Inde, les recommandations d’un organisme international utilisées contre la société civile

Manifestation citoyenne contre les raids de police et les arrestations illégales des activistes des droits humains

Les autorités indiennes exploitent les recommandations d’un organisme mondial de surveillance du financement du terrorisme et du blanchiment d’argent, dans le but de s’en prendre à des groupes et des militant·e·s de la société civile, et d’entraver délibérément leur travail, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse rendue publique mercredi 27 septembre.

Ce document, intitulé Weaponizing counter-terrorism : India’s exploitation of terrorism financing assessments to target civil society, révèle que les autorités indiennes ont détourné les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) - un organisme mondial chargé de lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent -, dans le but d’adopter des lois draconiennes s’inscrivant dans une campagne coordonnée visant à étouffer le secteur des organisations à but non lucratif. Ces lois sont ensuite invoquées afin de lancer des poursuites sur la base de charges liées au terrorisme et, entre autres, pour empêcher les organisations et les militant·e·s d’accéder à des fonds essentiels.

« Sous couvert de lutte contre le terrorisme, le gouvernement indien a profité des recommandations du Groupe d’action financière pour renforcer son arsenal de lois financières et antiterroristes, qui sont régulièrement utilisées de manière abusive afin de prendre pour cible et réduire au silence les personnes qui formulent des critiques. Le GAFI doit demander des comptes aux autorités indiennes à propos de l’instrumentalisation persistante de ses recommandations », a déclaré Aakar Patel, président du bureau exécutif d’Amnesty International Inde.
 
« En abusant de ces lois, les autorités indiennes n’ont pas respecté les normes du GAFI ni le droit international relatif aux droits humains. »
 

« Nous ne survivons que pour nous battre contre les poursuites judiciaires »

En Inde, les organisations non gouvernementales (ONG) doivent obtenir une « licence liée aux contributions étrangères » pour avoir accès à des fonds étrangers, conformément à la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères (règlement). L’introduction de ce projet de loi en 2006 avait coïncidé avec l’obtention par l’Inde du statut de pays observateur au sein du GAFI. Plus tard, en 2010, des modifications ont été apportées à cette loi afin d’améliorer le statut « Non conforme » de l’Inde. Depuis lors, et plus particulièrement au cours des dix dernières années, plus de 20 600 ONG ont cependant vu leur licence annulée, dont près de 6 000 depuis le début de l’année 2022.

« Presque tous nos programmes ont été interrompus [...] Nous ne survivons que pour nous battre contre les actions en justice qui ont été intentées contre nous »

 
Dans une enquête menée par Amnesty International, 11 ONG sur 16 (travaillant sur des questions liées aux minorités, aux groupes marginalisés et au changement climatique) ont confirmé la révocation arbitraire de leurs licences liées aux contributions étrangères par le biais de suspensions, d’annulations et de non-renouvellements. Les organisations ont déclaré que les autorités avaient seulement fourni des raisons vagues, les accusant notamment de « jeter le discrédit sur les institutions publiques », de « travailler contre l’intérêt public ou national » ou de faire allusion à leur travail en faveur des droits humains. La plupart des groupes avec lesquels Amnesty International s’est entretenue ont indiqué qu’ils avaient dû réduire leur personnel de 50 à 80 %, ce qui a eu un impact considérable sur la portée de leur travail. « Presque tous nos programmes ont été interrompus [...] Nous ne survivons que pour nous battre contre les actions en justice qui ont été intentées contre nous », a déclaré un militant.
 
Les modifications apportées à la loi de 2020, tout comme ses amendements antérieurs, ne sont toutefois pas conformes à la recommandation 8 du GAFI, qui exige que les lois et réglementations prennent uniquement pour cible les organisations à but non lucratif qu’un pays a identifiées - par le biais d’une analyse minutieuse et ciblée « fondée sur les risques » - comme risquant d’être exploitées à des fins de financement du terrorisme.
 
