y aura des violations des droits humains et des atteintes à notre territoire, nous serons là. »
Le 9 mars, des représentant·e·s d’Amnesty International et des membres du Collectif des femmes amazoniennes ont remis au directeur du service Droits humains du parquet général de l’État, Daniel Eduardo Vejar Sánchez, plus de 250 000 signatures recueillies dans au moins 168 pays, l’exhortant à :
* faire en sorte que les enquêtes sur les agressions et menaces dont Patricia Gualinga, Nema Grefa, Salomé Aranda et Margoth Escobar ont été victimes, progressent dans les meilleurs délais, et soient exhaustives, indépendantes et impartiales ;
* étudier la possibilité que ces attaques puissent avoir été motivées par l’action de ces femmes en faveur des droits humains, à identifier tous les auteurs présumés, qu’ils aient commandité ou perpétré ces actes, et à les traduire en justice ;
* concevoir et mettre en œuvre un Protocole d’enquête sur les infractions commises contre les défenseur·e·s des droits humains, afin de renforcer la coordination entre les mécanismes et autorités chargés de mener à bien les enquêtes.
Le parquet a concédé qu’il existe « des lacunes dans la prise en charge de ce type de cas ». Amnesty International a indiqué au parquet que les axes de recherche et que les mesures de protection que les autorités ont proposées aux victimes continuent à négliger la possibilité que les agressions soient liées au travail des défenseur·e·s, qui est susceptible de gêner certains intérêts économiques à grande échelle. De même, il manque aux enquêtes une dimension de genre, dans le sens où le rôle de ces femmes, en tant que dirigeantes indigènes et défenseures des droits humains, pourrait être perçu de manière négative parce qu’il rompt avec les stéréotypes de genre imposés aux femmes.
Le parquet général a annoncé que ses services travaillaient actuellement sur des lignes directrices internes relatives aux enquêtes sur les cas dans lesquels la victime est une personne qui défend les droits humains. Il a aussi donné des informations détaillées sur chacune des enquêtes actuellement au point mort. Amnesty International a par ailleurs souligné le fait que la responsabilité de l’ouverture des enquêtes et de la progression des procédures relevait de l’État, et ne doit pas échoir aux victimes.
Amnesty International et le Collectif des femmes amazoniennes se félicitent de l’engagement pris par divers services du parquet - la direction des Droits humains, la direction du Contrôle juridique et la direction du Système de protection des victimes -, de se rendre dans la province de Pastaza - où se sont déroulés les faits et où les enquêtes sont en cours - durant la dernière semaine de mars afin de voir sur place où en sont les enquêtes.
Dès le début de la campagne de protection du Collectif femmes amazoniennes, Amnesty International a demandé à l’État équatorien de concevoir et d’appliquer une politique publique de protection des défenseur·e·s des droits humains, et de véritablement garantir la participation à ce projet des personnes et communautés concernées.
À ce sujet, Cecilia Chacón, secrétaire des Droits humains, a annoncé qu’elle dirigerait un groupe de travail représentant diverses institutions parmi lesquelles le ministère public, le Conseil de la magistrature, le ministère de l’Intérieur et le bureau du médiateur, qui concevra un plan de protection des défenseur·e·s qu’il espère finaliser avant octobre 2020.
La nécessité de cette politique a été mise en relief dès 2019, quand Amnesty International a pris connaissance avec inquiétude de plusieurs cas de violations des droits fondamentaux de défenseur·e·s des droits humains, notamment la procédure pénale intentée à Ola Bini, défenseur des droits numériques, et l’ingérence indue du gouvernement dans cette affaire, ainsi que le vol d’informations et les manœuvres de harcèlement dénoncés par des organisations telles qu’Acción Ecológica et la Fondation Pachamama, qui soutiennent les personnes œuvrant à la protection de la région amazonienne face aux intérêts politiques et économiques liés à des projets d’exploitation sur les terres indigènes.
Amnesty International a également attiré l’attention sur les violations des droits humains commises dans le contexte des grèves nationales d’octobre dernier. En procédant à l’examen immédiat d’éléments de preuve audiovisuels, l’organisation a identifié cinq cas illustrant la question du recours illégal à la force par les représentants de l’État durant les manifestations. Lors de ces événements, des policiers ont bousculé et frappé des participant·e·s ou utilisé du gaz lacrymogène sur la foule de manière injustifiée et disproportionnée, et ont fait des blessés.
Amnesty International a rencontré l’Alliance des organisations de défense des droits humains, composée de la Comisión Ecuménica de Derechos Humanos (Cedhu), du Comité Permanente por la Defensa de los Derechos Humanos (CDH), de la Fundación Regional de Asesoría en Derechos Humanos (INREDH), de Surkuna, de la Fundación Idea Dignidad et d’Amazon Frontlines. Ensemble, ils ont dénoncé l’absence de progrès dans les enquêtes sur les homicides survenus dans le contexte de la grève nationale. Plusieurs organisations membres de l’Alliance ont affirmé avoir été victimes de harcèlement et de menaces pour avoir dénoncé des atteintes aux droits humains commises durant la grève. Dans le même esprit, Jaime Vargas, président de la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE), a déclaré à Amnesty International que l’« État doit cesser de considérer la CONAIE comme son ennemie ».
Amnesty International a par ailleurs déploré que le médiateur du peuple ait été victime de menaces de mort, et que le travail crucial mené par l’institution qu’il dirige ait fait l’objet d’attaques durant le mouvement national.
Freddy Carrión, le médiateur, a évoqué « la régression en matière de protection des droits humains » en Équateur, et a signalé que bien qu’il ait rapidement porté plainte au sujet des menaces de mort proférées à son encontre, le parquet n’a pas ouvert dans les meilleurs délais d’enquête rigoureuse et efficace qui permette de retrouver les responsables.
« L’impunité est le dénominateur commun entre les violations des droits humains perpétrées lors des grèves d’octobre, et les agressions et menaces dont les membres du Collectif des femmes amazoniennes sont victimes. Tant que les autorités s’abstiendront de mener des enquêtes et de sanctionner les responsables, il existe un risque que ces faits se reproduisent, ce qui porte atteinte aux droits des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations », a déclaré María José Veramendi.