Irak, il faut éviter un bain de sang

Après la mort d’au moins six manifestants dans le centre de Bagdad lors d’une opération policière menée le 9 novembre 2019 pour évacuer les manifestant·e·s de plusieurs ponts et rues près de la place Tahrir, les autorités irakiennes doivent prendre des mesures immédiates pour contenir les forces de sécurité, a déclaré Amnesty International, qui s’est entretenue au téléphone avec de nombreux témoins directs.

Des dizaines d’autres manifestant·e·s ont été blessés dans la capitale, et les médias ont aussi fait état d’une douzaine de morts à Bassora ces derniers jours. 

« Bagdad et Bassora ont encore connu des jours sanglants, caractérisés par un recours excessif à la force contre les manifestants. Les autorités irakiennes doivent ordonner immédiatement l’arrêt de cette utilisation incessante et illégale de la force mortelle », a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« En un peu plus d’un mois, on a recensé au moins 264 morts dans des manifestations à travers le pays. La situation est en train de tourner au bain de sang. Toutes les promesses de réformes ou d’enquêtes du gouvernement sonnent creux face à des forces de sécurité qui continuent de tirer sur les manifestants.

« Les autorités ont le devoir de protéger le droit du peuple irakien à la vie, ainsi que son droit de se rassembler et d’exprimer ses opinions. Il faut mettre immédiatement un terme à ce bain de sang et traduire en justice les responsables présumés de ces actes. »

Des professionnels de santé ayant assisté à l’opération policière à Bagdad ont raconté à Amnesty International que quatre manifestants avaient été tués par balle et que deux autres étaient morts des suites de leurs blessures après avoir reçu des grenades lacrymogènes dans la tête. Une vidéo tournée semble-t-il sur les lieux montre le corps sans vie d’un homme allongé à l’arrière d’un véhicule, une grenade lacrymogène enfoncée dans le crâne.

Amnesty International a recueilli des informations sur au moins neuf autres cas de décès de manifestants causés par des grenades lacrymogènes et fumigènes de type militaire à Bagdad depuis le 25 octobre, et a demandé un arrêt immédiat de l’utilisation de ces grenades pour le contrôle des foules en raison de leur létalité élevée. 

Un médecin a expliqué à Amnesty International avoir vu les forces de sécurité charger dans la rue Al Rashid tout en tirant des gaz lacrymogènes sur les manifestants. Dans la cohue, les tentes utilisées par le personnel de santé ont pris feu et plusieurs milliers de dollars de matériel médical sont partis en fumée. 

Un autre médecin a décrit des destructions similaires d’équipements médicaux lorsque les forces de sécurité ont chargé les manifestants sur le pont Al Sinak. Selon lui, les agents des forces de l’ordre ont fait irruption dans la tente où étaient soignés les manifestants blessés et ont jeté des grenades lacrymogènes au sol à l’intérieur de la tente, provoquant un incendie. Les médecins ont dû fuir, emmenant les blessés et laissant derrière eux le matériel médical. Un tuk-tuk utilisé pour transporter les manifestants blessés jusqu’aux ambulances – et clairement identifié comme tel – a aussi été détruit dans cette attaque. 

L’accès à Internet a été brièvement rétabli pendant quelques heures samedi 9 novembre mais, selon l’ONG Netblocks et de multiples témoignages de militant·e·s sur le terrain, il a de nouveau été coupé dans la plus grande partie du pays vers 17 h 15 heure locale.

Complément d’information sur les manifestations en Irak

Le 1er octobre 2019, des manifestations ont éclaté sur tout le territoire irakien à propos du chômage, de la corruption et de la mauvaise qualité des services publics. Elles ont duré deux semaines. Elles ont repris dans la nuit du 24 octobre à Bagdad et dans d’autres provinces d’Irak, telles que Karbala, Bassora, Babel et Diwaniya. Durant cette dernière vague de manifestations, Amnesty International a recueilli des informations indiquant que les forces de sécurité avaient utilisé une force excessive et, dans plusieurs dizaines de cas, mortelle pour disperser les manifestants. Elles ont notamment eu recours à des gaz lacrymogènes, des tirs à balles réelles et des snipers. L’organisation a aussi constaté que les militant·e·s de Bagdad étaient la cible d’une campagne incessante d’intimidations et d’attaques, prenant entre autres la forme de disparitions forcées. Amnesty International continue de recevoir des témoignages faisant état d’un recours excessif à la force pour disperser les manifestations et de nouveaux cas d’arrestations et d’intimidations visant des manifestant·e·s.

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