Intitulé Quand les droits ne sont pas une réalité pour tout le monde. La lutte pour l’accès à l’avortement en Europe, il montre que, en dépit d’avancées emportées de haute lutte, des obstacles dangereux et préjudiciables continuent de compromettre l’accès à l’avortement, notamment en Belgique. Ceci se déroule dans un contexte où des groupes anti-droits disposant de moyens de plus en plus considérables multiplient les efforts pour influencer négativement les lois et les politiques en la matière, en ayant souvent recours à la peur et à la désinformation, dans le but de limiter toujours plus l’accès à cette procédure.
« La dure réalité, c’est que malgré d’importants progrès réalisés en Europe, l’accès à l’avortement est toujours restreint par un ensemble perturbant d’obstacles visibles et invisibles », a déclaré Monica Costa Riba, responsable du travail de campagne sur les droits des femmes à Amnesty International.
« Des victoires durement acquises en matière de droits reproductifs courent un risque grave d’être compromises par une vague de politiques régressives soutenues par le mouvement anti-genre et défendues par des politiciens et politiciennes populistes ayant recours à des pratiques autoritaires. »
Bien que des réformes juridiques aient rendu l’avortement plus accessible dans de nombreux pays d’Europe (avec des exceptions notables), de nombreux obstacles administratifs, sociaux et pratiques empêchent qu’un accès universel à cette procédure se maintiennent en place.
Ils incluent des prérequis injustifiés sur le plan médical, susceptibles d’entraîner des retards d’accès ; des refus de soins pour raisons de conscience ; un manque de professionnel·le·s formés ; des délais d’interruption de grossesse ainsi que des coûts élevés. Leur impact sur les communautés marginalisées, notamment les personnes à faibles revenus, les adolescent·e·s, les personnes en situation de handicap, les personnes LGBTIQ+, les travailleuses et travailleurs du sexe, les personnes demandeuses d’asile ou dont le statut juridique au regard de la législation sur l’immigration est incertain, est disproportionné.
En Belgique, l’aide médicale urgente (AMU) est censée garantir l’accès à des soins médicaux à tout·e ressortissant·e de l’Union européenne n’étant pas habilité·e à recevoir une aide sociale, ainsi qu’à toute personne sans titre de séjour et ne disposant pas de ressources suffisantes, ce qui inclut les personnes migrantes sans papiers et les personnes sans abri. Cependant, la combinaison de procédures bureaucratiques complexes et d’interprétations incohérentes de ce qui constitue des soins « urgents » entre les différents services sociaux locaux – les CPAS – qui dispensent l’AMU entraîne souvent des retards ou des refus de soins.
« Comme nous l’a confirmé Médecins du Monde Belgique, lorsque les personnes parviennent enfin à accomplir toutes les démarches nécessaires, elles risquent souvent de dépasser la limite légale de 12 semaines de grossesse, le processus pouvant prendre jusqu’à 66 jours. Il s’agit là d’un délai excessivement long et délétère pour des personnes dans une telle situation d’urgence », précise Julie Capoulade, chargée de campagne sur la justice de genre au sein de la section belge francophone d’Amnesty International.
Ces obstacles, qui s’ajoutent à différents degrés de criminalisation, contribuent à amplifier la stigmatisation dont sont victimes les personnes cherchant à avorter. Cela entraîne des retards, voire une impossibilité d’accéder à des soins de santé essentiels. Vingt pays d’Europe au moins imposent des sanctions pénales aux personnes enceintes qui avortent en dehors du cadre de la loi.
« C’est le cas en Belgique, où le cadre légal actuel criminalise les personnes qui ont recours à l’avortement au-delà de 12 semaines de grossesse les exposant à des sanctions pénales, sauf en cas de menace grave pour la santé ou la vie des personnes concernées ou de malformation du fœtus. Il est également important de préciser que des sanctions pénales s’appliquent aussi aux soignant·e·s qui pratiqueraient des avortements hors du cadre légal », explique Julie Capoulade.
Obstacles à l’avortement
Outre les délais d’interruption de grossesse et la criminalisation de la procédure, plusieurs éléments clés font obstacle à l’accessibilité des soins liés à l’avortement.
