Le partage des responsabilités au sein de l’Union européenne
L’Union européenne (UE) a établi un mécanisme dédié à la collecte d’informations et à la coordination de la réaction opérationnelle face aux déplacements depuis l’Ukraine - la Plateforme de solidarité - qui rassemble les États membres, la Commission européenne et diverses agences de l’UE. Les États membres sont censés communiquer chaque jour sur le nombre de personnes qu’ils ont accueillies, sur leur capacité d’accueil, sur la possibilité de renforcer celle-ci, sur le type de soutien dont ils ont besoin, etc. La Plateforme de solidarité a pour objectif de faciliter la mobilisation d’instruments pertinents de l’UE (financements, Mécanisme de protection civile de l’Union, soutien des agences de l’UE), de faire correspondre les offres de solidarité avec les besoins identifiés, et d’organiser les transferts de personnes entre États membres et, lorsque cela est approprié, vers des pays tiers.
Pour les personnes arrivant d’Ukraine, l’UE a activé la directive pour l’octroi d’une protection temporaire [3], au titre de laquelle les personnes pouvant y prétendre (les ressortissant·e·s ukrainiens et leur famille ; les ressortissant·e·s d’autres pays ayant obtenu le statut de réfugié·e ou un titre de séjour permanent en Ukraine) se voient accorder une protection immédiate prenant la forme d’un permis de séjour et des droits associés au logement, à l’accès au marché de l’emploi, à la santé et à l’éducation. Les personnes bénéficiant de ce statut n’ont pas besoin de se soumettre à la procédure individualisée destinée aux demandeurs et demandeuses d’asile, sauf si elles le choisissent. L’application de la directive aux ressortissant·e·s de pays autres que l’Ukraine également déplacés par le conflit en Ukraine est laissée à l’appréciation des États membres de l’UE.
Avant même la mise en œuvre de la directive de protection temporaire, les Ukrainien·ne·s pouvaient se rendre dans l’UE sans visa. Ils peuvent donc se déplacer librement dans la zone Schengen après être entrés dans l’UE, et se rendre dans l’État membre où ils souhaitent bénéficier de cette protection temporaire. Beaucoup ont déjà rejoint des membres de leur famille et d’autres proches à travers les réseaux étendus de la diaspora ukrainienne existant dans l’Union européenne. Les lignes directrices de la Commission sur la mise en œuvre de la protection temporaire [4] recommandent que les États membres de première entrée délivrent également un visa permettant de circuler librement aux ressortissants de pays tiers ayant droit à une protection temporaire. La Plateforme de solidarité doit coordonner l’assistance relative au transfert de personnes n’ayant pas les moyens de se rendre dans l’État membre où elles souhaitent bénéficier d’une protection temporaire.
Afin de garantir un partage efficace des responsabilités au sein de l’UE, les États membres doivent :
– Coopérer d’une manière efficace et transparente au sein de la Plateforme de solidarité mise en place par la Commission européenne, de sorte à faciliter le partage des responsabilités concernant les personnes fuyant l’Ukraine.
– Augmenter le nombre de places d’accueil offertes, conformément aux besoins croissants et variés.
– Convenir qu’il est nécessaire d’accorder la capacité d’accueil au nombre d’habitant·e·s et à la situation économique du pays.
– Exercer leur pouvoir de décision concernant l’application de la directive pour une protection temporaire aux ressortissant·e·s d’autres pays également déplacés par le conflit en Ukraine.
Partage des responsabilités au-delà de l’Union européenne
Les États membres de l’UE et pays partenaires soutiennent actuellement la Moldavie en s’engageant et en effectuant les transferts de réfugié·e·s jusqu’à leur territoire. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) détermine actuellement quels réfugié·e·s doivent être transférés, selon des critères de « vulnérabilité ». Le gouvernement des États-Unis s’est par ailleurs engagé à accueillir jusqu’à 100 000 réfugié·e·s venus d’Ukraine, par des voies incluant le programme américain d’accueil des réfugié·e·s, les mesures d’exception humanitaire et des visas d’immigrant et de non-immigrant. Afin de garantir le partage des responsabilités, tous les États doivent :
– Proposer de nouvelles solutions sûres et régulières pour que les personnes fuyant l’Ukraine souhaitant obtenir une protection internationale puissent le faire de manière aussi rapide et sûre que possible, et aient accès sans entrave à leur territoire et aux procédures de demande d’asile.
