Ce dimanche, cela fera deux ans que l’armée myanmar a lancé des opérations dans l’État d’Arakan qui ont forcé plus de 740 000 femmes, hommes et enfants rohingyas à s’enfuir de chez eux et de leurs villages. Cette campagne violente a été marquée par d’innombrables atrocités, et une équipe d’enquêteurs des Nations unies a indiqué que des crimes contre l’humanité ainsi qu’un génocide probable ont été commis.
Malgré la vague d’indignation internationale qu’ont provoquée ces terribles violences, et malgré l’adoption d’une résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations unies visant à ce que les responsables au Myanmar rendent des comptes, les généraux qui ont supervisé ces attaques contre les Rohingyas sont toujours en poste. En mai 2019, Amnesty International a rassemblé des informations montrant que l’armée a commis des crimes de guerre pendant le conflit avec l’Armée d’Arakan dans l’État d’Arakan.
« La récente proposition du Bangladesh et du Myanmar visant à rapatrier plusieurs milliers de Rohingyas a soulevé un vent de panique dans les camps de réfugiés. Les souvenirs de meurtres, de viols et de villages incendiés sont encore très vifs pour les réfugiés. L’armée du Myanmar étant plus puissante et impitoyable que jamais, il demeure dangereux pour quiconque de retourner dans l’État d’Arakan, a déclaré Nicholas Bequelin, directeur régional pour l’Asie de l’Est et du Sud-Est à Amnesty International.
« Ce triste anniversaire rappelle douloureusement que le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas fait le nécessaire pour apporter une aide aux victimes et déférer à la justice les auteurs d’atrocités commises massivement. Le Conseil de sécurité doit saisir de toute urgence la Cour pénale internationale de la situation au Myanmar, et imposer un embargo sur les armes exhaustif. »
Un cauchemar de chaque côté de la frontière
Les Rohingyas continuent d’être privés de leurs droits de chaque côté de la frontière qui sépare le Myanmar et le Bangladesh. Au Myanmar, des centaines de milliers de Rohingyas vivent sous un régime d’apartheid, étant confinés dans des camps surpeuplés et dans des villages « prisons » où ils ne peuvent pas circuler librement et n’ont qu’un accès très restreint à l’éducation et aux soins de santé.
L’armée contrôle très étroitement l’accès à l’État d’Arakan, ce qui signifie qu’il sera extrêmement difficile pour les intervenants internationaux de surveiller la situation des personnes qui y retourneront. Au cours des deux derniers mois, les autorités ont imposé une coupure des télécommunications dans le nord et le centre de l’État d’Arakan, isolant ainsi davantage encore ces secteurs.
Durant sa campagne meurtrière menée contre des centaines de villages rohingyas dans le nord de l’État d’Arakan, fin 2017, l’armée a tué au moins 10 000 femmes, hommes et enfants rohingyas, selon les estimations de la Mission d’établissement des faits de l’ONU, et contraint plus de 740 000 personnes à fuir au Bangladesh, où elles se trouvent toujours actuellement. Dans un rapport de juin 2018, Amnesty International cite les noms de 13 hauts responsables des forces de sécurité – occupant différentes positions dans la chaîne de commandement allant jusqu’au commandant en chef des armées, le général Min Aung Hlaing – qui devraient faire l’objet d’une enquête et de poursuites pour crimes contre l’humanité. L’Union européenne a imposé [1] des sanctions ciblées [2] contre 11 des 13 individus cités dans ce rapport.
En mai 2019, Amnesty International a rassemblé des informations montrant que l’armée du Myanmar avait lancé de nouvelles opérations dans l’État d’Arakan, à la suite d’attaques coordonnées contre des postes de police commises par l’Armée d’Arakan, un groupe armé ethnique rakhine. Lors de ces opérations, les militaires se sont notamment rendus coupables d’attaques illégales qui ont fait des morts et des blessés parmi les civils, d’exécutions extrajudiciaires, d’arrestations arbitraires, de torture et autres mauvais traitements, et de disparitions forcées. Un grand nombre de ces violations constituent des crimes de guerre.
