Iran, Nouvelle vague d’attaques violentes contre des manifestants et fidèles baloutches

Une image fournie par un témoin oculaire le vendredi 20 octobre 2023 montre un canon à eau pulvérisant un liquide jaune pour disperser les manifestations et faciliter l'arrestation ultérieure de manifestants marqués.

La répression incessante des autorités iraniennes contre les rassemblements hebdomadaires pacifiques de milliers de manifestant·e·s et fidèles de la minorité baloutche opprimée en Iran à Zahedan, dans la province du Sistan-et-Baloutchistan, est montée d’un cran vendredi 20 octobre : les forces de sécurité ont procédé à des passages à tabac, ont utilisé de manière illégale gaz lacrymogènes et canons à eau, et se sont livrées à des arrestations arbitraires massives, des disparitions forcées, des actes de torture et des mauvais traitements, a déclaré Amnesty International le 26 octobre 2023. L’organisation demande aux autorités de cesser de recourir à la force illégale lors de la prochaine manifestation ce vendredi et de respecter le droit à la liberté de réunion pacifique.

Les preuves recueillies par Amnesty International, dont des entretiens avec des témoins et des séquences vidéos, dressent un tableau bien sombre de la brutalité infligée à des milliers de fidèles et de manifestant·e·s pacifiques, dont des enfants d’à peine 10 ans. Des centaines de personnes, dont de nombreux enfants, ont été violemment arrêtées et beaucoup sont toujours victimes de disparitions forcées. Des détenus mineurs et adultes ont été torturés et autrement maltraités, notamment passés à tabac et blessés par des tirs de billes de peinture à bout portant.

« Les autorités redoublent de violence pour empêcher les manifestant·e·s baloutches de se rassembler chaque semaine à Zahedan. Les gouvernements doivent sans attendre appeler les autorités iraniennes à ne plus recourir illégalement à la force ni aux armes à feu contre les manifestant·e·s pacifiques, à cesser de torturer les détenu·e·s et à libérer tous les mineur·e·s et toutes les personnes incarcérées pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains, a déclaré Diana Eltahawy, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« L’impunité systémique en Iran a permis cette nouvelle vague de torture à l’encontre des manifestant·e·s, dont des enfants, soulignant la nécessité pour les États du monde entier de diligenter des enquêtes pénales sur les crimes de droit international commis par les autorités iraniennes en vertu du principe de compétence universelle. »

Une avalanche de tirs et de coups

Selon des témoins, le 20 octobre, à la fin de la prière du vendredi, les forces de sécurité ont lancé des pierres sur les milliers de fidèles quittant tranquillement le Grand Mosalla, le plus grand lieu de culte de Zahedan. Alors qu’un millier de manifestant·e·s sortaient de la mosquée et commençaient à descendre tranquillement la rue Razi, les forces de sécurité ont encerclé les milliers de fidèles restants qui quittaient le site et leur ont ordonné d’attendre jusqu’à ce que « la situation se calme ».

Quelques minutes plus tard, les forces de sécurité ont lancé illégalement des gaz lacrymogènes et, par intermittence, tiré au fusil à plomb sur les manifestant·e·s pacifiques. Un témoin a assuré avoir vu plusieurs adolescent·e·s qui avaient des plombs logés dans la tête ou la poitrine. Une petite minorité de manifestant·e·s a riposté en jetant des pierres.

« Les forces de sécurité ont pourchassé ceux qui s’enfuyaient et arrêté tous ceux qui étaient à leur portée, y compris les enfants »

Ils se sont dispersés lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu et utilisé les canons à eau, les aspergeant d’un liquide jaune, dans le but de faciliter ensuite l’identification et l’arrestation de ceux qui sont marqués.

Les forces de sécurité ont pourchassé ceux qui s’enfuyaient et arrêté tous ceux qui étaient à leur portée, y compris les enfants.

Un témoin a déclaré : « J’ai vu les forces de sécurité frapper des enfants qui avaient tout juste 10 ans, ainsi que des jeunes et des personnes âgées, à coups de matraque... Elles traînaient les manifestant·e·s par terre, tout en leur assénant des coups de pied et de poing. »

Des témoins ont ajouté que les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes à l’intérieur de la mosquée Grand Makki, alors que des centaines de manifestant·e·s pacifiques s’y étaient réfugiés, et ont violemment arrêté le personnel gardant l’entrée.

