France : le droit de manifester - témoignage de journalistes

Ces derniers mois en France, les journalistes n’ont pas été épargnés par les violences et usage disproportionné de la force qui émaille les manifestations.

Au cours de notre enquête sur le droit de manifester en France, nous avons recueilli de nombreux témoignages de journalistes et de personnes couvrant de manière indépendante les manifestations qui ont été délibérément empêchés de filmer ou de photographier ou qui ont été délibérément pris pour cible, de manière violente, par les forces de l’ordre.

Joël et Nathalie, 17 mai 2016 / manifestation loi travail à Paris

Joël et Nathalie, deux cinéastes indépendants, réalisent un documentaire et filment la manifestation. Ils arrivent place Denfert-Rochereau peu avant 16h30, alors que des affrontements ont lieu entre la police et les manifestants. Peu de temps après, Joël filme la violente arrestation de Paco (dont le témoignage est également disponible dans le rapport). C’est alors qu’un policier qui se tenait à dix ou quinze mètres de Joël tire une grenade dans sa direction. Joël nous a déclaré que la grenade l’avait atteint à l’intérieur de la cuisse et que la police avait tiré au moins deux grenades supplémentaires dans sa direction, mais qu’il avait réussi à les éviter.

« Je n’ai pas d’autres explications que d’avoir été visé volontairement car je filmais l’interpellation violente d’un manifestant. Il n’y avait pas d’autres manifestants autour de moi, ils étaient à au moins 20-30 mètres à l’arrière et ils étaient en train de se disperser » Joël.

Le 23 mai, Joël a déposé une plainte auprès de l’antenne parisienne de l’IGPN. Il a expliqué à Amnesty International que les autorités de police n’ont pas voulu accepter sa plainte et que son avocat avait dû leur parler deux fois avant qu’elles l’enregistrent finalement.

Le 24 mai, l’unité médico-judiciaire de l’hôpital de l’Hôtel Dieu a expliqué à Joël qu’il avait été blessé par une grenade lacrymogène qui avait rebondi sur le sol avant de frapper sa cuisse. On lui a prescrit une incapacité totale de travail de cinq jours. Au moment de la publication de notre rapport (mai 2017), Joël a informé Amnesty International qu’un témoin avait été convoqué par l’IGPN et qu’il n’avait pas reçu davantage d’informations relatives à l’enquête le concernant.

Vincent, 2 juin 2016 / manifestation loi travail à Rennes

Le 2 juin, Vincent, un photographe indépendant, participe à un rassemblement public contre la Loi Travail avec d’autres journalistes dont Linda et Emmanuel. Ils sont clairement identifiés en tant que tels par des brassards et des casques, ainsi que par leur matériel. Après le défilé, ils décident de suivre les 300 manifestants qui se rendent sur la rocade du périphérique de Rennes pour ralentir la circulation. Selon leurs témoignages, quatre ou cinq camions de la Compagnie Départementale d’Intervention sont arrivés par derrière à grande vitesse, ils ont vaporisé des gaz lacrymogènes sur certains manifestants depuis les fenêtres puis se sont garés en diagonale dans la rue, afin que les manifestants ne puissent pas atteindre l’entrée du périphérique.

« Les policiers sont descendus des camions et ils ont commencé à frapper tout le monde avec des coups de matraque. Un policier qui était derrière moi m’a dépassé, s’est mis devant moi et m’a donné un coup de matraque sur mon casque. Je suis tombé par terre. » Emmanuel

Emmanuel nous a confirmé qu’au moins deux agents des forces de l’ordre l’avaient frappé trois fois avec des matraques.

Vincent, Emmanuel et un autre photographe ont déposé une plainte directement auprès de l’IGPN à propos de ce qui semblait représenter un usage non nécessaire de la force par la police.

Le 23 mars, le parquet de Rennes a informé Emmanuel que l’enquête avait identifié un fonctionnaire de police qui l’avait frappé avec une matraque. Ce dernier a déclaré qu’il ne s’était pas rendu compte qu’Emmanuel était journaliste et que le recours à la force s’était avéré nécessaire. Le parquet a classé cette affaire sans suite.

Mariana 5 juillet 2016 / manifestation loi travail à Paris

Mariana, cinéaste indépendante, filme le confinement de manifestants pacifiques sur le pont de la Concorde en face de l’Assemblée Nationale. Elle est accompagnée de deux collègues. Après un moment, les policiers lui demandent de présenter sa carte de presse :

« Je leur ai dit que j’étais cinéaste et que je n’avais pas de carte de presse. Ils m’ont dit qu’un arrêté préfectoral interdisait de filmer. À un certain moment, un groupe de quatre ou cinq CRS s’est dirigé vers moi et j’entends dire ’’celle-là, on l’arrête’’. » Marina

Le 8 novembre, elle a déposé une plainte auprès de l’antenne parisienne de l’IGPN pour l’avoir empêchée de remplir ses obligations professionnelles. Au moment de la publication de ce rapport (mai 2017), l’IGPN avait convoqué deux témoins membres de l’équipe de Mariana ce jour-là. Mariana n’avait pas reçu davantage d’informations relatives à une quelconque enquête suite à son dépôt de plainte.

Fred 5 juillet 2016 / manifestation loi travail à Paris

Le 5 juillet, Fred, un cinéaste indépendant, était en train de filmer le confinement de manifestants sur le pont de la Concorde (voir chapitre 3.3.1). Fred explique :

« Les policiers avaient remarqué que je filmais sur le parapet du pont et m’ont demandé d’arrêter plusieurs fois. Puis, vers 21 heures, j’ai arrêté de filmer. Quand finalement les manifestants peuvent partir, on m’arrête, je reçois des coups de matraque à la nuque. » Fred

Fred a été accusé de rébellion, d’insulte et de menace à l’encontre d’un fonctionnaire de l’État, ainsi que de violence contre un fonctionnaire de l’État (crachat). Le 7 février, cinq témoins ont déclaré au tribunal que Fred n’avait ni insulté ni craché sur les policiers. Une vidéo tournée par Mariana Otero (voir son témoignage ci-dessus) ne montrait aucune action violente perpétrée par Fred lors de son interpellation par la police. Malgré cela, le 7 mars, le tribunal de grande instance de Paris l’a condamné à une peine statutaire de six mois d’emprisonnement ferme.

Le droit de chercher, recevoir et communiquer des informations est un élément fondamental du droit à la liberté d’expression et constitue un des socles des régimes démocratiques par la mise à disposition d’informations indépendantes sur les affaires publiques, y compris sur les manifestations et les opérations de maintien de l’ordre.

Les autorités doivent garantir l’exercice de ce droit et la liberté d’informer en interdisant toute ingérence dans le recueil, l’enregistrement et la diffusion de ces informations. Les forces de l’ordre doivent ainsi veiller autant que possible à la sécurité des journalistes et en aucun cas être une source de violence à leur encontre. La possession d’une carte de presse ne peut en aucun cas constituer un critère pour différencier des journalistes ayant ou non le droit de couvrir ces événements.

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