Des réfugiés à la dérive Par Stefan Simanowitz, media manager pour l’Europe, la Turquie et les Balkans

« Le plus important pour ces personnes, c’est qu’elles aient accès à un port sûr et qu’elles soient autorisées à débarquer », a déclaré Richard Gere, qui s’est exprimé depuis le navire de secours en mer Open Arms de l’ONG Proactiva. La star hollywoodienne s’était rendue à Lampedusa, au sud de l’Italie, pour aider à attirer l’attention sur la situation désespérée de 121 demandeurs d’asile qui sont bloqués en mer depuis maintenant huit jours. Plus de 30 enfants se trouvent à bord, dont deux bébés, mais les autorités italiennes et maltaises refusent de les laisser débarquer.

Un grand nombre des personnes à bord de ce navire souffriraient de blessures, y compris de brûlures au troisième degré et de blessures par balle subies pendant leur détention en Libye, pays dont ils se sont récemment enfuis. Un homme au moins affirme avoir subi ces blessures pendant l’attaque du mois dernier contre le centre de détention de Tajoura, à Tripoli. Pourtant, malgré une chaleur écrasante et des inquiétudes de plus en plus vives quant à leur bien-être, les autorités italiennes et maltaises ne les autorisent pas à débarquer.

Cette semaine, des informations ont été publiées révélant que l’Union européenne (UE) renforce sa présence en mer Méditerranée, non pas en déployant des navires de secours en mer pour sauver des vies, mais en utilisant des drones pour surveiller les migrants qui tentent la traversée [1]. Le même jour, l’Italie a adopté un nouveau texte appelé « décret Salvini », au titre duquel les navires d’ONG menant des opérations de secours qui entrent dans les eaux territoriales italiennes risquent d’être placés sous séquestre et condamnés à une amende allant jusqu’à un million d’euros.

Cette tentative d’entrave au travail qu’effectuent en mer les ONG et d’incrimination de ce travail, est la dernière en date d’une série de mesures prises par des pays de l’UE.

Aux termes du droit international, les personnes secourues en mer doivent être emmenées dans le port sûr le plus proche, où elles doivent être traitées avec humanité et pouvoir déposer une demande d’asile. Cela signifie que les personnes secourues en haute mer en Méditerranée centrale qui viennent de Libye doivent être conduites en Europe ; le fait de les ramener en Libye les expose au risque de subir une détention arbitraire, des mauvais traitements et des actes de torture.

Or, comme ils cherchent à bloquer les mouvements migratoires, les gouvernements européens ont fourni aux autorités libyennes un soutien pour intercepter ces personnes en mer et les ramener en Libye. Malgré ce soutien, qui comprend la fourniture de navires et d’une formation, les autorités libyennes ne sont pas en mesure de coordonner les opérations de secours en mer. En conséquence, les personnes secourues en mer ne peuvent pas être ramenées en Libye parce que c’est illégal, et elles ne peuvent pas débarquer en Europe parce que les navires ne sont pas autorisés à accoster.

Dans le cadre de la stratégie visant à dissuader les personnes de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe, plusieurs pays ont également supprimé les patrouilles de secours en mer. Des ONG comme Proactiva et Sea-Watch sont intervenues pour pallier ce manque, mais les gouvernements refusent souvent de les laisser accoster. Certains gouvernements européens vont jusqu’à les empêcher de mener leurs activités qui consistent à sauver des vies, au moyen d’enquêtes pénales infondées et d’obstacles bureaucratiques.

Les gouvernements européens ne veulent pas laisser les personnes secourues en mer débarquer sur leur sol, car au titre du « règlement de Dublin », les nouveaux arrivants doivent se voir offrir la possibilité de demander l’asile et une aide dans le premier pays où ils arrivent.

Comme il n’existe pas de système efficace de partage des responsabilités pour les personnes en quête d’asile au sein de l’UE, les pays côtiers – l’Espagne, l’Italie, la Grèce, Malte – se retrouvent dans une large mesure les seuls à devoir gérer cette situation. Les tentatives du Parlement européen visant à réformer le règlement de Dublin ont été bloquées par quelques pays.

Au lieu d’essayer de réparer un système défaillant qui place dans une situation très difficile les États de l’UE se trouvant en première ligne et les personnes qui recherchent la sécurité, les principaux dirigeants de l’Europe évitent ce problème. Cela a conduit à un vide que des représentants politiques opportunistes tels que Matteo Salvini, le ministre italien de l’Intérieur, s’empressent de combler.

Si rien n’est fait pour contrer cela, ce sont les gens comme Matteo Salvini qui vont modeler le discours avec une propagande alarmiste et en utilisant les préjugés à des fins électorales.

Il n’existe pas de solution facile, mais l’UE ne peut pas continuer de préférer empêcher des personnes de rejoindre l’Europe plutôt que de sauver des vies. Un mécanisme de débarquement rapide et prévisible conforme au droit international est nécessaire, de même que la mise en place au sein de l’UE d’un système équitable de répartition des responsabilités concernant les demandeurs d’asile et les réfugiés.

Ce matin, dans une vidéo émouvante publiée sur Twitter par Open Arms, Richard Gere demande à un homme l’âge de son fils, et celui-ci lui répond qu’il a huit mois. « Mon fils a le même âge », lui répond Richard Gere, qui sort alors son téléphone pour lui montrer une photo.

À ce moment-là, le fossé qui sépare ces deux hommes appartenant à deux mondes tellement différents, s’efface. Il s’agit simplement de deux pères, à bord d’un navire en Méditerranée, qui partagent la fierté qu’ils éprouvent à l’égard de leur enfant.

Mais seul un de ces deux hommes pourra regagner la terre ferme et vivre en sécurité avec son fils. L’autre se trouve confronté à un avenir beaucoup plus incertain.

CET ARTICLE A INITIALEMENT ÉTÉ PUBLIÉ DANS NEWSWEEK

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