Irak, enlèvements d’hommes et d’adolescents par des milices proches du gouvernement

photo d'enfants et d'homme et documents d'identité

Les autorités irakiennes doivent prendre des mesures concrètes afin de faire la lumière sur le sort qui a été réservé à 643 hommes et adolescents victimes de disparitions forcées en juin 2016 aux mains des Unités de mobilisation populaire, dans le cadre d’opérations militaires menées pour reprendre Fallouja au groupe armé se faisant appeler État islamique (EI), a déclaré Amnesty International, alors que sept années se sont écoulées depuis leur enlèvement.

Les Unités de mobilisation populaire regroupent de vastes milices bien établies, officiellement reconnues comme une composante des forces armées irakiennes.

« Cela fait sept ans que le Premier ministre de l’époque Haïdar Al Abadi a mis sur pied une commission chargée d’enquêter sur ces disparitions et d’autres violations commises par les Unités de mobilisation populaire en marge des opérations de Fallouja. Jusqu’à présent, cette commission n’a rendu aucune de ses conclusions publiques et personne n’a été amené à rendre des comptes, a déclaré Aya Majzoub, directrice adjointe pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.

« Les victimes de disparitions forcées ne sont pas seulement les personnes qui ont disparu, mais aussi leurs familles, qui vivent dans l’angoisse de ne pas savoir ce qui est arrivé à leurs proches. De multiples gouvernements n’ont pas apporté à ces familles les réponses auxquelles elles ont droit et ne leur ont pas accordé de réparations. En vue de mettre fin au règne de l’impunité en Irak, le gouvernement doit rendre publiques les conclusions de la commission d’enquête, veiller à ce que toutes les informations sur le sort ou le lieu où se trouvent ces hommes et adolescents disparus soient transmises aux familles et à ce que les éléments de preuve soient transmis aux autorités judiciaires en vue de juger les responsables dans le cadre de procès équitables, en excluant tout recours à la peine de mort. »

« À ce jour, nous ignorons tout de ce qui leur est arrivé »

Début juin 2016, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants fuyant la région de Saqlawiya, dans la province d’Al Anbar, se sont retrouvés nez à nez avec des hommes armés de mitrailleuses et de fusils d’assaut. Des témoins les ont identifiés comme étant des membres des Unités de mobilisation populaire, d’après les emblèmes présents sur leurs uniformes et leurs drapeaux.

D’après l’investigation menée en 2016 par Amnesty International, ces hommes armés ont embarqué une partie des hommes et des adolescents capturés à bord de bus et d’un grand camion. On ignore toujours ce qu’il est advenu des personnes emmenées à bord de ces véhicules. Les familles des disparus ont maintes fois tenté au fil des ans de faire pression sur les autorités pour qu’elles enquêtent, sans obtenir de réponse.

Comptant parmi les personnes capturées par les Unités de mobilisation populaire le 3 juin 2016, une femme a déclaré qu’au moins six autres membres de sa famille ont été enlevés. Son époux et l’un de ses frères sont toujours portés disparus : « Il n’y a pas de plus grand drame que de perdre un être cher. Nous avons perdu nos proches, nos maris, nos oncles, nos pères. Tout le monde est parti. Je ne me souviens de rien d’autre que de la tristesse. »

Elle a été relâchée le jour de son enlèvement et quatre de ses frères ont été libérés trois jours plus tard. Selon son témoignage, ses frères ont été torturés jour et nuit ; ils ont vu des membres des Unités de mobilisation populaire enterrer des gens vivants et ont entendu les cris des personnes torturées.

D’après une autre femme dont les proches ont été enlevés par des hommes armés à bord de véhicules des Unités de mobilisation populaire le 2 juin 2016, 15 membres de sa famille, dont son époux, son frère et son fils, sont toujours portés disparus. Malgré ses efforts, les autorités n’ont rien fait et n’ont accordé aucune réparation à la famille.

