Utilisation abusive des gaz lacrymogènes par les forces de sécurité

Gaz lacrymogène

Le commerce opaque et peu règlementé des gaz lacrymogènes favorise les violations des droits humains commises par la police contre des manifestant·e·s pacifiques partout dans le monde, a déclaré Amnesty International le 12 juin à l’occasion du lancement d’un nouveau moyen d’information exposant des cas d’utilisation abusive de cet agent de lutte antiémeute recensés partout dans le monde.

Le site interactif et multimédia de l’organisation Tear Gas : An investigation explique ce que sont les gaz lacrymogènes et de quelle façon ils sont utilisés, et présente de nombreux cas d’utilisation abusive de ce produit, recensés partout dans le monde, qui ont souvent conduit à de graves blessures ou même à la mort de victimes.

Ce site est tout particulièrement utile actuellement. Il est mis en ligne à l’occasion de l’anniversaire du début de l’utilisation pendant de nombreux mois par la police de Hong Kong d’un barrage de gaz lacrymogènes contre des manifestant·e·s pacifiques – qui a récemment été renouvelé – et alors que dans plusieurs dizaines de villes aux États-Unis la police bombarde les protestataires avec des grenades lacrymogènes.

« Les forces de sécurité veulent souvent nous faire croire que les gaz lacrymogènes permettent de disperser des foules violentes « sans danger », en évitant d’avoir à utiliser des armes plus préjudiciables. Or, les recherches que nous avons menées prouvent que la police les utilise massivement de façon abusive, a déclaré Sam Dubberley, responsable du Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International.

« Nous avons rassemblé des informations montrant que les forces de police utilisent les gaz lacrymogènes d’une manière qui ne correspond absolument pas à l’usage prévu, souvent en en utilisant de grandes quantités contre des manifestants largement pacifiques ou en tirant des projectiles directement sur des personnes, les blessant ou les tuant. »

Données sur l’utilisation des gaz lacrymogènes en accès libre

Durant l’année passée, le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International a mené des recherches sur l’utilisation abusive de gaz lacrymogènes à travers le monde, en examinant principalement des vidéos publiées sur des plateformes de réseaux sociaux telles que Facebook, YouTube et Twitter.

En examinant des données disponibles en accès libre, l’organisation a vérifié près de 500 vidéos et recensé près de 80 cas dans 22 pays et territoires d’utilisation abusive des gaz lacrymogènes, en vérifiant le lieu, la date et la validité de ces données. Cette analyse des données a été effectuée par le Service de vérification numérique [1] d’Amnesty International, qui est un réseau de personnes étudiant dans six universités sur quatre continents qui ont reçu une formation pour vérifier l’origine et la fiabilité de contenus publiés sur les réseaux sociaux.

Cette étude présente des entretiens menés avec des manifestants et met en lumière une tendance très inquiétante, observée dans le monde entier, consistant à utiliser de façon illégale des gaz lacrymogènes.

Le site présente notamment une vidéo réalisée en collaboration avec SITU Research [2] expliquant les caractéristiques des gaz lacrymogènes et le fonctionnement interne des munitions, et montrant que leur mauvaise utilisation peut infliger des blessures et tuer.

Exemples d’utilisation abusive de gaz lacrymogènes sur des manifestants

Des gaz lacrymogènes ont été tirés à travers le pare-brise d’une voiture de tourisme, dans un bus scolaire, sur un cortège funèbre, dans des hôpitaux, dans des immeubles d’habitation, dans le métro, dans des galeries marchandes, et aussi, étonnamment, dans des rues presque désertes.

Les forces de sécurité ont aussi tiré des grenades lacrymogènes directement sur des personnes, qui ont été blessées ou tuées, et depuis des camions, des jeeps, et au moyen de drones passant à toute allure. Parmi les personnes visées figurent des personnes manifestant pour le climat, des lycéen·ne·s, du personnel médical, des journalistes, des personnes migrantes et des défenseur·e·s des droits humains, notamment des membres du mouvement Bring back our girls, au Nigeria.

Dans une vidéo, on peut voir des policiers, à Philadelphie, le 1er juin 2020, tirer plusieurs salves de gaz lacrymogènes sur de nombreux manifestants qui sont bloqués dans l’accotement pentu d’une autoroute et qui n’ont aucune possibilité de s’échapper sans danger.

Des médecins à Omdurman, non loin de Khartoum, la capitale du Soudan, ont dit à Amnesty International que des agents des forces de sécurité et des soldats ont effectué l’an dernier une descente dans la salle d’un service des urgences, qu’ils ont enfumée avec du gaz toxique, infligeant des blessures supplémentaires à 10 patients. L’un des médecins a déclaré : « Les soldats ont lancé des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles à l’intérieur de l’hôpital, ensuite certains d’entre eux sont venus dans la salle des urgences et ont lancé quatre grenades lacrymogènes. Dieu merci, il n’y en a qu’une qui a explosé. » Une grenade de gaz lacrymogènes a été lancée sous le lit d’un homme de 70 ans hospitalisé pour un arrêt cardiaque. Cet homme est mort 10 minutes après.

