« Le monde n’a pas l’habitude de voir l’Arabie saoudite avancer rapidement et avec audace », a-t-il déclaré devant les dirigeants du monde réunis [1].
C’est le dernier volet de la récente campagne de relations publiques lancée par l’Arabie saoudite : le prince héritier Mohammed ben Salmane a déjà promis de moderniser le pays et de lever l’interdiction faite aux femmes de prendre le volant. Cependant, les changements restent pour l’instant superficiels et de graves violations des droits humains, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières, barrent le chemin à une transformation de fond en Arabie saoudite.
Si les femmes au volant et les cinémas récemment légalisés font les gros titres, ils ne représentent qu’une infime partie de la refonte dont le pays a besoin. Les violations des droits humains ne sont pas sporadiques. Elles sont systématiques et l’Arabie saoudite doit initier une mutation structurelle si elle est déterminée à faire avancer le pays.
Voici quelques mesures majeures qu’elle doit prendre pour être à la hauteur de ses ambitions :
Cesser de réprimer les militants, les journalistes, les universitaires et les dissidents
La répression visant les militants, les journalistes, les universitaires et les dissidents s’est intensifiée ces derniers mois, depuis que Mohammed ben Salmane est devenu prince héritier.
Il y a quelques jours, Mohammad al Otaibi et Abdullah al Attawi sont devenus les premiers défenseurs des droits humains à être condamnés sous la houlette du prince héritier Mohammed ben Salmane par le tribunal antiterroriste à 14 et sept années d’emprisonnement respectivement, pour avoir créé une organisation de défense des droits humains et pour tout un éventail de chefs d’accusation, notamment pour avoir « propagé le désordre et provoqué l’opinion publique », « publié des déclarations portant préjudice à la réputation du Royaume et de ses institutions judiciaires et chargées de la sécurité » et « participé à la création d’une organisation et annoncé la création de cette dernière avant d’en avoir obtenu l’autorisation ».
Les autorités continuent de juger des défenseurs des droits humains devant le tribunal antiterroriste sur la base d’accusations liées à leur militantisme pacifique.
Aucune de ces accusations ne devrait être considérée comme un crime, pas plus que les défenseurs ne devraient être considérés comme des « terroristes ». Les lourdes peines prononcées laissent à penser que la liberté d’expression est exclue de l’évolution promise.
Mettre fin à la discrimination systématique à l’encontre des femmes
Les femmes et les jeunes filles sont en butte à une discrimination bien ancrée en Arabie saoudite et dépendent légalement des hommes en ce qui concerne le mariage, le divorce, la garde des enfants et l’héritage. Sous le régime de tutelle, une femme ne peut pas prendre ses propres décisions, mais un homme de la famille peut tout décider à sa place.
Comment l’Arabie saoudite pourrait-elle prétendre à la réforme de manière crédible tant qu’elle ne résout pas cette inégalité des plus choquantes ?
Cesser de persécuter la minorité chiite
La liberté de religion demeure une utopie en Arabie saoudite, ce qu’illustre tout particulièrement la persécution de la minorité musulmane chiite, qui subit depuis des années une discrimination sociale et économique.
Les militants de la communauté minoritaire chiite sont pris pour cibles, arrêtés, voire condamnés à mort à l’issue de procès iniques pour avoir participé à des manifestations antigouvernementales et exprimé des opinions dissidentes. En 2017, quatre chiites ont été exécutés pour des infractions liées à leur participation à des manifestations antigouvernementales. En 2016, 14 chiites ont été déclarés coupables de crimes en lien avec les manifestations et condamnés à mort à l’issue d’un procès collectif inique.
Stop à la peine de mort. Stop à la torture.
L’Arabie saoudite compte parmi les pays du globe qui exécutent le plus grand nombre de prisonniers. Il est fréquent qu’elle condamne à mort et exécute des prisonniers à l’issue de procès contraires aux règles d’équité les plus élémentaires.
En juillet 2016, Abdulkareem al Hawaj, 21 ans, a été condamné à mort pour plusieurs infractions liées à sa participation présumée, alors qu’il avait 16 ans, à des manifestations antigouvernementales. Il a affirmé avoir été torturé lors de ses interrogatoires dans le but de lui faire signer des « aveux », mais le juge n’a pas ouvert d’enquête sur ses allégations et a semble-t-il fondé sa décision sur ces « aveux ». Sa condamnation a été confirmée en juillet 2017 et il risque d’être exécuté de manière imminente.
Le droit international prohibe l’utilisation de preuves obtenues sous la torture et l’usage de la peine de mort contre des personnes reconnues coupables d’infractions commises alors qu’elles étaient mineures. Cependant, l’injustice dont est victime Abdulkareem al Hawaj n’est que trop répandue.
Il a été démontré à maintes reprises que la peine de mort n’a pas d’effet dissuasif sur la criminalité et l’Arabie saoudite continue de condamner à mort des personnes pour des crimes qui n’étaient accompagnés d’aucune violence, à l’issue de procès manifestement iniques. Ces affaires illustrent le fait que les autorités saoudiennes se servent de la peine de mort comme d’une arme politique contre la minorité chiite pour écraser la dissidence.
Un exemple pour la région ? N’oublions pas le Yémen.
L’Arabie saoudite vient de lancer une campagne massive destinée à valoriser ses dons au Yémen. Tandis que d’un côté elle donne des fonds, de l’autre elle bombarde allègrement hôpitaux, écoles et habitations civiles. La coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen se livre à des violations du droit international humanitaire, y compris à des crimes de guerre.
Amnesty International a recensé des attaques menées sans discrimination et d’autres graves violations imputables à la coalition, qui ont fait des victimes parmi les civils, dont des enfants. Pourtant, des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la France continuent de conclure des ventes d’armes lucratives avec les Saoudiens et d’autres membres de la coalition.
En outre, les restrictions imposées à l’aide humanitaire et à l’importation de produits essentiels empêchent ou retardent l’entrée de denrées alimentaires, de médicaments et autres produits vitaux, mettant la vie de millions de Yéménites en péril. L’impact dévastateur de ces restrictions n’est en rien diminué par les coups de pub mettant en avant l’assistance humanitaire que fournit l’Arabie saoudite.
Vous voulez des réformes ? Tournez-vous vers la société civile saoudienne.
Les dirigeants saoudiens ont annoncé que le progrès était leur objectif numéro un. Pour l’instant, bon nombre des meilleurs catalyseurs du progrès sont en exil, en prison ou vivent reclus dans le silence parmi la population.
Les défenseurs des droits humains, les universitaires, les journalistes et les citoyens et habitants engagés ne sont pas des ennemis, ce sont les moteurs d’un changement positif. Leurs contestations, leurs écrits et leur mobilisation pour des réformes sociales et politiques servent le progrès en Arabie saoudite.
Le ministre des Affaires étrangères Adel al Jubeir a déclaré à Davos que « les gens reprochent à l’Arabie saoudite d’avancer trop lentement, maintenant elle va trop vite ». Il est vital que personne ne soit laissé sur la touche - les femmes, les minorités, les dissidents. L’Arabie saoudite doit désormais prendre en compte les critiques quant à son bilan en termes de droits humains et montrer qu’elle est prête à prendre des mesures audacieuses en faveur du changement.