– Proposer un nombre adéquat de visas humanitaires afin de répondre de manière adaptée aux besoins croissants des personnes fuyant l’Ukraine et des Ukrainien·ne·s se trouvant dans les pays voisins et autres pays d’accueil.
– Expédier le traitement de toutes les autres demandes de visa, y compris de travail, d’étude et de regroupement familial pour les personnes fuyant l’Ukraine et les Ukrainien·ne·s se trouvant dans les pays voisins et autres pays d’accueil.
– Apporter une contribution économique, technique et humaine digne de ce nom afin de répondre aux besoins humanitaires des personnes fuyant l’Ukraine.
– Dans le cas d’un transfert de personnes vers un autre État afin de soutenir le partage des responsabilités, prendre en considération certains éléments spécifiques, comme :
- Le consentement éclairé des personnes concernées.
- Leur famille et les liens plus larges avec les communautés du pays de destination.
- La disponibilité de services de soutien pour les mineur·e·s non accompagnés ou les enfants séparés de leur famille, les personnes présentant un handicap, les victimes de la traite, les personnes âgées et d’autres groupes marginalisés, selon les besoins.
– Augmenter de manière significative les promesses de réinstallation pour faire face à la crise et aux situations de déplacement, conformément aux priorités identifiées par le HCR.
Garantir une assistance durable aux personnes fuyant l’Ukraine
Les bénévoles et les ONG ont relevé le défi consistant à fournir une assistance vitale aux personnes fuyant l’Ukraine. Ils ont notamment fourni de la nourriture, des hébergements, des services d’interprétariat, et la possibilité d’effectuer des trajets gratuits à travers l’Europe. Il n’est cependant pas possible de dépendre durablement des bénévoles. L’ampleur des besoins dans tous les secteurs de la société - logement, éducation, santé, accès au marché du travail, etc. - est énorme et requiert la participation active de nombreuses autorités locales, régionales et centrales : les autorités sanitaires, les services sociaux et l’aide à l’emploi, les services de protection de l’enfance, les structures de garde d’enfants, les établissements scolaires, etc. La contribution d’acteurs privés à l’assistance fournie aux personnes fuyant l’Ukraine ne peut se substituer au rôle du gouvernement dans la mise à disposition de services essentiels à l’exercice des droits humains.
À plus long terme, une démarche engageant l’ensemble de la société, faisant intervenir le secteur privé, des organisations de la société civile, les ONG et divers milieux professionnels (juridique, sanitaire, éducatif) sera la plus indiquée pour la pleine inclusion des nouveaux arrivant·e·s. Les États prévoyant d’inclure des offres de solidarité venant de particuliers, d’entreprises et de communautés dans leur réponse face aux arrivées en provenance d’Ukraine doivent garantir qu’ils respecteront leur obligation de protéger toutes les personnes se trouvant sous leur responsabilité contre les abus que pourraient commettre des acteurs privés.
Les pays doivent prendre des mesures volontaristes afin de garantir que les propositions d’assistance émanant de bénévoles, d’ONG et des autorités d’État respectent les principes d’égalité et de non-discrimination. Ils doivent garantir que les personnes fuyant l’Ukraine qui appartiennent à des groupes racisés tels que les Roms, les personnes d’origine africaine ou asiatique, ne soient pas victimes de discours et de traitements discriminatoires, et bénéficient d’un accès égal au soutien et aux services proposés.
Les autorités centrales et locales des pays d’accueil doivent :
– Garantir l’enregistrement de tous les nouveaux arrivants, un stockage sûr de leurs données personnelles et des échanges d’informations avec les autorités d’autres pays, notamment en vue d’un regroupement familial. Cela doit être accompli par le biais de l’application de politiques adaptées de protection et de confidentialité des données, conformément au droit international relatif aux droits humains et aux normes associées, en particulier les principes de nécessité, de proportionnalité et de confidentialité.
