Surnommée le « vendredi sanglant » par les Iraniennes et les Iraniens, l’attaque du 30 septembre a marqué le jour le plus meurtrier depuis que les manifestations ont commencé à se propager dans tout le pays il y a près de trois semaines, pour protester contre la mort en détention de Mahsa Amini, arrêtée par la « police des mœurs ».
« Les autorités iraniennes font preuve à répétition d’un mépris absolu pour le caractère sacré de la vie humaine et ne reculeront devant rien pour garder le pouvoir. Le déchaînement de violence des forces de sécurité iraniennes ne doit rien au hasard. Il résulte de l’impunité systématique et de la réponse fort timide de la communauté internationale, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Il est particulièrement odieux de constater que, presque trois ans après les manifestations de novembre 2019, au cours desquelles des centaines de personnes avaient été tuées illégalement, les autorités iraniennes se livrent sans vergogne à de telles atteintes à la vie humaine. Le seul moyen de briser l’impunité qui entretient la commission de tels actes consiste à que les États membres de l’ONU mettent en place un mécanisme indépendant d’enquête et de d’obligation de rendre des comptes pour les crimes les plus graves au regard du droit international commis en Iran. »
Un plan délibéré visant à écraser les manifestations à tout prix
Les manifestations à Zahedan, dans la province du Sistan-et-Baloutchistan, peuplée par la minorité ethnique baloutche opprimée de longue date, devaient avoir lieu après les prières du vendredi 30 septembre, en signe de solidarité avec le mouvement national et pour réclamer justice pour le viol signalé d’une jeune fille de 15 ans par un commandant de police dans la province.
« Le déchaînement de violence des forces de sécurité iraniennes ne doit rien au hasard. Il résulte de l’impunité systématique et de la réponse fort timide de la communauté internationale »
Le 30 septembre, tandis qu’un groupe de personnes finissait de prier au Grand Mosalla de Zahedan, un grand site de prière situé près de la mosquée principale de la ville, et se rassemblait devant le poste de police situé de l’autre côté de la route pour manifester et chanter, des membres des forces de sécurité postés sur le toit du poste ont tiré des balles réelles, des plombs et des gaz lacrymogènes.
En même temps, des membres des forces de sécurité en civil ont ouvert le feu sur les manifestant·e·s et les passant·e·s depuis les toits de maisons voisines – ce que corroborent les photographies relayées par des militant·e·s.
En outre, les forces de sécurité ont tiré illégalement des balles réelles, des plombs et des gaz lacrymogènes en direction du Mosalla, où des centaines de personnes, dont des enfants et des personnes âgées, continuaient de faire la prière du vendredi.
Amnesty International constate une escalade très inquiétante de l’usage de la force et des armes à feu depuis le 21 septembre, lorsque la plus haute instance militaire du pays a adressé aux commandants de toutes les provinces l’ordre de « confronter sévèrement les fauteurs de troubles et les antirévolutionnaires ».
Des tirs à la tête et au cœur
D’après les éléments recueillis par Amnesty International, la majorité des victimes ont été touchées à la tête, au cœur, au cou et au torse, ce qui révèle une intention manifeste de tuer ou de blesser grièvement.
Le 1er octobre, Mawlana Abdolhamid Ismaeelzahi, chef sunnite des prières du vendredi à Zahedan, a raconté la répression dans une vidéo. Selon son témoignage, plus de 40 personnes ont été tuées lorsque les forces de sécurité, postées sur les toits, ont tiré à balles réelles sur un groupe de jeunes manifestant·e·s devant le commissariat de police, ainsi que directement sur le Mosalla, sur des hommes et des femmes en train de prier.
Amnesty International a recensé les noms de 66 personnes tuées lors des événements au Mosalla le 30 septembre, mais pense que le nombre réel de victimes est plus élevé. Elle a également recensé les noms de 16 personnes tuées lors de différentes manifestations dans d’autres quartiers de Zahedan depuis le 30 septembre, et poursuit ses investigations sur ces décès. Parmi les victimes figurent au moins trois enfants : deux ont été tués lors de l’incident au Mosalla le 30 septembre et le troisième lors d’un autre épisode de violence le même jour. Amnesty International enquête sur des informations faisant état d’au moins quatre autres enfants tués à Zahedan depuis le 30 septembre.
Les décès enregistrés par Amnesty International se rapportent uniquement aux victimes dont elle a pu identifier les noms grâce aux informations fournies par des sources primaires directement concernées ou par des militant·e·s baloutches des droits humains. Elle s’est entretenue avec les familles de 21 victimes tuées à Zahedan.
Amnesty International avait déjà recensé les noms de 52 personnes tuées en Iran par les forces de sécurité entre le 19 et le 25 septembre.
Déni et dissimulation de l’État
Fidèles à leurs habitudes de déni et de dissimulation, les autorités ont sous-estimé le nombre de victimes : elles ont annoncé le chiffre de 19 morts, dont des passant·e·s et plusieurs membres des forces de sécurité, lors des manifestations du 30 septembre à Zahedan.
Afin d’esquiver toute responsabilité, elles ont diffusé de faux récits imputant les décès à des « terroristes », des « émeutiers » et des « séparatistes » qui, affirment-elles, ont agi pour le compte de gouvernements étrangers.
Dans des vidéos de propagande diffusées sur les médias d’État après le 30 septembre, on peut voir des détenu·e·s, que les autorités accusent d’avoir participé à des attaques armées contre les forces de sécurité à Zahedan, la tête recouverte d’un sac. Dans une vidéo, un présentateur de télévision pose des questions orientées à un détenu qui est contraint de faire des déclarations où il s’accuse lui-même, en l’absence d’un avocat, concernant sa participation présumée à une fusillade le 30 septembre. Les autorités iraniennes étant coutumières du fait de produire et diffuser des déclarations obtenues sous la contrainte afin de couvrir des violations des droits humains, Amnesty International craint que ce ne soit une nouvelle fois le cas.
Justification cruelle de l’usage illégal de la force
Les autorités affirment que les manifestant·e·s se sont livrés à des actes de pillage et à des incendies volontaires sur des biens publics. Toutefois, au-delà d’une minorité de manifestant·e·s ayant jeté des pierres en direction du poste de police, Amnesty International n’a trouvé aucun élément prouvant que, de manière plus générale, les manifestant·e·s et les passant·e·s se soient livrés, lors des faits survenus au Grand Mosalla le 30 septembre, à des actes de violence susceptibles de menacer la vie ou de blesser gravement les forces de sécurité ou d’autres personnes, et donc de justifier le recours à la force meurtrière à leur encontre.
Les preuves révèlent que de nombreuses victimes tuées le 30 septembre ont été touchées à l’arrière de la tête ou du buste, ce qui indique qu’elles n’étaient pas face aux forces de sécurité et ne représentaient pas une menace imminente de mort ou de blessure grave.
Selon le droit international relatif aux droits humains et les normes en la matière, l’utilisation d’armes à feu n’est considérée comme légale qu’en réponse à une menace imminente de mort ou de blessure grave, et uniquement lorsque des moyens moins dangereux se sont révélés insuffisants. Même si certains manifestant·e·s se livrent à des actes de violence, les responsables de l’application des lois doivent veiller à ce que ceux qui restent pacifiques puissent continuer de manifester sans subir d’ingérence indue ni d’intimidation de la part des forces de l’ordre. L’usage de la force n’est permis qu’en dernier ressort en réponse à des manifestations violentes et doit respecter les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Enfin, les responsables de l’application des lois doivent faire clairement la distinction entre les personnes engagées dans des actes de violence et celles qui ne le sont pas.