Dans une vidéo enregistrée au Venezuela, on voit une grenade de gaz lacrymogènes percer un trou à travers un bouclier de fortune fabriqué avec du bois qu’un manifestant utilisait pour se protéger face à des policiers armés, à Caracas. Il s’en est fallu de quelques centimètres pour que la grenade ne le blesse mortellement.

Amnesty a rassemblé des informations sur différents cas d’utilisation abusive par la police de gaz lacrymogènes :

· grenades lacrymogènes tirées dans des espaces confinés ;
· tirées directement sur des personnes ;
· utilisées en quantités excessives ;
· tirées sur des manifestants pacifiques ; et
· tirées sur des groupes de personnes n’ayant guère la possibilité de fuir ou particulièrement sensibles à leurs effets, comme les enfants, les personnes âgées et les personnes avec un handicap.

Le site présente des vidéos d’entretiens avec des experts – incluant un médecin des urgences et des spécialistes des droits en ce qui concerne le maintien de l’ordre et la responsabilité des entreprises en matière de droits humains – expliquant pourquoi les gaz lacrymogènes sont très dangereux quand ils sont utilisés de façon incorrecte.

Amnesty International estime, tout comme le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, que l’utilisation de gaz lacrymogènes équivaut dans certaines circonstances à un recours à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements.

Un commerce peu règlementé

Alors que les gaz lacrymogènes sont largement utilisés de façon abusive, il n’existe pas de réglementation adoptée au niveau international sur le commerce des gaz lacrymogènes et des autres agents de lutte antiémeute. Rares sont les États qui rendent publiques des informations sur les destinataires de leurs exportations de gaz lacrymogènes et sur les quantités exportées, ce qui empêche de contrôler de façon indépendante la situation.

Amnesty International et la Fondation de recherche Omega [3] mènent campagne depuis plus de 20 ans pour que la fabrication, l’utilisation et le commerce des gaz lacrymogènes et des autres types d’armes à létalité réduite soient mieux contrôlés. Grâce à ce travail de campagne, l’ONU et des organes régionaux tels que l’Union européenne et le Conseil de l’Europe ont reconnu la nécessité de réglementer les exportations d’armes à létalité réduite.

Les initiatives diplomatiques de haut niveau menées par les plus de 60 États de l’Alliance pour un commerce sans torture [4], avec le soutien d’Amnesty International et d’Omega, ont conduit l’ONU à étudier la possibilité de mettre en place un système de contrôle du commerce international des armes à létalité réduite et d’autres produits, afin d’empêcher qu’ils ne soient utilisés pour commettre des actes de torture et d’autres mauvais traitements et pour infliger la peine de mort. Amnesty International et Omega insistent actuellement pour que ces mesures incluent les gaz lacrymogènes et les autres agents de lutte antiémeute.

« En ce qui concerne les gaz lacrymogènes, le problème vient en partie du fait que certaines forces de police n’ont pas compris quand et comment ils peuvent être utilisés légalement, que d’autres préfèrent ne tenir aucun compte de la règlementation, et que d’autres encore les utilisent en tant qu’armes, a déclaré Patrick Wilcken, chercheur sur le contrôle des armes, la sécurité et les droits humains.

« Mais la solution consiste aussi en partie à exercer un contrôle plus étroit sur le commerce international des gaz lacrymogènes et des autres agents de lutte antiémeute. Les gaz lacrymogènes doivent être inclus dans les dispositions sur le contrôle international des armes à létalité réduite et des matériels de contrainte, qui font actuellement l’objet de discussions à l’ONU. »

Complément d’information

Pays et territoires cités :

Bolivie, Chili, Colombie, Équateur, États-Unis, y compris la frontière américano-mexicaine, France, Guinée, Haïti, Honduras, Hong Kong, Inde (Cachemire sous administration indienne), Irak, Iran, Israël-TPO, Kenya, Liban, Nigeria, RDC, Soudan, Turquie, Venezuela, Zimbabwe.

Fabricants de grenades lacrymogènes et de lance-grenades cités :

Cavim ; Condor Non-Lethal Technologies ; DJI* ; Falken ; PepperBall ; The Safariland Group ; et Tippmann Sports LLC. Amnesty International s’est rapprochée de ces sept entreprises pour obtenir leurs réactions, mais seule l’une d’entre elles a répondu.

*fabrique des drones commerciaux qui sont utilisés pour lancer des grenades lacrymogènes à Gaza.

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