Le coût de l’intervention peut être prohibitif, en particulier dans les pays où l’avortement à la demande (c’est-à-dire lorsque la décision de mettre un terme à une grossesse repose sur la personne enceinte) n’est pas pris en charge par l’assurance maladie ou le système national de santé de la personne concernée. C’est notamment le cas en Allemagne, en Autriche, en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, à Chypre, en Croatie, au Kosovo, en Lettonie, en Macédoine du Nord, au Monténégro, en Roumanie, en République tchèque et en Serbie.
Plusieurs États manquent à leur devoir de garantir l’accès à l’avortement, dans des contextes où le nombre de professionnel·le·s de la santé refusant de pratiquer des avortements pour des raisons de convictions personnelles ou de croyances religieuses est élevé, entraînant des retards ou des refus d’accès aux soins. Dans des pays comme l’Italie ou la Croatie, ces refus de soins pour des raisons de conscience sont très répandus et leur nombre augmente en Roumanie. Dans tous les cas, les autorités manquent au devoir qui leur incombe en vertu du droit international d’atténuer les préjudices causés par des taux de refus d’une telle ampleur et de garantir l’accès à l’avortement aux personnes qui en ont besoin.
Douze pays européens au moins appliquent toujours un délai d’attente obligatoire médicalement non justifié avant de pouvoir obtenir un avortement légal et 13 pays obligent les personnes enceintes à assister à des consultations de conseil.
« En Belgique, un délai de réflexion de six jours est ainsi obligatoire, de même qu’une obligation de discuter des solutions alternatives à l’avortement, comme l’adoption. Ces exigences sont incompréhensibles, inutiles et contraires aux droits humains des personnes qui avortent, car elles engendrent des retards inutiles, du stress, mais aussi des coûts supplémentaires dans le cas de déplacements, par exemple, indique Julie Capoulade.
« Supprimer les délais d’attente et les consultations obligatoires est une obligation qui incombe aux États, et la Belgique ne peut ni ne doit faire exception. Eu égard à ces obligations, il est du devoir de nos autorités de veiller à ce que les soins d’avortement soient respectueux, prodigués en temps opportun et fondés sur la notion que les personnes sont aptes à prendre des décisions concernant leur propre corps. »
Cette double obligation concerne également l’Albanie, l’Allemagne, la Hongrie, la Lettonie et le Portugal. Les personnes qui souhaitent avorter en Hongrie sont obligées d’écouter les battements de cœur du fœtus. En Turquie, les femmes mariées de plus de 18 ans sont légalement tenues d’obtenir le consentement du conjoint pour mettre un terme à une grossesse dans le délai limite de 10 semaines qui leur est imparti.
Chaque année, des milliers de personnes enceintes sont contraintes de se rendre à l’étranger afin de recevoir les soins de santé dont elles ont besoin, en raison des difficultés qu’elles rencontrent pour accéder à un avortement dans leur propre pays.
« En Belgique, ce sont des centaines de personnes qui sont concernées chaque année. Pour accéder à l’avortement, elles doivent ainsi se rendre notamment aux Pays-Bas, où le délai est de 24 semaines de grossesse et où la période de réflexion a été supprimée depuis 2023, indique Julie Capoulade. Or, la nécessité d’entamer un voyage afin d’accéder à un avortement après le délai légal entraîne des coûts et obstacles pouvant priver certaines personnes d’un accès aux services en la matière, particulièrement des personnes issues de milieux précarisés ou marginalisés. »
Tentatives visant à faire reculer l’accès à l’avortement
Les efforts déployés pour faire reculer l’accès à l’avortement en Europe sont le fait d’un mouvement anti-genre bien financé et transnational, composé d’institutions et de groupes conservateurs et religieux, de groupes de réflexion, d’organisations de la société civile et d’influenceur·euse·s sur les réseaux sociaux.
En Croatie, l’influence des responsables politiques anti-droits au sein du gouvernement, associée à une alliance croissante entre des militant·e·s antiavortement et l’Église catholique, a entraîné plusieurs tentatives de restriction de l’accès à l’avortement. En Slovaquie, plusieurs tentatives ont eu lieu au Parlement pour restreindre ou interdire cet accès tandis que des modifications de la Constitution, adoptées en septembre 2025, vont sérieusement éroder les droits en matière de procréation.
