En se fondant sur les données disponibles quant à la situation nationale et sur les orientations fournies par les autorités mondiales en matière de santé, le comité d’experts, entre autres missions, conseillera le gouvernement sur les mesures de santé publique à mettre en œuvre et la manière de les transmettre au public.
Par cette annonce qui semble marquer un changement radical d’approche du pays vis-à-vis de la pandémie de COVID-19, l’administration de Samia Suluhu s’exprime pour la première fois publiquement depuis l’investiture de la présidente le 19 mars 2021, suite au décès de son prédécesseur John Pombe Magufuli, quant à la mise en place de nouvelles mesures pour lutter contre la pandémie.
De nombreuses informations font état de l’absence de prise de mesures concrètes sous l’administration précédente en vue de protéger la population face à la pandémie. Le 29 avril 2020, la Tanzanie a cessé de publier les statistiques relatives aux taux de contamination et de décès liés au COVID-19. Au moment de la rédaction de cet article, les statistiques officielles demeuraient identiques à celles de 2020, faisant état de 509 cas confirmés de COVID-19 et de 39 décès, soit des nombres insignifiants en comparaison de ceux des pays limitrophes et d’autres pays dans le monde.
Le président défunt John Magufuli avait dénigré publiquement les vaccins contre le COVID-19, jugeant qu’ils étaient « inutiles et dangereux ». Il avait en outre enjoint à la population tanzanienne de s’en remettre à Dieu et d’avoir recours à des remèdes alternatifs tels que l’inhalation de vapeur, avant de déclarer que la Tanzanie était « libérée du coronavirus », sans apporter la moindre preuve.
L’administration de Samia Suluhu s’exprime pour la première fois publiquement depuis l’investiture de la présidente le 19 mars 2021, suite au décès de son prédécesseur John Pombe Magufuli, quant à la mise en place de nouvelles mesures pour lutter contre la pandémie
La posture de déni du gouvernement précédent n’a cependant pas fait barrage aux effets dévastateurs de la maladie dans le pays. Sans surprise, au cours de ces derniers mois, de nombreux décès, notamment de personnalités en vue, semblent imputables au COVID-19, bien qu’officiellement tous soient attribués à des causes telles que des « difficultés respiratoires » et des « pneumonies virales » selon la Conférence épiscopale de Tanzanie. Au cours du seul mois de février 2021, 10 figures du gouvernement sont décédées [1], parmi lesquelles le premier vice-président de Zanzibar, Seif Sharif Hamad, quelques semaines après qu’il eut effectué un test de dépistage du COVID-19 dont le résultat s’était avéré positif.
La présidente Samia Suluhu doit prendre des mesures sans tarder afin de sauver des vies face à ce virus mortel. Elle doit examiner sans complaisance les erreurs commises et s’engager sur une nouvelle voie fondée sur l’acceptation de la science et la réfutation des mythes.
En février et en mars 2021, des dignitaires religieux parmi lesquels le secrétaire général de la Conférence épiscopale de Tanzanie, Charles Kitima, ont fait état, par la voix du Conseil des évêques et de l’Église catholique de Tanzanie, d’une vague de décès et signalé que des prêtres, des religieuses et des infirmières étaient décédés des suites de « difficultés respiratoires ». Malgré ces signalements, le gouvernement n’a apporté aucune modification aux mesures en place pour lutter contre la pandémie qui, à ce jour, a fait plus de 2,8 millions de victimes dans le monde et a touché plus de 128 millions de personnes.
Même après l’investiture de la présidente Samia Suluhu, les masques de protection et les mesures de prévention telles que, entre autres, des mesures de distanciation physique, sont restés globalement inexistants en Tanzanie. Faisant fi systématiquement des mesures de prévention contre le COVID-19, les représentants gouvernementaux, y compris la présidente elle-même, continuent d’apparaître sans masque dans des lieux publics bondés.
La posture de déni du gouvernement précédent n’a cependant pas fait barrage aux effets dévastateurs de la maladie dans le pays
Malgré tout, l’annonce de la présidente concernant la création d’un comité national d’experts sur la question du COVID-19 représente un pas très positif dans la bonne direction. Cependant, pour garantir qu’il ne s’agit pas d’un simple exercice de relations publiques et de communication auprès de la communauté internationale, le comité d’experts devra prendre des mesures déterminantes dans plusieurs domaines.
Tout d’abord, il lui appartiendra de veiller à ce que les normes du droit international relatif aux droits humains soient au cœur de toutes les mesures prises pour lutter contre le COVID-19 en vue de protéger au mieux la santé publique et de soutenir l’ensemble de la population tanzanienne, y compris les personnes les plus vulnérables face à la maladie ainsi que celles qui sont le plus susceptibles de se heurter à des obstacles pour se protéger contre le virus, notamment pour des raisons socioéconomiques.
En vertu du droit international, il incombe au gouvernement tanzanien de veiller à ce que toute personne ait le droit de bénéficier du meilleur état de santé mentale et physique susceptible d’être atteint et le droit de bénéficier des progrès de la science. Ces droits sont explicitement énoncés dans plusieurs instruments du droit international relatif aux droits humains tels que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dont la Tanzanie est signataire. Le droit à la santé est également protégé au titre de l’article 30(2)(b) de la Constitution de la République unie de Tanzanie.
L’annonce de la présidente concernant la création d’un comité national d’experts sur la question du COVID-19 représente un pas très positif dans la bonne direction
L’accès aux informations relatives à la santé constitue également un aspect essentiel du droit à la santé. Le fait d’assurer « une éducation et un accès à l’information sur les principaux problèmes de santé de la communauté, y compris des méthodes visant à les prévenir et à les maîtriser » constitue une « obligation tout aussi prioritaire » que les obligations fondamentales inhérentes au droit à la santé. L’accessibilité de l’information est une dimension essentielle de l’accès aux soins, qui comprend « le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées concernant les questions de santé ».
Le comité d’experts doit dès lors également recommander le retrait des lois répressives qui ont été utilisées en vue de limiter les communications sous diverses formes, et notamment la couverture médiatique de la gestion de la pandémie de COVID-19 par le gouvernement. Ainsi, un incident particulièrement troublant s’est déroulé début avril, lorsque plusieurs médias se sont vus infliger des amendes de cinq millions de shillings tanzaniens (soit environ 2 150 dollars des États-Unis) et ont été contraints de présenter des excuses pour « avoir transmis des informations fausses et trompeuses » concernant l’approche du pays dans sa gestion du COVID-19. L’État devrait au contraire faciliter un accès universel à l’information, aux soins préventifs, aux médicaments, aux traitements et aux vaccins.
La création de ce comité d’experts représente également une occasion pour les autorités tanzaniennes d’envisager un plan de vaccination dans le cadre de leur stratégie de lutte contre le COVID-19, et de garantir la transparence, la participation, l’obligation de rendre des comptes, l’égalité et la non-discrimination dans l’accès aux vaccins.
La présidente Samia Suluhu doit prendre des mesures sans tarder afin de sauver des vies face à ce virus mortel. Elle doit examiner sans complaisance les erreurs commises et s’engager sur une nouvelle voie fondée sur l’acceptation de la science et la réfutation des mythes. Elle doit accorder une plus grande importance au droit à la santé en veillant à ce que son gouvernement prenne en compte la gravité réelle de la pandémie de COVID-19.
Cet article a initialement été publié dans l’édition papier du East African du 18 avril.