Certains militant·e·s se sont enchaînés aux barrières de chaque côté de la route, tandis que d’autres se sont fixés à l’asphalte avec de la colle. La police les a arrêtés quelques heures plus tard et les a placés en garde à vue pendant 24 heures.
Libre* fait partie des 16 militant·e·s ayant pris part à cette action de protestation. Chaque militant·e a reçu une amende d’un montant de 200 euros pour entrave à la circulation, mais ils ont tous choisi de la contester et ont comparu devant le tribunal correctionnel du Havre, affirmant que leurs actions étaient protégées par la liberté d’expression. Deux ans plus tard, le 10 février 2025, le tribunal a relaxé les militant·e·s.
Le cas de Libre est présenté dans un nouveau rapport, élaboré par Amnesty International, le Forum africain de contrôle civil de l’application des lois (APCOF) et La Voix du peuple malaisien (Suaram), dans le cadre de la Campagne pour décriminaliser la pauvreté, le statut et le militantisme. Intitulé Dissent on Trial : Strategies to Counter Rising Criminalization of Activism, il partage des stratégies que des militant·e·s, des avocat·e·s et des organisations de la société civile peuvent employer afin de contester la criminalisation de diverses formes de militantisme, notamment la désobéissance civile.
Dans cet article, Libre révèle ce qui a inspiré son militantisme, et pourquoi elle espère que son engagement donnera lieu à des changements.
*Son véritable nom n’est pas révélé pour des raisons de sécurité.
C’est très jeune que j’ai pris conscience des effets du changement climatique. Mes parents trouvaient régulièrement des petits messages que j’avais écrits, comme « ne gaspillez pas l’eau » ou « limitez vos déchets ». Ce fut un cheminement progressif, dans lequel j’ai commencé à mettre en place des petites actions à la maison, comme faire des affiches pour mes parents, avant d’essayer d’appliquer des idées respectueuses de l’environnement dans ma classe.
Après cela, j’ai rejoint des manifestations de jeunes pour le climat et organisé des projets chez les scouts, où nous ramassions des détritus sur les plages. J’ai cependant commencé à me rendre compte que les marches des jeunes pour le climat n’étaient pas aussi efficaces que ce que j’avais espéré, et j’ai donc décidé de me tourner vers la désobéissance civile, en espérant que cela fasse une différence.
Au sein du mouvement Extinction Rebellion, je me mobilise actuellement pour le climat et les questions environnementales, en affrontant des entreprises responsables de la crise climatique et sociale qui fait souffrir les gens, dont elles exploitent la vie et les terres.
Les dangers de la répression
J’ai été confrontée au danger lorsque j’ai pris part à ces actions. Alors que je manifestais contre une mégabassine dans le sud-ouest de la France, les événements ont pris une tournure extrêmement violente et j’ai réellement craint pour ma vie. Des policiers nous tiraient dessus avec des balles en caoutchouc, et du gaz lacrymogène a été lancé dans la foule. J’ai également été nassée par la police à plusieurs reprises, privée d’accès à l’eau ou aux toilettes, ainsi que placée en garde à vue, ce qui a eu un énorme impact psychologique sur moi.
À bien des égards, ce n’est rien comparé aux dangers auxquels sont confrontées d’autres personnes en raison du changement climatique, et j’ai la chance que ma vie ne soit pas encore réellement menacée du fait du dérèglement climatique.
Cela dit, lorsque votre vie est mise en danger en raison de votre militantisme, c’est tout de même significatif.
La répression a un effet énorme sur ma famille et moi. Lorsque mon domicile a été visé à tort par une descente de police en relation avec une autre affaire, ma petite sœur était présente. Lorsque je suis en garde à vue ou quand je vais au tribunal, mes parents et la personne qui partage ma vie viennent, ce qui est stressant pour eux aussi. Je fais des cauchemars. Il y a aussi des conséquences sur le plan judiciaire - par exemple, si j’ai un casier, je ne peux plus travailler. Je manque aussi des jours de travail pour les procès, les actions et les gardes à vue. Cela a affecté ma capacité à me déplacer. La dernière fois que j’ai essayé de prendre l’Eurostar pour me rendre en Angleterre, j’ai été interceptée à la frontière et questionnée. Ils m’ont demandé mes papiers et pourquoi j’y allais, parce que je pense que je fais l’objet d’un signalement - peut-être même comme « fichée S » (une liste de surveillance pour motifs de sécurité).
Le changement climatique et ses conséquences
J’ai parfois l’impression d’être dans un état de stress permanent en raison de la cause elle-même - le changement climatique et ses conséquences - parce que je vois que malgré tout ce que nous faisons, les choses évoluent très peu.
Personnellement, je n’ai pas encore fait l’expérience directe des impacts du changement climatique, du moins pas au-delà des canicules. Mais j’ai remarqué quelques petites choses.
Je pense par exemple que la maison de mes grands-parents s’affaisse en raison du réchauffement climatique, en particulier à cause de problèmes au niveau des sols. J’ai aussi un·e amie à Madagascar, qui a connu des cyclones très puissants. C’est dur, car même si ces pays ne sont pas ceux qui causent le changement climatique, ils sont les premiers à en souffrir.
Nous agissons pour tout le monde
Je voudrais que les dirigeant·e·s comprennent que nous ne sommes pas contre eux. Nous agissons aussi pour eux. Nous ne voulons pas que leurs enfants souffrent à cause du changement climatique. Cela ne nous rapporte ni argent, ni le moindre bénéfice personnel. Nous ne sommes pas à la recherche de gains personnels - nous le faisons pour tous les êtres vivants. Tout le monde est concerné. En réduisant les scientifiques au silence et en nous empêchant d’agir, les autorités se rangent du mauvais côté de l’histoire.
Nous montrons notre humanité quand nous sommes capables de voir chaque personne comme notre égale, en faisant preuve de respect et de gentillesse, et quand nous agissons en sachant que ce que nous faisons a des répercussions positives sur l’humanité et tous les êtres vivants.
Mon engagement a un impact
Malgré tout cela, j’essaie de garder espoir - surtout lorsque nous parvenons à mener des actions qui sont sensées, qui parlent aux gens. Je me rappelle aussi que des petites initiatives ont lieu partout. Et je me dis que même si nous n’y arrivons pas, au moins j’aurai fait ma part. Je serai en mesure de dire à mes enfants, et à moi-même, j’ai fait ce que j’ai pu. C’est ce qui me fait avancer.
Je sais que mon travail a des effets. J’ai déjà eu un impact sur mes proches en les aidant à comprendre la situation, et à prendre conscience de la direction prise par notre état de droit. Quand ils sont témoins de la répression brutale à laquelle nous nous heurtons en tant que militant·e·s, mes ami·e·s et ma famille peuvent voir ce que cela dit de notre démocratie.
Et puis il y a l’impact de nos actions. Peut-être qu’il semble modeste comparé à ce que cela nous coûte, mais il y a un impact. Nous avons vu des résultats. Et nos actions incitent les gens à penser ou au moins les poussent à se poser des questions. Pour moi, c’est ce qui compte.

