RDC, des rebelles du groupe armé M23 responsables d’exécutions sommaires et de viols

Une enquête révèle que des rebelles du groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, ont exécuté sommairement des hommes et violé des dizaines de femmes dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) fin novembre 2022. Ces agissements constituent des crimes de guerre et pourraient constituer des crimes contre l’humanité. Les victimes de viol et les autres personnes ayant subi des attaques n’ont pas encore reçu d’aide adaptée.

Une enquête publiée par Amnesty International le 17 février 2023 révèle que des membres du groupe rebelle nommé Mouvement du 23 mars (M23) ont tué au moins 20 hommes et violé des dizaines de femmes et de filles dans l’est de la République démocratique du Congo.

Des personnes ayant survécu aux attaques et d’autres témoins ont déclaré qu’entre le 21 et le 30 novembre 2022, des combattants du groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, avaient exécuté sommairement au moins 20 hommes et violé au moins 66 femmes et filles, principalement à Kishishe, un village situé à une centaine de kilomètres de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu.

Les informations recueillies par Amnesty International semblent révéler que ces agissements s’inscrivaient dans le cadre d’une campagne menée par le M23 pour punir et humilier les civil·e·s soupçonnés de soutenir des groupes armés rivaux, notamment les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) et des groupes armés maï maï locaux.

« Depuis ces attaques, les victimes vivent dans la terreur et le plus complet dénuement. Bien que certaines victimes de viol aient reçu des soins médicaux de base dans des établissements de santé locaux, la plupart ont besoin de soins médicaux et psychologiques de toute urgence, ainsi que d’une aide humanitaire », a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.

Les victimes du groupe armé M23 décrivent des attaques ignobles

Des victimes et des témoins ont déclaré à Amnesty International qu’après avoir pris le contrôle de Kishishe, des groupes de combattants du M23 étaient allés de maison en maison, exécutant sommairement tous les hommes adultes qu’ils trouvaient et soumettant des dizaines de femmes à des viols, y compris des viols en réunion.

Aline* a été violée par un groupe d’hommes le 29 novembre 2022, tout comme six autres femmes qui se cachaient dans sa maison dans le village de Kishishe.

Elle a déclaré : « Ils ont cassé le portail de l’enceinte, ont rassemblé tous les hommes présents, sept au total, et les ont tués. Cinq combattants nous ont ensuite violées : six femmes et moi. Ils nous ont qualifiées de femmes des FDLR. »

Eugenie* a déclaré à Amnesty International qu’elle avait été violée par trois combattants du M23 le 30 novembre 2022 derrière une église où elle s’était réfugiée avec sa famille après des affrontements entre le M23 et d’autres groupes armés.

« Ils ont dit que nous faisions tous partie des FDLR. Ils ont écarté les hommes et les ont abattus, notamment mon mari et mes deux fils. Trois combattants du M23 m’ont conduite derrière l’église et m’ont violée à tour de rôle. J’ai cru que j’allais mourir. »

Une autre femme qui a été violée près de la même église a déclaré à Amnesty International qu’elle avait compté des dizaines de corps d’hommes qui avaient été tués.

« J’ai compté au moins 80 corps d’hommes qui avaient été abattus par des combattants du M23 près de l’église. Je n’avais jamais vu autant de cadavres. J’ai perdu connaissance avant de pouvoir tous les compter. »

Parmi les 13 femmes de Kishishe qui ont déclaré avoir été violées les 29 ou 30 novembre 2022, 12 ont déclaré que leur mari ou leurs fils adultes avaient été tués de sang-froid.

Immaculée*, 23 ans, a été violée par deux combattants du M23. Elle a déclaré à Amnesty International : « Ils m’ont violée à tour de rôle en présence de mes enfants, qui étaient terrifiés. Après m’avoir violée, ils ont pris tous les objets de valeur dans la maison et mes deux chèvres. Nous avons trouvé refuge, mais nous n’avons plus rien. Nous survivons grâce à la générosité de personnes qui n’ont elles-mêmes pas grand-chose. J’ai survécu au viol, mais je ne sais pas si mes enfants et moi survivrons à la faim. »

Absence de soins médicaux adaptés et d’aide humanitaire

La plupart des femmes avec qui Amnesty International s’est entretenue ont déclaré avoir reçu des soins médicaux de base dans des établissements de santé locaux, notamment une prophylaxie post-exposition pour les infections sexuellement transmissibles, une contraception d’urgence et des analgésiques. Cependant, nombre d’entre elles ont déclaré avoir toujours des douleurs en raison des soins insuffisants. En outre, aucun soutien psychologique n’est disponible.

