Dans d’innombrables cas, la police se précipite trop vite à disperser des manifestants pacifiques en recourant à la force au lieu de chercher à résoudre pacifiquement les conflits ; elle utilise les gaz lacrymogènes, les gaz poivres et les canons à eau de manière arbitraire, abusive ou excessive, souvent sans avoir à rendre de comptes ou presque.
Amnesty International réagit à cette grave lacune dans l’application de la loi en publiant un nouveau document très complet visant à faire en sorte que la police n’utilise les gaz lacrymogènes et le gaz poivre que de manière légale. L’organisation exhorte les gouvernements à aligner la législation nationale et sa mise en œuvre sur 30 règles relatives à l’utilisation des substanes chimiques irritantes dans le cadre de l’application de la loi.
"Trop souvent, dans de nombreux pays du monde, des personnes sont gravement blessées, voire tuées, lorsque la police utilise des gaz lacrymogènes en violation des normes internationales ou des lois nationales en vigueur", a déclaré l’auteur du rapport, la Dr Anja Bienert, du programme Police et droits humains d’Amnesty International Pays-Bas.
"Personne ne conteste que la police a un devoir difficile, et souvent même dangereux, à accomplir. Mais les autorités omettent souvent de créer un cadre permettant de s’assurer que la police utilise les substances chimiques irritantes conformément au droit et aux normes internationales en matière de droits humains."
« Trop souvent, dans de nombreux pays du monde, des personnes sont gravement blessées, voire tuées, lorsque la police utilise des gaz lacrymogènes en violation des normes internationales ou des lois nationales en vigueur »
Le rapport qu’Amnesty International a publié sur le maintien de l’ordre lors de manifestations à Cali (Colombie) illustre les graves problèmes de droits humains qui se posent lorsque les forces de l’ordre ont recours à des substances chimiques irritantes dans le cadre de manifestations. Des gaz lacrymogènes ont été utilisés contre des manifestants pacifiques ; des grenades ont été tirées à bout portant directement contre des manifestants, y compris en visant la tête ; elles ont été utilisées dans des situations où les gens étaient incapables de se disperser ; elles ont été tirées de nuit, et depuis le ciel, ainsi qu’en quantités excessives grâce à l’utilisation du système de lanceurs multiples Venom.
Le pouvoir de recourir à la force est indispensable à la police pour remplir ses fonctions, mais cela ne signifie pas qu’il est inévitable. Le principe sous-jacent des normes internationales pour la police est de ne pas utiliser la force à moins que cela ne soit vraiment nécessaire.
L’usage abusif des gaz lacrymogènes et du gaz poivre : un problème mondial
Au fil des années, Amnesty International a recueilli des informations sur l’utilisation abusive du gaz lacrymogène par la police de multiples façons, notamment :
· Des tirs dans des espaces confinés. Par exemple, en Zambie, une étudiante en dernière année est morte étouffée après que la police a lancé une grenade lacrymogène dans le dortoir où elle dormait. De même, en juin 2021, les forces de sécurité tunisiennes ont imprudemment tiré des gaz lacrymogènes dans des zones résidentielles. Elles ont tiré du gaz lacrymogène à l’intérieur de maisons, ce qui a failli étouffer un bébé de deux semaines. En mai 2021, les forces de sécurité israéliennes ont tiré des gaz lacrymogènes à l’intérieur de la mosquée al-Aqsa et depuis les toits. Selon des témoins, elles ont brisé des fenêtres et lancé des gaz lacrymogènes, laissant de nombreuses personnes à l’intérieur peinant à respirer. En mars 2021, les forces de sécurité iraniennes ont utilisé des gaz lacrymogènes pour réprimer des manifestations dans plusieurs prisons.
