Amnesty International s’est entretenue avec des civils des États de Kaduna, de Katsina, du Niger, du Plateau, de Sokoto, de Taraba et de Zamfara, qui ont déclaré vivre dans la peur d’attaques et d’enlèvements, dans un contexte d’insécurité grandissante dans les zones rurales. Nombre des personnes interrogées ont indiqué que les forces de sécurité arrivaient souvent des heures après la fin des attaques, même lorsque des agents avaient été informés d’attaques imminentes. Pendant une attaque à Unguwan Magaji, dans l’État de Kaduna, des membres des forces de sécurité sont arrivés sur les lieux, mais sont repartis en voyant les munitions sophistiquées que les assaillants utilisaient. À leur retour, au moins 17 personnes avaient été tuées.
Amnesty International a recueilli des informations sur l’augmentation alarmante des attaques et enlèvements dans plusieurs États du nord-ouest et du centre-nord du Nigeria depuis janvier 2020. Les villages du sud de l’État de Kaduna, où 366 personnes ont été tuées par des hommes armés lors de plusieurs attaques entre janvier et juillet 2020, sont les plus gravement touchés.
« Les populations rurales du nord du Nigeria sont depuis des années la cible d’attaques terrifiantes. Le fait que les forces de sécurité n’aient pas pris de mesures suffisantes pour protéger les villageois·es de ces attaques prévisibles est absolument honteux », a déclaré Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International Nigeria.
« Associé au fait que les forces de sécurité n’aient pas tenu compte des avertissements et n’aient pas agi à temps pour sauver des vies, le fait qu’aucun des responsables des attaques n’ait été traduit en justice donne aux populations rurales le sentiment de se trouver dans une situation de vulnérabilité complète. Le président affirme avoir à plusieurs reprises chargé des agences de sécurité de mettre fin aux homicides afin que la population nigériane puisse dormir sur ses deux oreilles, mais clairement, rien n’a changé. »
Des maisons brûlées, des villageois·es enlevés
Au moins 77 personnes ont été tuées depuis janvier 2020 dans des affrontements entre des membres des groupes ethniques des Jukuns et des Tivs dans l’État de Taraba, dans le nord-est du Nigeria. Un conflit ethnique oppose les Jukuns et les Tivs de manière intermittente depuis le début des années 1990, les autorités ayant systématiquement échoué à y mettre fin.
Le 28 mai, au moins 74 personnes auraient été tuées dans l’État de Sokoto, lorsque des assaillants armés ont attaqué quatre villages de la zone de gouvernement local de Sabon Birni.
D’après des témoins avec qui Amnesty International s’est entretenue dans les États de Kaduna, du Plateau et de Katsina, les attaques étaient bien coordonnées. Des attaquants à moto lourdement armés ont pris d’assaut des villages. Ils ont tiré plusieurs coups de feu sur les habitant·e·s, incendié des maisons, volé du bétail, détruit des produits agricoles et enlevé des villageois contre rançon.
La plupart des habitant·e·s des villages ont indiqué à Amnesty International que le gouvernement les avait laissés à la merci des assaillants. Ils se sont plaints de n’avoir reçu que très peu d’aide, voire aucune, des membres des forces de sécurité pendant les attaques, bien qu’ils les en aient informés préalablement ou qu’ils aient demandé de l’aide pendant les attaques. Ils ont déploré le fait que, dans la plupart des cas, les forces de sécurité soient arrivées plusieurs heures après les attaques.
