Au moins 19 journalistes ont été arrêtés à différentes périodes cette année, révèle Amnesty International dans Endangered Voices, une synthèse sur la situation de la liberté d’expression et la liberté des médias au Nigeria.
« Le prix à payer en termes de droits humains pour recevoir et partager des informations pour les journalistes, les blogueurs et les militants s’accompagne de conséquences de plus en plus dangereuses, ce qui les oblige à travailler dans un climat de peur »
, a déclaré Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International Nigeria.
« Les journalistes, les blogueurs et les militants sont confrontés à des risques accrus au seul motif qu’ils publient des articles et demandent des comptes aux autorités. Ceci est tout à fait inacceptable. Les autorités doivent mettre immédiatement fin à cette hostilité envers les droits humains. »
Amnesty International s’est penchée sur les cas de journalistes arrêtés, menacés ou ayant fait l’objet de manœuvres d’intimidation au cours de ces cinq dernières années. Ses recherches ont montré une augmentation inquiétante des menaces et des attaques des autorités à l’égard des journalistes nigérians qui expriment des opinions critiques vis-à-vis du gouvernement, dans les médias traditionnels ou sur les réseaux sociaux.
Dans certains cas, les forces de sécurité intimident et harcèlent des journalistes qui posent des questions approfondies ou critiquent les politiques gouvernementales. Dans certains États, les services chargés de la sécurité sont mis à profit pour harceler, intimider et cibler les blogueurs et faire taire les opinions dissidentes.
Arrestations arbitraires et harcèlement
Le durcissement de la répression contre le droit à la liberté d’expression et la liberté des médias est principalement dû à la Force de police nigériane, à l’armée et aux agents du Service de sécurité de l’État (DSS), la police secrète du Nigeria.
Les journalistes, les militants et les blogueurs sont en butte au harcèlement, à l’intimidation ou aux arrestations arbitraires lorsqu’ils cherchent à accéder à des informations, partagent des informations ou expriment des opinions critiques susceptibles d’orienter l’opinion publique, notamment sur des sujets comme la sécurité nationale, les élections ou les affaires de corruption très médiatisées.
Le 23 juillet 2016, Abiri Jones, l’éditeur du Weekly Source, a été arrêté par des membres du Service de sécurité de l’État et détenu au secret sans pouvoir consulter un avocat ni entrer en contact avec sa famille pendant deux ans. Libéré le 15 août 2018, il a de nouveau été appréhendé le 20 mai 2019 avant d’être jugé pour des accusations de terrorisme et de cybercriminalité.
En octobre 2018, l’éditeur Ja’afar Ja’afar du journal en ligne Daily Nigerian a reçu plusieurs menaces de mort, qui ont également visé sa famille, après qu’il a publié des vidéos d’un gouverneur en fonction qui aurait reçu un pot-de-vin.
Kofi Bartels, journaliste radio à Nigeria Info 92.3 FM, une station de radio de Port Harcourt, a été agressé le 4 juin 2019 par des policiers de la Brigade spéciale de répression des vols (SARS). Il a ensuite été interpellé, placé en détention et torturé pour avoir tenté de filmer des policiers qui frappaient un adolescent à Port Harcourt.
Mary Ekere, une journaliste qui travaille pour The Post, dans l’État d’Akwa-Ibom, a été agressée par des agents de l’Agence pour la protection de l’environnement et la gestion des déchets d’Akwa-Ibom, qu’elle a filmés en train de frapper des marchands ambulants. Ils ont également saisi son téléphone et l’ont arrêtée.
Saifullah Mika’ilu a été interpellé il y a deux ans car il était soupçonné d’avoir posté sur Facebook une photo du gouverneur de l’État de Katsina habillé en femme. Même s’il a nié avoir posté cette photo, les policiers de la SARS l’ont détenu pendant cinq jours. Il a été torturé lors de son interrogatoire et contraint d’« avouer » un crime qu’il n’avait pas commis.
Raids et démolitions
Au cours de la première semaine de 2019, les forces de sécurité ont effectué une descente dans les bureaux du journal Daily Trust à Abuja et à Maiduguri ; elles ont arrêté deux reporters et saisi des ordinateurs et des téléphones portables.
Ces deux dernières années, deux stations de radio critiques à l’égard du gouvernement ont été contraintes d’interrompre la diffusion de leurs émissions. Les locaux des stations de radio Breeze FM à Lafiya, dans l’État de Nassarawa, et de Fresh FM à Ibadan, dans l’État d’Oyo, ont été démolis par les autorités de l’État, pour des violations présumées du droit foncier. Ces deux stations avaient déjà fait l’objet de harcèlement par les autorités et étaient la cible d’une campagne visant à museler les voix dissidentes.
« Les autorités nigérianes apportent un soutien de façade au droit à la liberté d’expression et à la liberté des médias, tout en intimidant et en harcelant les journalistes et les médias. Elles doivent y mettre un terme. Le gouvernement doit respecter, protéger, promouvoir et réaliser le droit des citoyens de partager l’information et mettre un terme au climat de peur et de répression qui règne dans le pays », a déclaré Osai Ojigho.
Les autorités nigérianes sont légalement tenues de respecter, protéger, promouvoir et réaliser les droits à la liberté d’information, à la liberté d’expression, à la liberté des médias et à la liberté personnelle de chacun.