Maroc/Sahara occidental, La répression se durcit face aux critiques visant le pouvoir

Maroc

Durcissant la répression contre les voix pacifiques, les autorités marocaines ont lancé une nouvelle vague d’arrestations arbitraires et de poursuites judiciaires visant différentes personnes, notamment un journaliste, des rappeurs et des youtubeurs, la plupart étant pris pour cibles uniquement parce qu’ils ont critiqué le roi et de hauts fonctionnaires.

Amnesty International a recensé les cas d’au moins 10 militants arrêtés illégalement, interrogés et condamnés à de lourdes peines depuis le mois de novembre. Quatre sont accusés d’« offense » ou d’« insulte » au roi ou à la monarchie, l’une des trois « lignes rouges » en matière de liberté d’expression au Maroc. Ces 10 personnes sont accusées d’« outrage » à des fonctionnaires ou des institutions publiques, infractions inscrites dans le Code pénal marocain.

« Pour les autorités marocaines, le concept de " lignes rouges " revient essentiellement à interdire toute critique de la monarchie et des institutions étatiques, et est employé avec un regain d’enthousiasme pour s’en prendre aux militants pacifiques et aux artistes. Des youtubeurs, des rappeurs et des journalistes sont désormais condamnés à de lourdes peines de prison au titre de lois répressives, a déclaré Heba Morayef, directrice du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International.

« Il est urgent que les autorités modifient le Code pénal du Maroc qui conserve un arsenal de dispositions criminalisant la liberté d’expression et est utilisé de manière illégale pour étouffer la dissidence dans le pays. »

« Il est urgent que les autorités modifient le Code pénal du Maroc qui conserve un arsenal de dispositions criminalisant la liberté d’expression et est utilisé de manière illégale pour étouffer la dissidence dans le pays. »

Entre novembre 2019 et janvier 2020, neuf de ces 10 personnes et militants ont été condamnés à des peines d’emprisonnement comprises entre six mois et quatre ans.

Le 1er décembre, la police de Settat a arrêté le blogueur Mohamed Sekkaki, alias Moul El Kaskita, quelques jours après qu’il a diffusé sur YouTube une vidéo dans laquelle il critiquait le roi et la nouvelle taxe imposée aux utilisateurs de YouTube. Le tribunal de Settat l’a condamné à quatre ans de prison et à une amende de 40 000 dirhams marocains (environ 3 800 euros) en se fondant uniquement sur les dispositions du Code pénal relatives à l’« offense au roi » et à l’« outrage » envers des fonctionnaires. Son procès en appel a été fixé au 11 février.

Le 5 décembre, la police de Rabat a arrêté un influenceur présent sur YouTube, Omar Ben Boudouh, alias Moul El Hanout, pour outrage à des « fonctionnaires » et aux « institutions publiques » et « incitation à la haine ». Amnesty International a examiné le procès-verbal de son interrogatoire qui montre clairement qu’il a été interpellé pour des accusations fictives parce qu’il a exprimé ses opinions. Le 7 janvier, il a été condamné à trois ans de prison. Il a par la suite entamé une grève de la faim, qu’il poursuit à ce jour à la prison de Tifelt, où il est incarcéré.

Un autre influenceur et youtubeur, Youssef Moujahid, a été arrêté le 18 décembre et accusé d’« outrage » à des fonctionnaires et à des institutions publiques, et d’« incitation à la haine ». L’affaire concernant Youssef Moujahid a été intégrée à celle concernant Omar Ben Boudouh, car il publiait sur sa page Nhabek ya Maghribe des vidéos commentant les déclarations de ce dernier. Leur audience d’appel doit avoir lieu le 12 février.

Le 17 décembre, le tribunal de première instance de Meknès a condamné le lycéen Ayoub Mahfoud, âgé de 18 ans, à trois ans de prison et à une amende de 5 000 dirhams marocains (environ 475 euros) pour un post sur les réseaux sociaux. Il a été accusé d’« outrage » à des fonctionnaires et aux institutions publiques. Il a été remis en liberté provisoire le 16 janvier, dans l’attente de son audience en appel, qui doit avoir lieu le 30 mars.

Un journaliste, Omar Radi, a été arrêté le 26 décembre pour un tweet qu’il avait publié dans lequel il critiquait le système judiciaire qui avait confirmé le verdict contre les contestataires du Hirak El Rif. Quelques jours après son arrestation, il a été remis en liberté provisoire, dans l’attente de la prochaine audience de son procès prévue le 5 mars.

Omar Radi a déclaré à Amnesty International que son entretien [1] avec le media algérien Radio M, dans lequel il dénonçait ce qu’il qualifie d’expropriation de terres tribales par l’État, est la raison pour laquelle il a été interpellé à son retour d’Algérie.

Le 29 décembre, le rappeur Hamza Sabaar, alias STALiN, a été arrêté à Laayoune et condamné quelques jours plus tard à trois ans de prison pour un morceau de rap diffusé sur Youtube. Dans sa chanson [2], il dénonçait la détérioration de la situation socioéconomique dans le pays. Le 16 janvier, un tribunal a réduit sa peine à huit mois d’emprisonnement.

Le 24 décembre, les autorités de la ville de Tata ont arrêté le militant Rachid Sidi Baba. Le parquet l’a par la suite condamné à six mois de prison et à une amende de 5 000 dirhams marocains (environ 475 euros) pour avoir diffusé une vidéo sur YouTube [3], dans laquelle il disait sa frustration face à l’exploitation des terres par des investisseurs étrangers, sans que les populations locales ne bénéficient réellement de retombées positives. Le jugement dans cette affaire est attendu pour le 13 février.

Le 9 janvier, un tribunal de Khénifra a condamné Abdelali Bahmad, alias Ghassan Bouda, à deux ans de prison et à une amende de 10 000 dirhams marocains (environ 950 euros) pour « outrage » à la monarchie et à ses symboles. Le procureur a présenté à titre de preuves quatre publications postées par Ghassan Bouda sur Facebook. Selon son avocat, dans l’une de ces publications, il exprimait son soutien aux manifestations du mouvement Hirak El Rif.

« Les autorités marocaines doivent abandonner les poursuites et libérer toutes les personnes inculpées et condamnées uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression. Elles doivent cesser de recourir à des dispositions archaïques du Code pénal pour criminaliser la liberté de parole, a déclaré Heba Morayef.

« Elles doivent réformer sans attendre le Code pénal afin de supprimer les articles qui sont utilisés pour étouffer la liberté d’expression. »

Complément d’information

Dans sa communication de mai 2017 pour l’Examen périodique universel (EPU), Amnesty International demandait aux autorités marocaines d’abroger ces dispositions, d’autant que le pays avait adopté un Code de la presse qui dépénalisait les infractions relatives à la liberté d’expression en 2016. Toutefois, dans le même temps, de nouvelles dispositions criminalisant l’« outrage » à l’islam ou à l’intégrité territoriale étaient réintroduites dans le Code pénal.

En octobre 2019, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) a présenté au Parlement une communication visant à modifier le Code pénal marocain, afin qu’il soit conforme aux principes de légitimité, de nécessité et de proportionnalité.

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