D’après des témoins, les forces de sécurité ont continué de procéder à des arrestations, même une fois la manifestation dispersée, ciblant les personnes soupçonnées d’y avoir participé, ainsi que ceux qui avaient filmé la scène depuis un bâtiment voisin.

Parmi les services de sécurité impliqués dans la répression, citons les Forces spéciales de la police iranienne (yegan-vijeh), les gardiens de la révolution en uniformes et des agents en civil, certains portant des habits traditionnels baloutches et des masques.

Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International a examiné 32 vidéos et images du 20 octobre 2023, qui corroborent les récits des témoins. Cinq vidéos et images montrent de jeunes enfants présentant des plaies ouvertes ou des blessures à la tête.

Arrestations massives et actes de torture

Les forces de sécurité ont aussi interpellé des centaines de fidèles devant le Grand Mosalla. D’autres ont été roués de coups et avertis qu’ils ne devaient plus prendre part aux futures prières du vendredi dans ce lieu.

Une fois arrêtés, ils ont été emmenés au complexe sportif d’Emam Ali et roués de coups avant d’être transférés dans des centres de détention gérés par les gardiens de la révolution, le ministère du Renseignement ou la police, où ils affirment avoir été soumis à des actes de torture et des mauvais traitements. Certains ont par la suite été libérés ou transférés à la prison centrale à Zahedan ou, dans le cas de certains mineurs, dans un centre de détention pour mineurs.

Selon un proche qui a été autorisé à rendre visite à deux mineurs, ceux-ci ont raconté avoir été sévèrement battus à coups de matraque, l’un d’entre eux pleurant de manière inconsolable.

Un autre proche a indiqué que les autorités chargées des poursuites avaient ordonné le placement en détention de ses deux enfants pendant 30 jours, tout en refusant de révéler où ils se trouvaient.

« De nombreux détenus, dont des mineurs, ont eu des fractures aux mains et aux jambes... J’ai vu un enfant avec une entaille ensanglantée sur la joue »

Amnesty International a obtenu des récits mettant en lumière des actes de torture et des mauvais traitements généralisés infligés aux personnes détenues, y compris mineures, pendant les transferts depuis et vers les centres de détention.

Un membre de la famille d’un détenu adulte libéré a raconté que les forces de sécurité frappaient et donnaient des coups de pied aux détenus sur tout le corps et le visage : « De nombreux détenus, dont des mineurs, ont eu des fractures aux mains et aux jambes... J’ai vu un enfant avec une entaille ensanglantée sur la joue. Ils l’ont abandonné quelque part dans la ville sans même le conduire dans un centre médical. »

Il a également raconté que les forces de sécurité ont enlevé les chemises des détenus et les ont placés debout, face au mur, les yeux bandés, avant de leur tirer des billes de peinture sur le dos et les hanches, à bout portant.

Il a transmis à Amnesty International une image choquante qui montre des blessures par pénétration sur le corps de la victime.

Se préparer à de nouvelles violences

Des témoins affirment que, dans la matinée de l’attaque, les forces de sécurité ont été déployées en grand nombre à Zahedan et que de nouveaux postes de contrôle ont été installés dans les rues qui mènent au lieu de culte, ce qui semble pointer une répression calculée.

Cette dernière escalade de violence est liée à la volonté renforcée [1] d’écraser les manifestations hebdomadaires à Zahedan. Haalvsh, organisation baloutche de défense des droits humains basée en dehors du pays, a indiqué [2] qu’en septembre 2023, le chef de la police iranienne, Ahmadreza Radan, a menacé les leaders tribaux et religieux locaux au sujet des rassemblements hebdomadaires qui se déroulent depuis que le mouvement « Femme, Vie, Liberté » a éclaté il y a plus d’un an.

Les habitant·e·s craignent que les autorités ne se préparent à de nouvelles effusions de sang. Une femme a prié Amnesty International de « veiller à ce que les voix des manifestant·e·s baloutches soient entendues », affirmant : « Nous subissons une répression violente depuis une année entière. Notre situation est terrible, et d’autres incidents graves peuvent survenir n’importe quel vendredi. »

Amnesty International engage une nouvelle fois la communauté internationale à faire pression sur les autorités iraniennes pour qu’elles permettent à la mission d’établissement des faits de l’ONU de se rendre librement dans le pays en vue d’enquêter sur les violations des droits humains liées au soulèvement.

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