Une personne ayant été témoin d’une attaque à Unguwan Magaji, dans le sud de l’État de Kaduna, a déclaré :
« Pendant l’attaque, nos dirigeants ont appelé et informé les militaires que les assaillants étaient dans le village, et les militaires sont venus sans perdre de temps. Mais quand ils sont arrivés et qu’ils ont vu le type de munitions dont disposaient les assaillants, ils sont repartis. Le lendemain matin, de nombreux militaires sont venus avec leurs pick-ups Hilux pour voir les corps des personnes tuées. »
Escalade de violences dans le sud de l’État de Kaduna
En juin 2020, en réponse à l’augmentation des violences dans le sud de l’État de Kaduna, le gouverneur de l’État a imposé un couvre-feu jour et nuit dans les zones touchées, mais les attaques ont continué. Le sud de l’État de Kaduna est le théâtre de violences intermittentes depuis les élections de 2011 et les autorités ne sont parvenues ni à mettre fin aux violences, ni à traduire les responsables en justice.
« Je ne pourrai plus jamais être heureux dans cette vie après avoir perdu ce garçon »
Le 6 août, au moins 22 personnes auraient été tuées, lorsque des assaillants armés soupçonnés d’être des éleveurs ont attaqué quatre villages de la zone de gouvernement local de Zangon Kataf de l’État.
Plus de 100 personnes ont été tuées en juillet lors de 11 attaques coordonnées dans les zones de gouvernement local de Chikun, Kaura et Zangon-Kataf. Au moins 16 personnes ont été tuées à Kukum-Daji le 19 juillet 2020, lors d’une attaque qui a duré cinq minutes, pendant laquelle les assaillants ont tiré de manière sporadique sur les villageois.
Un agriculteur de Kukum Daji dont le fils a été tué pendant l’attaque a déclaré à Amnesty International :
« Mon fils avait 20 ans, il venait d’être admis à l’université de Jos. Il était à la maison en raison de la pandémie de COVID-19 lorsque l’attaque a eu lieu. Quand j’ai vu son corps sans vie, mon corps s’est terriblement affaibli, j’ai commencé à avoir des vertiges, j’ai cru que j’allais tomber, tout mon corps était en feu, mais je ne pouvais rien faire, je me suis simplement dit que je m’en remettais entièrement à Dieu. Je ne pourrai plus jamais être heureux dans cette vie après avoir perdu ce garçon. Sa mort m’a vraiment affecté. »
Certaines des victimes des récentes attaques dans le sud de l’État de Kaduna ont déclaré à Amnesty International que les forces de sécurité étaient absentes pendant la plupart des attaques et arrivaient seulement plusieurs heures après le départ des assaillants. Dans les rares cas dans lesquels les forces de sécurité sont arrivées pendant des attaques, elles ne sont souvent pas intervenues de manière adaptée.
Menace de crise humanitaire
Les violences ont forcé de nombreux agriculteurs et leur famille à fuir leur domicile. Dans l’État de Katsina, au moins 33 130 personnes se trouvent maintenant dans des camps de personnes déplacées, et d’autres logent chez des proches dans des zones urbaines. Des milliers d’agriculteurs n’ont pas pu exploiter leurs terres pendant la saison des pluies en 2020, par peur des attaques et des enlèvements.
« Ces attaques ont entraîné des déplacements massifs de population et une insécurité alimentaire dans les États touchés. Les moyens de subsistance de la majorité des personnes de ces zones dépendent de l’agriculture, mais ces personnes sont maintenant trop effrayées pour se rendre dans les champs », a déclaré Osai Ojigho.
« Cela pousse la région au bord d’une grave crise humanitaire. L’incapacité des autorités nigérianes à enrayer les violences coûte la vie à un très grand nombre de personnes et anéantit les moyens de subsistance de nombreuses autres. Sans action immédiate, de nombreuses personnes supplémentaires pourraient perdre la vie. »
Un agriculteur de 50 ans de la zone de gouvernement local de Batsari, dans l’État de Katsina, a déclaré à Amnesty International :
« Notre village a été attaqué à de nombreuses reprises. Pas une fois, ni deux fois, mais 10 fois. L’agriculture est devenue problématique. Les bandits nous ont empêchés de nous rendre à nos fermes. Nous n’exploitons que les fermes proches de la maison, mais nos terres agricoles se trouvent dans la brousse, et nous ne pouvons plus y aller pour les exploiter. Ils nous ont empêchés d’y aller. Les terres de la ferme de ma famille qui n’ont pas été exploitées cette année font plus de 300 hectares. »
Enlèvements
Au moins 380 personnes, principalement des femmes et des enfants, ont été enlevées contre rançon pendant des attaques dans les États de Kaduna, du Niger, de Katsina, de Nasarawa et de Zamfara en 2020. La plupart des proches des personnes enlevées vendent tous leurs biens pour payer la rançon aux ravisseurs, tandis que les personnes dont la rançon ne peut être payée sont généralement tuées.