Mupenzi* a été violée le 21 novembre dans le village de Bambo, après que des combattants du M23 ont exécuté sommairement son mari.

« Je me suis rendue au centre de santé et on m’a donné des analgésiques, mais j’ai d’intenses douleurs dorsales et de terribles douleurs d’estomac. L’infirmière-chef du centre de santé m’a dit qu’ils ne pouvaient rien faire de plus pour moi, car ils n’avaient pas les équipements et les spécialistes nécessaires. »

Un professionnel de santé avec qui Amnesty s’est entretenue mi-décembre 2022 a déclaré : « Nous manquons de tout : des médecins aux équipements, en passant par les fournitures médicales. Nous n’avons même plus de kits de prophylaxie post-exposition et aucune perspective de réapprovisionnement. La situation est intenable. »

Justice et obligation de rendre des comptes

Quelques jours après les attaques, les autorités congolaises ont « fermement condamné les crimes ignobles commis à Kishishe et Bambo » et se sont engagées à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour veiller à ce que justice soit rendue [1]. Près de trois mois plus tard, les avancées sont minimes.

« Le fait que les autorités de RDC n’aient pas pris de mesures pour enquêter efficacement sur les allégations de pratiques d’exécutions sommaires, de viols et d’autres crimes de droit international liées à la résurgence du M23 et leur incapacité à amener les responsables à rendre des comptes illustrent un mépris total pour les victimes », a déclaré Tigere Chagutah.

La RDC est partie à plusieurs instruments juridiques internationaux et régionaux imposant aux États de prévenir les atteintes aux droits humains, d’enquêter sur ces agissements, de poursuivre les responsables en justice et de veiller à ce que les victimes, notamment de violences sexuelles, aient accès à des recours.

L’ampleur et la violence de ces viols en masse sont particulièrement choquantes. Les actions du M23 dans la région de Kishishe constituent des crimes de guerre et, dans la mesure où les viols et homicides perpétrés par le M23 s’inscrivent dans le cadre d’attaques systématiques contre des civil·e·s perçus comme soutenant les FDLR et d’autres groupes armés hostiles au M23, ils doivent faire l’objet d’une enquête pour potentiels crimes contre l’humanité.

« Les autorités de RDC doivent, avec un soutien international, notamment dans le cadre des processus politiques en cours dirigés par la Communauté d’Afrique de l’Est et l’Union africaine, amener les responsables de ces crimes ignobles à rendre des comptes et rendre justice aux victimes. Elles doivent de toute urgence prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les personnes ayant survécu à ces crimes reçoivent de toute urgence des soins de santé adaptés et une aide humanitaire. »

Complément d’information

En décembre 2022 et janvier 2023, Amnesty International a recueilli les témoignages de 23 victimes de viol et 12 témoins des villages de Kishishe, de Bambo Centre et de Bugina, lors d’entretiens individuels menés sur place en swahili. Amnesty International a examiné des dossiers médicaux et documents officiels et s’est entretenue avec des représentant·e·s du gouvernement, de l’ONU et d’organisations humanitaires de premier plan pour évoquer les homicides de civil·e·s et les violences sexuelles liées aux conflits dans la région.

Le groupe M23, soutenu par le Rwanda d’après l’ONU, affirme se battre pour l’application d’accords politiques conclus avec le gouvernement congolais, qui prévoyaient un retour en toute sécurité des réfugié·e·s tutsis congolais qui se trouvent au Rwanda depuis 20 ans. Il se bat également contre les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rebelle rwandais créé dans l’est de la RDC après le génocide de 1994 au Rwanda.

Le M23 a pris le contrôle d’un vaste territoire de la province du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda et de l’Ouganda, a cours de l’année dernière, poussant 500 000 personnes à fuir d’après l’ONU [2]. Les efforts diplomatiques régionaux en vue d’arrêter l’avancée du groupe et de désarmer tous les groupes armés dans l’est de la RDC, notamment le Processus de Nairobi dirigé par Communauté d’Afrique de l’Est et le Processus de Luanda dirigé par l’Union africaine, sont au point mort.

* Les noms des personnes citées ont été modifiés pour protéger leur identité.

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