– Fournir dans les meilleurs délais des titres de séjour pour la durée de la protection garantie et délivrer des papiers ou d’autres attestations équivalentes permettant de prouver le statut auprès des agences pour l’emploi, des écoles, des hôpitaux et d’autres services, en particulier ceux qui donnent accès aux prestations de sécurité sociale. Faire en sorte que les procédures administratives pour le renouvellement de ces documents soient équitables, aisément accessibles et efficaces.
– Mettre en place des mesures spécifiques de protection pour les groupes exposés à un risque particulièrement élevé de violations des droits humains, notamment les mineur·e·s, les personnes âgées, les victimes de torture et de traite, etc. Nommer des tuteurs/tutrices légaux ou représentant·e·s légaux pour les mineur·e·s non accompagnés.
– Fournir des informations sur les risques de traite, mettre en place des numéros de téléphone d’urgence, sensibiliser les professionnel·le·s clés, former les organes d’application des lois et du contrôle aux frontières qui sont concernés, et garantir que les mécanismes nationaux d’orientation soient pleinement opérationnels afin d’améliorer la capacité à identifier, aider et soutenir les victimes de traite dans les meilleurs délais.
– Veiller à ce que les personnes fuyant l’Ukraine ne soient pas victimes d’exploitation et de pratiques injustes de la part d’employeurs, notamment en renforçant les inspections du travail et en effectuant un suivi dans les secteurs à haut risque.
– Élaborer des plans à long terme afin de garantir un accès égal à des logements décents, un soutien psychosocial, l’éducation, des soins de santé, la sécurité sociale et d’autres services si nécessaire.
– Établir des partenariats solides avec des ONG et les communautés afin de fournir une réponse coordonnée, en garantissant un suivi des offres volontaires d’assistance de la part d’acteurs privés ; investir dans une infrastructure efficace dans une optique de responsabilisation, de coordination et de communication ; et mener des évaluations régulières pour s’assurer de l’intégrité et de la qualité de l’assistance fournie.
– Mettre en place un système standardisé d’enregistrement institutionnel des acteurs privés proposant transports, hébergement ou d’autres formes d’assistance aux personnes fuyant l’Ukraine. Ce système doit : permettre de confirmer leur identité, de consulter leurs antécédents et d’employer d’autres mesures de précaution et de vérification ; et appliquer des consignes pertinentes en matière de protection et de confidentialité des données, en particulier concernant les principes de nécessité, de proportionnalité et de confidentialité.
– Soutenir - en matière d’information, de médiation et de formation - les acteurs privés qui se sont engagés à proposer accueil et assistance aux personnes fuyant l’Ukraine.
– Faire en sorte que les offres privées de structures et de services soient conformes à la réglementation et aux normes respectées par les structures et services offerts par le gouvernement. Créer un organisme de surveillance habilité à recevoir des plaintes, à gérer les différends et, dans le cas de la survenue de problèmes, à assumer la responsabilité de veiller à ce que les besoins des personnes ayant fui l’Ukraine soient satisfaits et que des mesures correctives soient appliquées. Tout mécanisme chargé de recevoir des plaintes doit être accessible à tous et toutes, qu’il s’agisse de la procédure elle-même ou de la forme qu’elle prend, notamment aux personnes les plus exposées à un risque de violations des droits humains.
– Couvrir pleinement le coût financier des hébergements, des soins de santé physique et mentale, de l’éducation et de la garde des enfants, ainsi que de tous les autres services nécessaires au plein exercice des droits humains. Les réfugié·e·s aidés par des acteurs privés doivent aussi bénéficier d’un accès plein et égal aux services proposés par le gouvernement, notamment des cours de langue pour adultes.
– Garantir une cohérence de la chronologie de la prise en charge et des niveaux de soutien pour l’ensemble des réfugié·e·s, quel que soit leur pays d’origine ou la manière dont ils sont arrivés.