D’après un témoignage, au moins 17 femmes ont été enlevées le 20 juillet dans la zone de gouvernement local de Safana, dans l’État de Katsina, lors d’une attaque qui a duré presque trois heures.
Arrêtés pour avoir osé demander une meilleure protection
Non seulement le gouvernement n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin à ces attaques, mais en plus, la police sanctionne régulièrement les personnes qui osent demander une meilleure protection. Amnesty International a dénoncé l’intimidation, les arrestations et la torture dont sont victimes des agriculteurs, des groupes de défense des droits et des militant·e·s ayant dénoncé les attaques ou demandé au gouvernement de l’aide pour protéger la population.
Le 8 août, au moins 3 personnes ont été arrêtées lors d’une manifestation pacifique à Refinery Junction, dans la zone de gouvernement local de Kaduna Sud, et, le 18 juin, au moins 20 manifestant·e·s ont été arrêtés et maintenus plusieurs jours en détention par la police dans l’État de Katsina.
Le 17 juin, Nastura Ashir Sharif, un militant, a été arrêté pour avoir dénoncé les homicides et organisé des manifestations appelant à mettre fin à l’insécurité croissante dans le pays.
Le 10 avril, un jeune homme du groupe oureedam de la zone de Bassa, dans l’État du Plateau, a été arrêté après s’être plaint du fait que les forces de sécurité étaient arrivées après la fin d’une attaque. Il a déclaré avoir été frappé et forcé à se rouler sur un sol mouillé. Il a finalement été libéré lorsqu’un député représentant son groupe est intervenu.
« Les autorités nigérianes ont fait preuve d’une incompétence scandaleuse et d’un mépris total pour les vies humaines dans leur réponse aux attaques. Le fait d’arrêter les personnes qui osent demander de l’aide est un coup supplémentaire. Au lieu d’arrêter les personnes les critiquant, les autorités doivent essayer de trouver des solutions urgentes à cette crise et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher de nouvelles attaques », a déclaré Osai Ojigho.
Amnesty International appelle les autorités nigérianes à mener une enquête indépendante sur toutes ces morts et à assurer l’obligation de rendre des comptes en traduisant les responsables en justice. Cette vague d’attaques est la preuve de l’incompétence des autorités en ce qui concerne la protection de la population. L’incapacité des autorités à traduire les assaillants en justice alimente de dangereuses théories du complot qui ne font qu’aggraver les violences.
« Le gouvernement a l’obligation de protéger sa population. Le bilan de plus en plus lourd dans le nord du Nigeria montre à quel point les autorités manquent à leurs responsabilités. »
Complément d’information
L’insécurité grandissante dans plusieurs États du nord du Nigeria, notamment dans les États de Kaduna, de Katsina, du Niger, du Plateau, de Sokoto, de Taraba et de Zamfara, a fait des milliers de morts.
Amnesty International Nigeria surveille les attaques de banditisme et les affrontements entre éleveurs et agriculteurs depuis 2016. En décembre 2018, nous avons publié un rapport fondé sur plusieurs années de recherche, présentant les violents affrontements entre des membres de groupes d’agriculteurs et de groupes d’éleveurs au Nigeria, particulièrement dans le nord du pays.