Lorsque j’ai appris que ma mère était malade, j’ai déposé une demande de permis auprès de l’armée israélienne pour accompagner ma mère à ses rendez-vous médicaux à l’hôpital de Jérusalem-Est, pour ses séances de chimiothérapie. Depuis des dizaines d’années, Israël a instauré un régime de permis [1] restreignant tous les déplacements des Palestiniens, qui doivent obtenir un permis spécial pour entrer en Israël et à Jérusalem-Est occupé, pour quelque raison que ce soit – professionnelle, médicale, familiale ou pour se rendre sur des sites religieux, culturels et archéologiques.
Comme souvent pour les jeunes Palestiniens, particulièrement les hommes, ma demande de permis a été refusée pour des « raisons de sécurité » non précisées. Ainsi, deux fois par mois, lorsque ma mère se rend à ses séances de chimiothérapie à l’hôpital, un trajet de seulement 15 minutes en voiture depuis chez nous, il m’est interdit de l’accompagner. Je dois rester sans rien faire, dans le salon, et attendre près du téléphone des nouvelles sur l’évolution de son état.
Les sanctions d’Israël ne s’arrêtent pas là. Le 26 octobre, alors que je me rendais en Jordanie pour assister aux funérailles de ma tante, je me suis vu interdire de sortir du territoire, de nouveau pour des « raisons de sécurité ».
L’occupation par Israël parvient à nous séparer de nos proches dans la vie et dans la mort, via des méthodes des plus affreuses et punitives. Aujourd’hui, je ne peux plus sortir du tout de Cisjordanie occupée. Dans les termes les plus simples et les plus définitifs : je suis enfermé.
Les « raisons de sécurité » qui justifient ces interdictions ne m’ont jamais été révélées. Ce qui est devenu très clair, cependant, c’est que les défenseurs des droits humains sont ciblés à coups d’interdictions liées à la « sécurité » en raison du rôle que nous jouons en dénonçant les violations des droits humains commises par Israël.
Lorsque j’ai commencé à travailler pour Amnesty International en tant que chargé d’action sur Israël et les territoires palestiniens occupés en 2017, j’ai obtenu un permis pour me rendre dans notre bureau à Jérusalem-Est. Au cours de l’année, le ministre israélien de la Sécurité intérieure Gilad Erdan a donné instruction à son ministère [2] d’« examiner la possibilité d’empêcher l’entrée et le séjour des membres d’Amnesty International en Israël ». Il a pris cette décision à la suite de la publication de notre rapport dénonçant le fait que des entreprises de tourisme comme TripAdvisor et Airbnb tirent profit des colonies israéliennes.
Comble de l’ironie, tout au long de l’année 2019, j’ai fait campagne en faveur de défenseurs des droits humains qui ont été arrêtés, visés par des interdictions de se déplacer ou expulsés hors du pays. En septembre 2018, Israël a arrêté Ayman Nasser, coordonnateur du service juridique d’Addameer, une ONG palestinienne de défense des droits humains et de soutien aux prisonniers, et il est maintenu en détention sans inculpation ni jugement. Le dirigeant bédouin de premier plan Sayyah al Turi a été arrêté en décembre 2018 et libéré en août dernier pour son rôle dans la lutte que mènent les habitants d’al Araqib pour rester sur les terres de leur village, que les autorités israéliennes ont démoli [3] plus de 150 fois.
En début d’année, Israël a empêché Omar Barghouti, défenseur palestinien des droits humains et cofondateur du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), de se rendre à l’étranger afin d’assister au mariage de sa fille, en refusant de renouveler son document de voyage. Le photojournaliste palestinien Mustafa al Kharouf risque toujours d’être expulsé, les autorités israéliennes ayant rejeté sa demande de regroupement familial.
Ces manœuvres visant à nous faire taire ne se limitent pas aux seuls défenseurs palestiniens des droits humains. En novembre, Omar Shakir, directeur de Human Rights Watch pour Israël et la Palestine, qui est un ressortissant américain, a été expulsé en raison du rôle qu’il a joué en dénonçant les violations des droits humains commises par Israël.
Ces cas apportent la preuve concrète qu’Israël intensifie son offensive contre les défenseurs des droits humains et les organisations de la société civile. Tandis que je fais campagne pour les droits de ces courageux défenseurs, je me retrouve dans le même carcan.
La liste croissante des défenseurs détenus, attaqués, visés par des interdictions d’entrer sur le territoire ou de circuler librement, et menacés d’expulsion illustre le lourd tribut qu’ils doivent payer pour faire leur travail essentiel à la protection et à la promotion des droits humains et des libertés fondamentales. Cette liste n’est ni exhaustive ni figée. Au regard de l’orientation prise par les politiques et les pratiques d’Israël, elle risque fort de s’allonger.
Les défenseurs des droits humains ne sont pas en mesure de mener leur travail pacifique sans craindre de représailles de la part d’Israël. Ceux qui osent mettre en cause le bilan déplorable d’Israël en termes de droits humains le font dans un climat de peur [4], d’incertitude, de provocation et de répression qui se dégrade.
Des pays tiers, particulièrement ceux qui inscrivent la protection des droits humains dans leur politique étrangère, comme les États membres de l’UE, condamnent occasionnellement ces mesures arbitraires, mais n’agissent pas concrètement. Les responsables israéliens interprètent cette inaction comme un feu vert pour intensifier la répression contre les défenseurs des droits humains. Aujourd’hui, il est temps que ces États se mobilisent en faveur de ces défenseurs et fassent clairement savoir que les attaques contre la société civile ne seront pas tolérées.
Laith Abu Zeyad est un militant palestinien des droits humains, chargé d’action sur Israël et territoires palestiniens occupés à Amnesty International.