Depuis cinq ans, les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique sont sans cesse piétinés. Dans un contexte de répression visant ceux qui réclament que le gouvernement rende des comptes ou qui organisent des manifestations contre les allégations de corruption, les journalistes, les membres de l’opposition et les défenseur·e·s des droits humains, tous sont ciblés parce qu’ils critiquent le gouvernement. Il y a 10 jours, le président Emmerson Mnangagwa a promulgué la Loi de 2022 portant modification (codification et réforme) du droit pénal, communément appelée « loi patriotique », qui érige en infraction la dissidence et notamment les actes visant à « perturber » un gouvernement constitutionnellement élu. Les professionnel·le·s de santé qui ont protesté contre leurs conditions de travail et leurs salaires médiocres n’ont pas été épargnés. Ils ont été criminalisés pour avoir revendiqué leurs droits. Peter Magombeyi, alors président par intérim de l’Association des médecins hospitaliers du Zimbabwe (ZHDA), a été enlevé et torturé en septembre 2019 parce qu’il avait dénoncé haut et fort les conditions très difficiles des professionnel·le·s de santé. Il a été libéré [1] au bout de quelques jours de calvaire.
« Ce que nous constatons au Zimbabwe depuis cinq ans s’apparente à une violente répression des droits humains, notamment des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Le respect des droits socioéconomiques s’est considérablement dégradé, plongeant de nombreuses personnes dans une pauvreté sordide, sans aucun moyen de faire bouillir la marmite, a déclaré Khanyo Farisè, directrice adjointe pour l’Afrique australe à Amnesty International.
« Les autorités zimbabwéennes révèlent leur mépris flagrant pour les libertés fondamentales et montrent qu’il n’y a pas d’espace pour la dissidence dans la soi-disant " deuxième République ". La police recourt de façon répétée à une force excessive afin d’étouffer les droits humains, notamment le droit de réunion pacifique. »
Criminaliser l’opposition politique
Les autorités zimbabwéennes prennent de plus en plus pour cibles les leaders de l’opposition politique, les journalistes et les militant·e·s, en instrumentalisant la loi au motif qu’ils dénoncent des faits présumés de corruption ou réclament l’obligation de rendre des comptes. Hopewell Chin’ono, journaliste bien connu qui a révélé un cas de corruption de plusieurs millions de dollars en lien avec le COVID-19, et Jacob Ngarivhume, militant politique qui a appelé à manifester dans tout le pays contre la corruption le 31 juillet 2020, ont été arrêtés et détenus [2] en juillet 2020 dans le but de les faire taire.
Hopewell Chin’ono et Jacob Ngarivhume ont par la suite été inculpés de diverses accusations forgées de toutes pièces pour avoir dénoncé avec virulence des cas présumés de corruption. En novembre 2020, Hopewell Chin’ono a été emprisonné en partie pour avoir dévoilé le cas d’une femme qui tentait de faire sortir clandestinement de l’or du pays à l’aéroport international Robert Mugabe, et dénoncé le pillage présumé des fonds gouvernementaux par des individus ayant des relations politiques pendant la pandémie de COVID-19.
Pour avoir dénoncé ces faits de corruption et fait son travail de journaliste d’investigation, Hopewell Chin’ono a été arrêté à plusieurs reprises et incarcéré pendant 94 jours entre 2020 et 2021, à la prison de haute sécurité de Chikurubi. Dans le cadre d’une attaque manifeste visant Hopewell Chin’ono, le tribunal a interdit à son avocate Beatrice Mtetwa de le représenter. Au terme de plusieurs recours, la Haute Cour a acquitté Hopewell Chin’ono d’accusations fallacieuses à trois reprises. Quant à Jacob Ngarivhume, il purge une peine de quatre ans de prison après avoirété déclaré coupable et condamné en avril pour avoir appelé la population du Zimbabwe à manifester contre la corruption.
En mai, Job Sikhala, député et membre de la Coalition des citoyens pour le changement (CCC), parti d’opposition, a été reconnu coupable d’« entrave au fonctionnement de la justice » et condamné à six mois de prison avec sursis. Son procès était lié à une vidéo diffusée en ligne dans laquelle il aurait déclaré que le parti au pouvoir, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF), avait assassiné Moreblessing Ali [3], militante de la CCC, en juin 2022. Job Sikhala, qui se trouve en détention depuis juin 2022, a nié avoir filmé cette vidéo et un expert ayant témoigné devant le tribunal a assuré que la séquence avait été falsifiée.