· Tirer directement sur des individus. Au Liban, par exemple, les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser une manifestation largement pacifique. Les forces de sécurité ont tiré des bombes lacrymogènes directement sur les manifestants et à partir d’un véhicule en mouvement, rendant impossible un déploiement contrôlé. Cela a entraîné de graves blessures à la tête et au haut du corps parmi les manifestants. Au Myanmar, des membres des forces armées ont également tiré des gaz lacrymogènes directement sur des personnes dans la rue.
· L’utilisation de quantités excessives. Lors des manifestations en Thaïlande, la police a utilisé de manière excessive des substances chimiques irritantes sur les foules, notamment en les mélangeant aux décharges des canons à eau. Les victimes déclarent avoir subi des blessures telles que de graves brûlures et des saignements nasaux.
· Tirer sur des manifestations pacifiques. Dans des dizaines de villes des États-Unis, de nombreuses forces de l’ordre ont ciblé des manifestants pacifiques du mouvement Black Lives Matter avec des gaz lacrymogènes et d’autres agents de contrôle des foules. En Grèce, la police a également eu recours de manière inutile et excessive à l’utilisation de gaz lacrymogènes contre des manifestants pacifiques.
En mai 2021, le projet multimédia en ligne d’Amnesty International, Tear Gas : An Investigation, a remporté le prestigieux Webby Award [1] du meilleur site Internet de militantisme au monde. Le site web comprend une carte interactive mettant en évidence des vidéos de plus de 100 incidents d’utilisation abusive de gaz lacrymogène provenant de 31 pays et territoires.
30 règles pour l’utilisation des substances chimiques irritantes lors des manifestations
Le document de position d’Amnesty International précise que la police ne peut utiliser des gaz lacrymogènes que dans le cas d’une violence généralisée, lorsqu’il est impossible de s’occuper uniquement des individus violents. Elle ne doit jamais utiliser de gaz lacrymogène pour disperser des manifestants pacifiques. Les grenades ne doivent jamais être tirées directement sur des personnes. Le gaz lacrymogène doit être utilisé pour disperser des manifestants violents et ne doit donc jamais être utilisé dans des espaces confinés ou dans d’autres zones où les personnes sont incapables de se disperser. Les aérosols de gaz poivre tenus en main ne peuvent être utilisés que pour vaincre une résistance violente, mais pas contre des personnes qui ne font que résister passivement. Son utilisation contre des personnes déjà maîtrisées équivaudrait à de la torture ou à d’autres mauvais traitements.
Le document de position est un outil pratique pour toute personne qui évalue l’utilisation des gaz lacrymogènes et du gaz poivre par la police et qui plaide pour un plus grand respect des droits de l’homme.
Le principe sous-jacent des normes internationales pour la police est de ne pas utiliser la force à moins que cela ne soit vraiment nécessaire
"Ce document vise à fournir des mesures juridiques et pratiques que les États doivent prendre pour garantir que l’usage de la force par la police n’est pas excessif, abusif, arbitraire ou autrement illégal. Pour que cela soit possible, il faut que la responsabilité de tout usage de la force par la police soit pleinement engagée", a déclaré la Dr Bienert.
L’utilisation de gaz lacrymogènes pendant la pandémie de COVID-19 comporte des risques supplémentaires considérables car elle pourrait aggraver les symptômes des personnes porteuses du virus COVID-19 et augmenter le risque d’infection pour les autres.
Nécessité d’une réglementation internationale
Malgré l’usage abusif qui en est fait, il n’existe pas de réglementation internationale convenue sur le commerce des gaz lacrymogènes et autres substances chimiques irritantes.
Amnesty International exhorte les États à ne pas autoriser l’exportation de substances chimiques irritantes, tels que les gaz lacrymogènes ou le gaz poivre, les lanceurs correspondants et l’assistance technique, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que ces équipements seront utilisés pour de graves violations des droits humains.
L’organisation demande en outre l’interdiction de l’utilisation combinée ds substances chimiques irritantes avec d’autres dispositifs et de systèmes de lancement et de lanceurs multiples.