« Nous avions une vie heureuse... S’ils pouvaient m’entendre, je leur dirais que ça suffit maintenant, ils doivent revenir. Nous sommes fatigués. Nous avons besoin de vous, car la vie ne vaut pas la peine d’être vécue sans vous. Vos enfants ont besoin de vous et demandent de vos nouvelles. Si seulement vous pouviez revenir... Je suis prête à tout oublier et à oublier cette immense douleur, à recommencer une nouvelle vie et à retrouver le bonheur, si seulement. »
Selon le Comité des disparitions forcées de l’ONU, en Irak, on estime qu’entre 250 000 et un million de personnes ont disparu depuis 1968, ce qui en fait l’un des pays au monde comptant le plus grand nombre de personnes disparues.

Pas de mesures concrètes pour enquêter sur les disparitions

Le 5 juin 2016, le bureau du Premier ministre de l’époque Haïdar al Abadi a mis sur pied une commission chargée d’enquêter sur les disparitions et autres violations perpétrées dans le cadre des opérations militaires visant à reprendre Fallouja, y compris par les Unités de mobilisation populaire. Il a également chargé le gouvernement local d’Anbar d’établir une commission d’enquête séparée qui, le 11 juin 2016, a publié ses conclusions, adressées au Premier ministre : 643 hommes et adolescents de la région de Saqlawiya étaient portés disparus. Les familles des personnes disparues assurent que le nombre réel est plus élevé.

Depuis cette date, on ignore quelles sont les mesures que la commission mise sur pied par l’ancien Premier ministre a prises pour enquêter efficacement sur les disparitions et elle n’a rendu publique aucune de ses conclusions. Selon les organisations de défense des droits et les familles, celles-ci n’ont obtenu aucune information officielle. À ce jour, les autorités irakiennes gardent le silence au sujet des mesures qu’elles prennent pour remédier à ces violations, enquêter dessus, rendre justice aux victimes et leur accorder des réparations.

Depuis 2016, Amnesty International a maintes fois demandé des informations au sujet de l’avancée de cette investigation, notamment dans des lettres adressées au Bureau du Premier ministre et au ministère des Affaires étrangères le 19 mai 2023. À ce jour, elle n’a pas reçu de réponse détaillée quant au sort réservé aux personnes disparues.

Le 4 avril 2023, le Comité des disparitions forcées de l’ONU a publié un rapport [1] après s’être rendu en Irak en novembre 2022. Il demande à l’Irak d’« inclure immédiatement les disparitions forcées en tant qu’infraction distincte ». Il l’engage également à établir une stratégie globale de recherche et d’enquête sur tous les cas de disparitions, et à renforcer et élargir la capacité médicolégale au niveau national afin de garantir que toutes les victimes aient accès à des procédures d’exhumation et à des services médicolégaux.

L’Irak est tenu de criminaliser les disparitions forcées

Actuellement, la disparition forcée n’est pas un crime en vertu du droit irakien et ne fait donc pas l’objet de poursuites en tant qu’infraction distincte. En tant qu’État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, l’Irak est tenu de criminaliser les disparitions forcées, d’enquêter, de traduire les responsables en justice et de garantir des réparations aux victimes.

L’organisation indépendante de la société civile Al Haq Foundation for Human Rights, basée à Bagdad, a déclaré à Amnesty International : « Le fait de ne pas légiférer pour protéger les personnes contre les disparitions forcées témoigne de l’incapacité à mettre fin aux cas de disparitions forcées. Notre organisation poursuit ses efforts afin de soutenir les voix des victimes et de leurs familles pour dévoiler ensemble la vérité sur le sort de milliers de personnes. »

Amnesty International demande aux autorités d’accorder recours et réparations, notamment des indemnités et des mesures de réadaptation, aux familles des personnes disparues en juin 2016 et d’adopter une législation efficace criminalisant les disparitions forcées, conformément au droit international.

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