En septembre 2022, Tsitsi Dangarembga, autrice et militante zimbabwéenne, et Julie Barnes, qui manifestait avec elle, ont chacune été condamnées pour « incitation à la violence » après avoir participé aux manifestations du 31 juillet 2020 contre les difficultés économiques et condamnées à une amende de 70 000 dollars zimbabwéens (175 euros). Elles ont écopé d’une peine de six mois avec sursis chacune, mais ont par la suite réussi à contester leur sentence devant le tribunal [4].
Le 10 juin 2020, Joanah Mamombe, Cecilia Chimbiri et Netsai Marova, membres de la branche Jeunes du MDC-Alliance, aujourd’hui membres de la CCC – principal parti d’opposition – ont été arrêtées [5] et inculpées d’avoir mis en scène leur enlèvement et des actes de torture aux mains d’agents présumés des services de sécurité de l’État. Toutes trois ont été enlevées après avoir été arrêtées à un barrage routier gardé par des policiers à Warren Park, en marge d’une manifestation organisée pour protester contre la privation des droits socioéconomiques au plus fort de la pandémie de COVID-19. Après trois années de poursuites judiciaires, elles ont enfin été acquittées [6] au mois de juillet, à l’exception de Netsai Marova, partie en exil avant la fin du procès.
Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique sont entravés
L’arrivée au pouvoir du président Emerson Mnangagwa s’est accompagnée d’homicides de manifestant·e·s à la suite des violences post-électorales du 1er août 2018 [7], au lendemain des élections du 31 juillet. Six personnes avaient été tuées et 35 blessées, lorsque les soldats avaient tiré à balles réelles sur des manifestant·e·s qui s’enfuyaient lors de manifestations post-électorales organisées à Harare.
Les manifestant·e·s demandaient que les résultats officiels de l’élection soient rendus publics. Certaines victimes ont reçu des balles dans le dos. Cinq ans plus tard, personne n’a été amené à rendre des comptes. Et malgré la mise sur pied d’une commission [8] chargée d’enquêter sur les circonstances ayant conduit à ces homicides, justice n’a pas été rendue. Les victimes n’ont toujours pas accès à la justice ni à des recours effectifs.
Le 16 août 2018, des policiers armés de matraques ont attaqué violemment des manifestant·e·s pacifiques qui s’étaient rassemblés à Harare en vue des manifestations nationales du 16 août contre la dégradation de la situation économique et sociale dans le pays. Cette attaque a fait de très nombreux blessés. Le 15 août, avant le rassemblement, la police zimbabwéenne avait annoncé l’interdiction des manifestations par le biais d’un communiqué de presse [9], en affirmant qu’elles seraient marquées par des violences. Après la manifestation avortée, 128 militant·e·s au moins ont été arrêtés et placés en détention. Des manifestations prévues ont également été interdites et des militant·e·s arrêtés dans quatre autres villes du pays.
Début 2019, Amnesty International a publié des informations faisant état de 15 homicides imputables à la police dans le cadre d’une escalade de la violence, dès le début des contestations contre la hausse du prix des carburants, qui ont commencé le 14 janvier. Les autorités ont procédé à des arrestations massives ; des centaines de personnes, dont des militant·e·s soupçonnés d’être à l’initiative des rassemblements, ont été placées en détention, notamment pour incitation à la violence publique. Fin avril 2019, près de 400 personnes avaient été condamnées par la justice, la plupart à l’issue de procès expéditifs.
Lors des manifestations, la police a recouru à une force excessive et meurtrière, en utilisant notamment gaz lacrymogènes, matraques, canons à eau et balles réelles. Elle a également lancé une chasse aux sorcières afin d’appréhender les organisateurs des manifestations et d’éminents dirigeant·e·s et militant·e·s de la société civile. Certains, dont Evan Mawarire, pasteur et militant local bien connu, et le syndicaliste Peter Mutasa, ont fait l’objet de poursuites fallacieuses pour trahison à la suite des manifestations. Le ministère public a inculpé 22 personnes pour tentative de déstabilisation d’un gouvernement constitutionnel dans le cadre de ce mouvement.
« Depuis cinq ans, les autorités zimbabwéennes ne montrent guère de respect pour les droits fondamentaux et piétinent allègrement l’état de droit. Alors que la campagne électorale bat son plein, elles doivent faire en sorte que les citoyennes et les citoyens puissent exercer librement leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Elles doivent respecter, protéger, promouvoir et réaliser les droits humains de tous avant, pendant et après le scrutin », a déclaré Khanyo Farisè.