La Hongrie a mis en place de nouveaux obstacles à l’accès à l’avortement, à la contraception et à la planification familiale et le parti au pouvoir en Italie a mené des initiatives législatives pour permettre à des groupes antiavortement, ou qui « soutiennent la maternité », d’accéder à des centres de conseil par lesquels les personnes enceintes doivent obligatoirement passer si elles souhaitent avorter légalement. Dans les deux cas, les autorités ont justifié ces mesures par des arguments tels que le faible taux de natalité, ainsi que par une rhétorique raciste et fallacieuse selon laquelle les migrant·e·s seraient en train de « remplacer » la population blanche « native » du pays.
Des militant·e·s antiavortement agressifs, parfois violents, qui manifestent et occupent les abords des établissements spécialisés dans la santé sexuelle et reproductive, constituent un obstacle de plus en plus courant à l’accès à l’avortement. En Pologne, un centre d’avortement installé à Varsovie en mars 2025 a régulièrement fait l’objet de harcèlement et d’actes d’intimidation de la part de groupes manifestant à l’extérieur de l’établissement. Les personnes qui fournissent des soins d’avortement en Autriche font l’objet d’actes d’intimidation, notamment devant les établissements où elles travaillent, tandis que des centres de planification familiale en France et des centres de conseil obligatoire en Allemagne ont subi des attaques de la part de groupes anti-droits.
« L’avortement est un soin de santé essentiel et un droit humain », a déclaré Monica Costa Riba.
« Les gouvernements et les institutions européens doivent prendre des mesures décisives pour que la fourniture de soins d’avortement soit conforme aux normes internationales en dépénalisant la procédure, en éliminant les obstacles existants à son accès et en opposant une résistance ferme à toute tentative, de la part de groupes anti-droits, de bloquer l’accès en temps opportun à des soins d’avortement sûrs, ce qui constitue un acte dangereux menaçant la vie et la santé des personnes. »
« En ce qui concerne la Belgique, nous n’avons de cesse de réclamer une évolution législative respectueuse des droits humains qui inclue au minimum les recommandations du rapport des expert·e·s publié en 2023. Depuis 35 ans et l’adoption de la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, aucun progrès n’a été enregistré en ce qui concerne le droit à l’avortement en Belgique.
« Alors qu’un projet de loi serait en préparation, nous réitérons avec force nos appels aux autorités belges : dépénalisez complètement l’avortement et supprimez toutes les barrières qui bloquent l’accès à ce soin de santé fondamental. Le droit à l’avortement est un droit fondamental et tout être humain, en Belgique comme ailleurs dans le monde, doit pouvoir y accéder de manière sûre, légale, sans entraves et sans discriminations », conclut Julie Capoulade.
Quelques chiffres concernant l’avortement
Le rapport examine la situation dans 40 pays et s’appuie sur des recherches menées par Amnesty International au cours des dix dernières années, ainsi que sur des données provenant de sources fiables, recueillies par d’autres organisations de défense des droits humains et de santé publique, telles que le rapport Europe Abortion Laws 2025 (Lois européennes sur l’avortement 2025), rédigé par le Centre pour les droits reproductifs, l’European Abortion policy Atlas (Atlas des politiques sur l’avortement en Europe) publié par le Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs et la Base de données mondiale sur les politiques en matière d’avortement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s’appuie également sur les observations de 11 militant·e·s pour le droit à l’avortement et organisations de défense des droits en matière de sexualité et de procréation interrogés entre mai et septembre 2025.
En septembre 2025, Amnesty International a publié les résultats d’un sondage concernant l’avortement en Belgique. Réalisé par iVOX sur un échantillon de 2 000 personnes, ce sondage montre notamment que 92,5 % des personnes sont en faveur du droit à l’avortement. Parallèlement à ce soutien, les répondant·e·s sont conscient·e·s de l’existence d’obstacles au droit à l’avortement. Ainsi, plus d’une personne sondée sur cinq (22 %) placent le délai légal de 12 semaines après conception pour avorter, jugé trop court, dans leur « top 3 » des principaux obstacles à l’avortement. Il est également à noter que plus de 7 personnes sur 10 considèrent que l’avortement ne devrait pas exposer à des sanctions pénales et que près d’un avortement sur deux (41,9 %) a été réalisé illégalement, tant en Belgique qu’à l’étranger, ou légalement à l’étranger.
Une pétition exhortant les autorités belges à dépénaliser totalement l’avortement et à supprimer tous les obstacles qui restreignent l’accès à un avortement sûr et légal a déjà récolté plus de 28 000 signatures en Belgique.
