Si la décision de la plus haute cour d’appel de Turquie d’annuler la condamnation infondée du président honoraire d’Amnesty International Turquie et de trois défenseur·e·s des droits humains est un immense soulagement, elle met de nouveau en évidence le caractère politique des poursuites, a déclaré Amnesty International le 22 novembre 2022.
L’arrêt de la Cour de cassation portant sur la condamnation de Taner Kılıç, İdil Eser, Özlem Dalkıran et Günal Kurşun – quatre des 11 défenseur·e·s des droits humains condamnés en juillet 2020 dans le cadre de l’affaire de Büyükada – intervient plus de cinq ans après leur arrestation à l’été 2017. L’affaire concernant Taner Kılıç a été annulée pour cause d’« enquête incomplète » et renvoyée devant le tribunal de première instance.
« Ce jugement met fin à une parodie de justice totalement ubuesque. Si nous sommes plus que soulagés d’apprendre enfin l’annulation de ces condamnations, il est décevant que le tribunal ait statué que l’affaire Taner Kılıç nécessite un complément d’enquête, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Pendant plus de cinq ans, nous avons vu les rouages de l’injustice à l’œuvre, alors que les tribunaux successifs ont accepté comme des faits les accusations sans fondement portées contre ces quatre courageux défenseur·e·s des droits humains. Ce jugement révèle le véritable objectif de ces poursuites à caractère politique : se servir des tribunaux comme d’une arme pour faire taire les voix critiques. »
Taner Kılıç, avocat spécialiste des droits des réfugié·e·s et président honoraire de la section turque d’Amnesty, a été arrêté en juin 2017 et incarcéré pendant plus de 14 mois. Malgré l’absence totale de preuves, en juillet 2020, il a été déclaré coupable d’« appartenance à une organisation terroriste » et condamné à six ans et trois mois de prison. İdil Eser, Özlem Dalkıran et Günal Kurşun ont été condamnés à 25 mois de prison pour « assistance à une organisation terroriste » et ont passé plus de trois mois derrière les barreaux en 2017.
Au cours des 12 audiences du tribunal, il a été prouvé de manière répétée et exhaustive que toutes les accusations portées à l’encontre de ces quatre militant·e·s étaient infondées, y compris dans le rapport de police.
En mai, la Cour européenne a réaffirmé que les autorités turques n’avaient pas de « raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction ». Elle a également estimé que sa détention provisoire pour des accusations liées au terrorisme était « directement liée à son activité de défenseur des droits humains ». Cette décision contraignante est devenue définitive en octobre.
« Tout en saluant cet arrêt, nous n’oublions pas qu’à travers la Turquie, de nombreux défenseur·e·s des droits humains croupissent en prison, vivent dans la crainte d’être arrêtés ou font l’objet de poursuites infondées, a déclaré Agnès Callamard.
« Nous puiserons de la force dans cette victoire. Nous continuerons de soutenir Taner Kılıç jusqu’au bout, et de lutter contre les restrictions sans cesse imposées aux droits humains en Turquie et pour ceux qui refusent d’être réduits au silence par les menaces du gouvernement. »
Complément d’information
Taner Kılıç et Özlem Dalkıran sont tous deux membres fondateurs d’Amnesty International Turquie. Depuis 20 ans, ils jouent un rôle crucial en défendant les droits au sein de l’organisation et de la communauté des droits humains en Turquie.
Au moment de son arrestation en juillet 2017, Idil Eser était directrice d’Amnesty International Turquie. Günal Kurşun, avocat, expert en droit pénal international et membre d’Amnesty International Turquie depuis ses débuts, est un éminent défenseur des droits humains dans le pays.
Taner Kılıç a été accusé d’avoir téléchargé et utilisé l’application de messagerie ByLock, outil de communication utilisé, selon le ministère public, par le mouvement Gülen, accusé d’avoir fomenté un coup d’État en 2016.
Or, les deux expertises indépendantes [1] de son téléphone mandatées par Amnesty International n’ont révélé aucune trace d’un quelconque téléchargement de ByLock.
En juin 2018, les accusations portées par le procureur ont perdu toute légitimité face au rapport de police présenté au tribunal, qui concluait également qu’aucune preuve de la présence de ByLock sur le téléphone de Taner Kılıç n’avait été constatée. De toute façon, le simple fait de télécharger ou d’utiliser une application ne serait pas suffisant pour prouver les infractions présumées, comme l’a conclu un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme concernant un autre requérant, sans lien avec les accusés de Büyükada.
İdil Eser, Özlem Dalkıran et Günal Kurşun comptaient parmi un groupe de 10 personnes, surnommées « les 10 d’Istanbul », arrêtées par la police alors qu’elles participaient à un atelier sur le bien-être et la sécurité numérique le 5 juillet 2017 sur l’île de Büyükada, au large d’Istanbul.
Le 4 octobre 2017, un procureur d’Istanbul a émis un acte d’inculpation contre les 10 d’Istanbul, et contre Taner Kılıç, qui aurait été informé des préparatifs de cet atelier et en contact avec deux accusés.
Lors de sa première audience devant le tribunal le 26 octobre, le juge a fait droit à la demande du procureur de fusionner les poursuites visant Taner Kılıç, qui avaient été ouvertes à Izmir, avec celles intentées contre les 10 autres défenseur·e·s des droits humains, alors que les accusations portées à son encontre n’avaient rien à voir avec l’atelier et que les deux affaires n’étaient en rien liées.
Amnesty International a déjà publié une analyse de l’affaire concernant Taner Kılıç [2] et livré des informations détaillées au sujet de l’affaire.