Liban, Une nouvelle action appelle le Parlement à réformer les lois relatives à l’insulte et à la diffamation

Liban, Une nouvelle action appelle le Parlement à réformer les lois relatives à l'insulte et à la diffamation

Les autorités libanaises doivent immédiatement abandonner les poursuites engagées contre des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s et d’autres personnes critiquant des représentants de l’État, a déclaré Amnesty International mardi 8 août, à l’occasion du lancement de #MyOpinionIsNotaCrime, une nouvelle action demandant au Parlement libanais d’abolir toutes les lois criminalisant l’insulte et la diffamation.

Cette nouvelle action est lancée alors que se multiplient les poursuites visant des personnes ayant critiqué des figures des sphères politique, sécuritaire, judiciaire et religieuse du pays, des milliers d’entre elles ayant fait l’objet d’enquêtes criminelles depuis 2015. Il a été choquant d’apprendre qu’un tribunal a condamné la journaliste Dima Sadek à un an de prison et une amende de 110 millions de livres libanaises (l’équivalent d’environ 1 200 dollars américains au taux du marché) en juillet, pour diffamation criminelle et incitation, après qu’elle a critiqué des membres d’un parti politique sur Twitter.

« Le procès de Dima Sadek a été une parodie de justice et illustre la façon dont des lois pénales archaïques sont utilisées pour sanctionner l’opposition ou la réduire au silence. Sa condamnation à une peine de prison envoie un message paralysant aux journalistes moins connus dans le pays et dissuadera les gens de dénoncer les puissants - qu’il s’agisse de représentants de l’État, de dirigeants de partis politiques ou de figures religieuses - en particulier à une époque où l’impunité est généralisée », a déclaré Aya Majzoub, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Les lois libanaises relatives aux insultes et à la diffamation sont conçues pour protéger les personnes au pouvoir contre toute forme de critique. À l’heure où les citoyens et citoyennes libanais devraient discuter librement de ce qu’ils attendent de leurs dirigeants, compte tenu des souffrances aiguës causées par la crise économique, de hauts responsables s’en prennent aux journalistes, aux défenseur·e·s des droits humains, aux militant·e·s et à d’autres personnes qui expriment pacifiquement leurs opinions et s’efforcent de dénoncer des faits de corruption présumés. »

« Le procès de Dima Sadek a été une parodie de justice et illustre la façon dont des lois pénales archaïques sont utilisées pour sanctionner l’opposition ou la réduire au silence. Sa condamnation à une peine de prison envoie un message paralysant aux journalistes moins connus dans le pays et dissuadera les gens de dénoncer les puissants - qu’il s’agisse de représentants de l’État, de dirigeants de partis politiques ou de figures religieuses - en particulier à une époque où l’impunité est généralisée »

À la suite du mouvement de protestation d’octobre 2019, Amnesty International, tout comme de nombreuses autres organisations, a constaté une augmentation du nombre d’enquêtes et de poursuites liées à la liberté d’expression. Entre le 17 octobre 2019 et le 24 juin 2020, Amnesty International a recueilli [1] des informations sur les cas de 75 personnes, dont 20 journalistes, qui ont été convoquées à la suite d’accusations de diffamation et d’insultes.

Aujourd’hui, alors que monte le mécontentement de la population concernant la gestion par les autorités des diverses crises auxquelles le pays est en proie, Amnesty International a constaté que de hauts responsables utilisent à nouveau de plus en plus souvent des dispositions pénales répressives qui ne sont pas conformes au droit international, afin de réduire l’opposition au silence. L’organisation a interrogé 10 personnes qui ont été convoquées pour être interrogées cette année ou qui sont actuellement jugées pour diffamation et insulte en raison de leurs critiques pacifiques. Neuf de ces plaintes ont été déposées par de hauts fonctionnaires.

Convocations et intimidations

Sur les 10 cas recensés par Amnesty International, trois des personnes convoquées pour un interrogatoire étaient visées par des plaintes au pénal pour injure et/ou diffamation, après avoir révélé, dans le cadre de leur travail, les fautes présumées de hauts responsables et de partis politiques.