Aucune des ONG avec lesquelles Amnesty International s’est entretenue n’a été contactée par le gouvernement indien pour une « évaluation des risques », bien que le GAFI ait spécifiquement souligné le manque de sensibilisation dans ses rapports d’évaluation mutuelle de 2010 et 2013. Ces agissements ne respectent pas non plus les lignes directrices établies par la note interprétative du GAFI sur la recommandation 8, qui vise à limiter les conséquences involontaires pour le secteur à but non lucratif, en préconisant des mesures antiterroristes spécifiques et ciblées.
 

« La peur a poussé notre conseil de direction et notre personnel à démissionner »

 
La promulgation de la Loi de 2002 relative à la prévention du blanchiment d’argent et les modifications apportées en 2012 à la Loi relative à la prévention des activités illégales - la principale loi antiterroriste de l’Inde - figuraient parmi les conditions préalables à l’adhésion de l’Inde en tant que 34 e membre du GAFI.

Au fil des années, les modifications apportées à ces lois, sur la base des recommandations du GAFI lors des dernières évaluations de l’Inde, en 2010 et 2013, ont amené le GAFI à faire passer la note de l’Inde de « Non conforme » à « Largement conforme ».

« La motivation de ces mesures est purement politique et vise à créer un environnement hostile pour les organisations internationales »

 
Des rapporteurs spéciaux des Nations unies ont cependant dénoncé à maintes reprises les dispositions controversées et excessives de la Loi relative à la prévention des activités illégales, qui portent atteinte au droit international en matière de droits humains et aux normes associées, et contredisent les principes directeurs du GAFI. Les autorités indiennes ont ignoré tous ces appels et ont continué à appliquer ces lois de manière discriminatoire contre les voix d’opposition telles que celle d’Umar Khalid, militant étudiant musulman, de Khurram Parvez, défenseur cachemiri des droits humains, d’Irfan Mehraj, journaliste, et de 16 autres personnes (dans l’affaire Bhima Koregaon), dont dix sont maintenues en détention depuis 2018 sans avoir été jugées, sur la base d’allégations de « financement du terrorisme », entre autres. La Loi relative à la prévention du blanchiment d’argent a également été utilisée contre Amnesty International, forçant l’organisation à cesser ses activités dans le pays en septembre 2020.
 
« La motivation de ces mesures est purement politique et vise à créer un environnement hostile pour les organisations internationales. Le GAFI ne doit pas permettre que ces lois soient utilisées par les autorités indiennes pour éroder systématiquement les droits à la liberté d’association et à la liberté d’expression dans le pays, en particulier pour les acteurs de la société civile et les minorités religieuses », a déclaré Aakar Patel.
 
Amnesty International recommande que la Loi relative à la prévention des activités illégales, la Loi relative à la prévention du blanchiment d’argent et la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères soient abrogées ou modifiées en profondeur, dans le but de les mettre en conformité avec les normes internationales en matière de droits humains. Mais surtout, les organisations à but non lucratif, notamment celles qui ont fait l’objet de mesures défavorables en vertu de ces trois lois, doivent être consultées dans le cadre de la prochaine évaluation de l’Inde par le GAFI. Les autorités indiennes doivent veiller à ce que l’exercice des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion soit véritablement protégé.
 
Complément d’information
 
Le Groupe d’action financière (GAFI), dont l’Inde est membre depuis 2010, est un organisme intergouvernemental composé de 37 États membres, chargé de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à l’échelle mondiale. Il fait avancer son action par le biais d’un ensemble de recommandations - comprenant 40 normes mondiales approuvées au niveau international - afin de guider les autorités nationales dans la mise en œuvre de « de mesures juridiques, réglementaires et opérationnelles pour lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et d’autres menaces connexes pour l’intégrité du système financier international ».

 
La publication de cette nouvelle synthèse par Amnesty International survient avant le quatrième cycle du processus d’évaluation mutuelle de l’Inde par le GAFI en novembre 2023.

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