20 ans après, Guantánamo reste un scandale pour les droits humains Par Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International

Prison Guantanamo

Lors d’une récente manifestation devant la Maison-Blanche appelant à la fermeture de la prison militaire américaine de la base navale de Guantánamo Bay, un adolescent s’est approché d’une collègue pour lui demander pourquoi ils manifestaient. Il lui a dit qu’il n’avait jamais entendu parler de ce centre de détention.

Vingt ans se sont écoulés et quatre gouvernements présidentiels se sont succédé depuis l’ouverture de Guantánamo. Mais pour ceux qui sont nés dans l’intervalle, ses histoires terrifiantes s’apparentent plutôt à l’intrigue d’un film d’horreur. C’est un héritage honteux que nous ne pouvons tout simplement pas transmettre aux générations futures.

Ouvert en réponse aux attentats du 11 septembre 2001, Guantánamo a maintenu enfermés près de 780 hommes et adolescents musulmans. Avant d’être détenus pour des durées indéterminées à Guantánamo, la plupart ont été enlevés, victimes de disparitions et torturés dans des prisons secrètes gérées par les États-Unis ou leurs « alliés » dans la « guerre contre le terrorisme ». À Guantánamo, ils ont été torturés, n’ont que rarement été inculpés d’infractions et aucun n’a bénéficié d’un procès équitable. Les commissions militaires kafkaïennes mises en place pour les juger se sont avérées inefficaces et iniques, refusant aux accusés un arbitre impartial et l’accès à des preuves critiques et privant les victimes du droit à la justice. Pendant ce temps, les familles des victimes du 11 septembre ont attendu justice – en vain.

C’est un héritage honteux que nous ne pouvons tout simplement pas transmettre aux générations futures

Amnesty International et bien d’autres dans le monde ont fait campagne [1] avec ténacité pour la fermeture de la prison depuis sa création. Le président Joe Biden, tout comme Barack Obama avant lui, a promis de la fermer, mais rien n’a encore été fait. Le gouvernement de Joe Biden a transféré un détenu hors de l’établissement en juillet dernier, mais n’a pas rétabli le bureau de l’envoyé spécial du Département d’État dédié à la fermeture du site. Au contraire, il a récemment annoncé [2] la construction d’une nouvelle salle d’audience à Guantánamo afin de poursuivre le travail des commissions militaires – tout l’opposé d’une feuille de route pour fermer le site.

Il ne s’agit pas seulement de fermer Guantánamo, mais aussi de rendre des comptes pour les violations commises dans son enceinte. L’an dernier, nous avons eu connaissance des témoignages d’anciens détenus, dont Majid Khan, Abu Zubayda [3] et Mohamedou Salahi, décrivant les violences qu’ils ont subies dans les « sites noirs » contrôlés par les États-Unis à l’étranger et à Guantánamo. Devenu auteur à succès et défenseur des droits humains, Mohamedou Salahi raconte [4] dans The Mauritanian (Désigné coupable) les tortures subies, tandis que Majid Khan a décrit [5] les positions douloureuses, les coups, l’alimentation forcée à l’aide de tubes emplis de sauce piquante et la sodomie avec un tuyau d’arrosage.

Ouvert en réponse aux attentats du 11 septembre 2001, Guantánamo a maintenu enfermés près de 780 hommes et adolescents musulmans

La Cour européenne des droits de l’homme a statué dans des affaires contre l’Italie [6], la Lituanie, la Macédoine, la Pologne et la Roumanie, pour leur complicité dans la torture et la disparition forcée de personnes dans le cadre des programmes américains de « restitution » et de détention secrète ; en revanche, aucune réelle obligation de rendre des comptes n’a été mise en œuvre aux États-Unis. Depuis ceux qui ont autorisé la torture au plus haut niveau du gouvernement à ceux qui ont appliqué les « techniques d’interrogatoire renforcées » illégales, personne n’a jamais été tenu pour responsable des crimes commis. Il faut commencer par déclassifier et publier dans son intégralité le rapport de la Commission spéciale du Sénat américain sur le renseignement sur la torture pratiquée par la CIA.

Il reste 39 détenus à Guantánamo [7]. Treize sont toujours en détention pour une durée indéterminée, alors que leur transfert a été approuvé, pour certains il y a plus de 10 ans. Douze sont inculpés devant les commissions militaires et 14 vivent dans une incertitude cauchemardesque : pas encore mis hors de cause pour être transférés, mais jamais inculpés. Leur sort est un vestige des principes majeurs ayant prévalu à Guantánamo depuis son origine – la cruauté et l’arbitraire.

Guantánamo est une tache indélébile sur l’histoire des États-Unis, un chapitre qu’il faut désormais refermer et ne jamais répéter

Le gouvernement américain doit prendre rapidement des mesures pour corriger le tir. Il doit s’engager à résoudre le cas de chaque détenu, par son transfert et sa libération sans plus attendre et conformément au droit international. Ou s’il existe suffisamment de preuves recevables au titre du droit international pour engager des poursuites pour des infractions pénales prévues par la loi, il convient de parvenir à une résolution judiciaire équitable devant un tribunal fédéral régulièrement constitué, sans recourir à la peine de mort.

Guantánamo est une tache indélébile sur l’histoire des États-Unis, un chapitre qu’il faut désormais refermer et ne jamais répéter. Le président Joe Biden nous doit à tous – à ceux qui ont vécu ou observé Guantánamo avec horreur au fil des ans, ainsi qu’aux générations nouvelles et futures qui apprennent tout juste son existence – de fermer Guantánamo définitivement.

Agnès Callamard est secrétaire générale d’Amnesty International.

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