« Je ne pense pas que l’affaire soit close. Je pense qu’ils pourraient à tout moment déposer une nouvelle plainte ou nous adresser une nouvelle citation à comparaître parce que nos publications les contrarient [...] Nous sommes dans un pays où la liberté d’expression et la liberté de la presse ne sont pas garanties »

En mars, la Direction générale de la sécurité d’État, un service libanais de renseignement, a intercepté la voiture de Jean Kassir, journaliste et cofondateur de Mégaphone, un média indépendant, et l’a convoqué pour un interrogatoire sans lui fournir d’explications. Jean Kassir a appris par la suite que la convocation était en relation avec une plainte pour diffamation criminelle déposée par le procureur général du Liban, qui avait été désigné comme l’un des « fugitifs de la justice » dans l’affaire de l’explosion du port de Beyrouth, dans une publication effectuée sur Mégaphone. Le procureur a été inculpé dans l’affaire de l’explosion du port de Beyrouth. La mobilisation populaire et la solidarité avec Jean Kassir ont incité le procureur à abandonner les poursuites. Jean Kassir a déclaré à Amnesty International :

« Je ne pense pas que l’affaire soit close. Je pense qu’ils [les représentants de l’État] pourraient à tout moment déposer une nouvelle plainte ou nous adresser une nouvelle citation à comparaître parce que nos publications les contrarient [...] Nous sommes dans un pays où la liberté d’expression et la liberté de la presse ne sont pas garanties [...] Nous voyons [les citations à comparaître] comme une tentative d’intimidation et un message politique contre nous. »

De la même façon, en mars, le Bureau de la cybercriminalité des Forces de sécurité intérieure a convoqué pour interrogatoire Lara Bitar, rédactrice en chef du site internet Public Source, un média d’investigation, sur la base d’une plainte pour diffamation criminelle déposée par un important parti politique libanais, en relation avec un article publié huit mois plus tôt accusant le parti de crimes environnementaux présumés pendant et après la guerre civile libanaise (1975-1990). En juillet, le Bureau de lutte contre la cybercriminalité a convoqué Gina al Chammas, présidente d’une organisation à but non lucratif nommée Lebanon Certified Anti-Corruption Managers, afin de l’interroger à la suite d’une plainte pour diffamation déposée contre elle par un ancien ministre, au sujet de déclarations qu’elle avait faites sur des faits de corruption présumés imputés à ce dernier.

Amnesty International a constaté que les fonctionnaires qui ont porté plainte pour injure et diffamation ont utilisé ces lois comme moyen de représailles, de harcèlement ou d’intimidation à l’encontre de personnes les ayant critiqués. Dans tous les cas, les propos pour lesquels ces personnes ont été visées sont non seulement protégés par le droit international relatif aux droits humains, mais également considérés comme nécessaires à la transparence et à la responsabilité dans une société fondée sur l’état de droit.

Les agences de sécurité qui ont convoqué et interrogé les personnes accusées d’« insulte » ou de diffamation n’ont pas suivi les procédures qui protègent habituellement les droits des accusé·e·s à une procédure régulière, et elles se sont livrées à des actes d’intimidation, notamment en menaçant des personnes de détention ou en faisant pression sur elles afin qu’elles signent des engagements déclarant qu’elles cesseraient de critiquer le plaignant, ou retireraient le contenu prétendument diffamatoire.

Des dispositions répressives incompatibles avec le droit international

Les dispositions relatives à l’insulte et à la diffamation dans le droit libanais, qui figurent dans le Code pénal, la Loi relative aux publications et le Code de justice militaire, peuvent entraîner des peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement.

Il s’agit notamment de dispositions qui érigent en infraction pénale le fait d’« insulter » des fonctionnaires ou des institutions publiques, une disposition vague et subjective qui n’est pas reconnue comme un crime par le droit international. Amnesty International demande l’abrogation de ces dispositions.

Les dispositions relatives à l’insulte et à la diffamation dans le droit libanais, qui figurent dans le Code pénal, la Loi relative aux publications et le Code de justice militaire, peuvent entraîner des peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement.

Les dispositions libanaises relatives à la diffamation ne respectent par ailleurs pas les normes internationales en matière de droits humains et restreignent indûment le droit à la liberté d’expression. Aux termes du droit international relatif aux droits humains, les sanctions pénales sont toujours disproportionnées par rapport à l’atteinte à la réputation et devraient être abolies.

Les lois civiles relatives à la diffamation et les lois pénales relatives à l’incitation sont suffisantes pour protéger la réputation des personnes et maintenir l’ordre public, et elles peuvent être formulées et appliquées de sorte à protéger la liberté d’expression de manière appropriée.

Notre nouvelle action #MyOpinionIsNotaCrime appelle les autorités libanaises à abolir les articles du Code pénal, de la Loi relative aux publications et du Code de justice militaire qui criminalisent les insultes, et à remplacer les articles sur la diffamation par de nouvelles dispositions civiles. De telles réformes permettraient de protéger la réputation des personnes contre tout préjudice indu, tout en préservant le droit à la liberté d’expression », a déclaré Aya Majzoub.

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