An Bangladesh, plus de 910 000 Rohingyas, parmi lesquels se trouvent des personnes ayant fui les précédentes vagues de violences, vivent dans des camps de réfugiés où ils sont souvent privés de leurs droits fondamentaux. Le gouvernement bangladais leur impose de sévères restrictions : ils ne peuvent pas librement prendre un emploi ou se déplacer, et les enfants ne peuvent pas aller à l’école.
Depuis la signature d’un accord portant sur le rapatriement des Rohingyas, en novembre 2017, les gouvernements bangladais et myanmar ont à plusieurs reprises annoncé que des mesures étaient prises pour commencer à renvoyer des réfugiés rohingyas au Myanmar. En novembre 2018, les programmes de rapatriement ont été annulés en raison d’une vague d’indignation internationale suscitée par l’absence de consultation des Rohingyas et parce que le Myanmar ne garantissait pas des conditions assurant un retour en toute sécurité.
Le 15 août, les deux gouvernements ont de nouveau annoncé des programmes de rapatriement, déclarant qu’ils avaient convenu d’une liste de 3 450 réfugiés rohingyas. Les autorités bangladaises ont indiqué que les retours n’étaient possibles que s’ils étaient volontaires et que si les conditions de sécurité et de dignité étaient respectées, mais les Rohingyas n’ont une fois de plus pas été consultés comme il le faudrait. De plus, comme les autorités du Myanmar n’ont pas garanti la reddition de compte pour les crimes atroces qui ont été perpétrés, ni démantelé le système d’apartheid, les conditions de sécurité et de dignité ne sont pas réunies.
« Pour les Rohingyas qui s’y trouvent encore, l’État d’Arakan n’est rien d’autre qu’une prison à ciel ouvert. Les autorités du Myanmar n’ont quasiment rien fait pour corriger cette situation, et elles continuent même de se livrer à des crimes contre l’humanité. Les donateurs internationaux, y compris les gouvernements régionaux, doivent veiller à ne pas faciliter les crimes commis de façon persistante, et demander avec insistance au Myanmar de rétablir les Rohingyas dans leurs droits, notamment en ce qui concerne les droits relatifs à la citoyenneté, a déclaré Nicholas Bequelin.
« Parallèlement à cela, la communauté internationale doit collaborer avec le Bangladesh pour aider les réfugiés rohingyas à reconstruire leur vie dans la dignité. Aucune décision concernant l’avenir des Rohingyas ne doit être prise sans que les Rohingyas eux-mêmes aient été consultés de façon satisfaisante. »
La communauté internationale ne fait toujours pas le nécessaire pour les Rohingyas et pour garantir la justice
Le 27 septembre 2018, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution visant à créer un mécanisme de collecte et de conservation des preuves de crimes de droit international perpétrés au Myanmar. D’autres mesures ont été prises en vue d’obtenir la reddition de compte, notamment avec des sanctions ciblées visant des responsables de l’armée décidées par plusieurs États et par l’Union européenne, ainsi qu’une demande [3], faite par la procureure de la Cour pénale internationale, d’ouverture d’une enquête sur les crimes relevant de la compétence de la Cour commis contre la population rohingya depuis octobre 2016.
Amnesty International se félicite de ces mesures qui ont été prises en vue de la reddition de compte, mais elle continue de demander que la Cour pénale internationale soit saisie de la situation au Myanmar, notamment en ce qui concerne tous les crimes atroces commis contre les Rohingyas et les crimes de guerre qui continuent d’être commis contre des minorités ethniques dans les États kachin, chan et d’Arakan.
« La situation des Rohingyas et des autres minorités persécutées du Myanmar ne s’améliorera pas tant que l’armée du Myanmar n’aura pas répondu devant la justice des épouvantables crimes qu’elle a commis, a déclaré Nicholas Bequelin.
« L’aide humanitaire qui doit permettre aux Rohingyas de reconstruire leur vie doit s’accompagner d’une recherche déterminée du respect de l’obligation de rendre des comptes. La communauté internationale s’est à plusieurs reprises abstenue de faire le nécessaire pour les Rohingyas par le passé, mais elle ne doit pas répéter cette erreur. »