Le procès engagé contre Ahmed Samir Santawy se déroule devant un tribunal d’exception, alors même que l’état d’urgence a été levé à la fin du mois d’octobre 2021. Les décisions des tribunaux d’exception ne sont pas susceptibles d’appel et sont ratifiées ou annulées uniquement par le Président. Ce lundi 6 juin, une audience a eu lieu dans le cadre de ce procès au cours de laquelle son avocat a plaidé en sa faveur ; un verdict est attendu le 4 juillet prochain.
Ahmed Samir Santawy est poursuivi par les autorités égyptiennes en raison de publications critiques envers les autorités égyptiennes sur les réseaux sociaux dont il serait l’auteur. L’étudiant nie quant à lui avoir écrit ces publications.
« Les recteur·rices et le personnel académique de plusieurs universités belges ont déjà exprimé leur inquiétude quant au bâillonnement des universitaires en Égypte, en particulier en ce qui concerne l’emprisonnement d’Ahmed Samir Santawy. La pensée critique et la liberté d’expression sont des valeurs fondamentales qui sont au cœur de la liberté académique, explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International. Quand bien même Ahmed serait l’auteur de ces messages, il serait inacceptable qu’il soit détenu pour cette raison, et encore moins qu’il soit condamné à cinq années de prison, ce qu’il risque à l’issue de ce procès. Notre objectif est d’exercer le maximum de pression sur les autorités égyptiennes avant l’annonce du verdict. »
Au cours de cette action, les militant·es d’Amnesty International ont également tenté de remettre une pétition en faveur d’Ahmed Samir Santawy signée par près de 30 000 personnes en Belgique à l’ambassade d’Égypte, qui a refusé de la réceptionner. Amnesty International fera parvenir ces signatures à l’ambassade par voie postale.
« Quand bien même Ahmed serait l’auteur de ces messages, il serait inacceptable qu’il soit détenu pour cette raison, et encore moins qu’il soit condamné à cinq années de prison, ce qu’il risque à l’issue de ce procès. Notre objectif est d’exercer le maximum de pression sur les autorités égyptiennes avant l’annonce du verdict »
Amnesty International continue de considérer Ahmed Samir Santawy comme prisonnier d’opinion, détenu uniquement en raison de ses intérêts et travaux universitaires sur le genre et la religion, et de demander sa libération immédiate et sans condition.
« On ne peut pas continuer à fermer les yeux sur les violations des droits humains en Égypte. À quelques mois de la COP27, nous ne pouvons pas aller discuter d’enjeux climatiques sans aborder les droits humains et les droits sociaux des Égyptien·nes. Ça suffit de nous promettre des améliorations en matière de droits humains sans qu’on en voie le résultat sur le terrain, indique Simon Moutquin. Le cas d’Ahmed Samir est emblématique de ces dizaines de milliers de prisonniers d’opinion qui croupissent en prison en Égypte. J’ai eu récemment un entretien avec l’ambassadeur d’Égypte qui m’a assuré sa libération ; maintenant, nous la voulons. »
« Depuis la visite du président al-Sissi, à Bruxelles, nous recevons des promesses creuses selon lesquelles Ahmed sera libéré. Mais pourquoi fallait-il un nouveau procès ? Et pourquoi les audiences sont-elles sans cesse reportées ? Assez, c’est assez ! C’est pourquoi je me rends à nouveau à l’ambassade mardi, cette fois ici à Bruxelles. Et avec des ami·es, des militant·es et avec le soutien de plusieurs universitaires belges, je vais tenter de demander : libérez Ahmed et ramenez-le moi, insiste Souheila Yildiz, la compagne d’Ahmed Samir Santawy. Ahmed est en prison depuis 16 mois maintenant. Je ne l’ai pas vu pendant tout ce temps. Quand sa famille me dit que ses cheveux ont poussé, qu’il a souri quand ils l’ont vu au tribunal, je ne peux qu’essayer de me représenter tout cela dans mon imagination. Tout ce temps sans lui. Je veux juste qu’il soit là avec moi. »
Complément d’information
Ahmed Samir Santawy est chercheur et étudiant en master de sociologie et d’anthropologie à l’Université d’Europe centrale de Vienne. Le 15 décembre 2020, il s’est rendu pour ses vacances annuelles en Égypte dans sa famille et chez des ami·es, séjour qu’il a prolongé en raison de la possibilité de suivre ses cours à distance dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Le 23 janvier 2021, des policiers masqués et lourdement armés ont effectué une descente au domicile de la famille d’Ahmed Samir Santawy alors qu’il ne s’y trouvait pas. Son père et son frère ont été interrogés et il leur a été notifié qu’Ahmed Samir devait se présenter au poste de police.
Le 1er février, Ahmed s’est présenté volontairement à la police ; c’est à cette occasion qu’il a été arrêté et ensuite soumis à une disparition forcée pendant cinq jours. Au cours de cette période, il aurait selon ses déclarations été frappé, giflé et aurait reçu des coups de poing au ventre notamment, alors qu’il était menotté et avait les yeux bandés. Ce n’est que le 6 février qu’Ahmed Samir Santawy a été présenté au service du procureur général de la sûreté de l’État pour être interrogé.
Lors de sa première audition, il a été questionné sur ses travaux de recherche sur l’islam, les droits des femmes et l’avortement, sa thèse de maîtrise portant sur les droits sexuels et reproductifs des femmes en Égypte. Il a également été interrogé quant à un groupe Facebook critique envers le gouvernement égyptien et sur divers messages qui y ont été publiés. Outre le fait qu’Ahmed nie être l’auteur de ces messages, il est à mettre en évidence que ces derniers relèvent du droit à la liberté d’expression, comme l’a confirmé Amnesty International après analyse.
Le 24 juin 2021, Ahmed Samir Santawy a été condamné à quatre années de prison par un tribunal d’exception. Un nouveau procès a été ordonné en février 2022, qui se tient également devant un tribunal d’exception, alors même que l’état d’urgence a été levé il y a plusieurs mois.
L’arrestation et la condamnation d’Ahmed s’inscrivent dans le contexte d’une répression sans précédent en Égypte contre toute voix dissidente et contre les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
« À chaque appel téléphonique que nous recevons d’Égypte, à chaque audience, la famille d’Ahmed et moi espérons que c’est le coup de fil que nous attendons. Mais chaque fois qu’une audience est reportée, ou pire, lorsqu’Ahmed a été condamné à 4 ans de prison l’année dernière, ce sont nos mondes qui s’effondrent, se désole Souheila Yildiz.
Ahmed et sa fiancée Souheila Yildiz avaient prévu de s’installer à Gand et de s’y marier après l’obtention du diplôme d’Ahmed en juin 2021. Il·elles se sont rencontré·es en Égypte lorsque Souheila y résidait (de 10 à 25 ans) avec sa mère et ses sœurs.