Syrie : Déclaration conjointe sur le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie

En 2016, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution historique instaurant un « Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger ceux qui en sont responsables  », en réponse à l’impasse dans laquelle se trouvait le Conseil de sécurité des Nations unies – la Russie ayant utilisé son droit de veto 12 fois depuis 2011 pour bloquer toute action du Conseil de sécurité sur le conflit syrien. Moscou a encore opposé son veto pas plus tard que le 10 avril 2018, à la suite d’une terrible attaque à Douma ayant fait des dizaines de morts, dans le but une fois de plus d’empêcher la mise en place d’un mécanisme d’attribution des responsabilités sur l’emploi d’armes chimiques en Syrie.

Le Conseil de sécurité a failli à ses obligations vis-à-vis des Syriens. En sept ans de conflit, près de 500 000 personnes ont été tuées et 11 millions ont été forcées de partir de chez elles. Le gouvernement syrien a lancé de nombreuses attaques à l’arme chimique contre des civils vivant dans des zones contrôlées par des groupes antigouvernementaux. Il a également mené des attaques délibérées et aveugles contre des civils, refusé le déploiement de l’aide humanitaire, utilisé la famine comme tactique de guerre et détenu arbitrairement des Syriens, au mépris du droit international. Il continue d’avoir recours à la torture et aux mauvais traitements en détention, ainsi qu’aux disparitions forcées. Des groupes armés non étatiques ont également commis toutes sortes d’exactions, notamment des attaques délibérées et aveugles contre des civils, l’enlèvement et la détention arbitraire de militants et l’entrave à l’aide humanitaire. Le groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI) a fait usage d’armes chimiques à maintes reprises, s’est servi de civils comme boucliers humains et a utilisé des mines terrestres et d’autres engins explosifs improvisés, causant ainsi des dommages importants à la population civile. Or, le Conseil de sécurité n’a pas su agir fermement pour tenter de remédier de façon exhaustive à cette situation.

Les initiatives prises pour mettre fin à ces atrocités et pour amener les responsables à rendre des comptes ont été bloquées à de nombreuses reprises par la Russie, qui continue d’utiliser son droit de veto à mauvais escient au Conseil de sécurité. En créant le Mécanisme international, impartial et indépendant, l’Assemblée générale a démontré qu’elle pouvait prendre les commandes face à l’impasse dans laquelle se trouve le Conseil de sécurité, afin de mettre un terme au climat d’impunité qui règne de longue date pour les violations commises par toutes les parties au conflit. Il est essentiel que l’Assemblée générale continue de prendre des mesures efficaces pour mettre fin aux innombrables atteintes aux droits humains et à la catastrophe humanitaire en Syrie. Les pays qui ont voté en faveur de la résolution visant à mettre en place ce Mécanisme en décembre 2016 ont pris une position cruciale pour les victimes syriennes.

Toutefois, l’adoption de cette résolution n’était que la première étape. Le Mécanisme international est face à une tâche difficile : traiter le nombre considérable d’informations disponibles sur les atteintes aux droits humains en Syrie, développer des arguments solides, établir des liens avec les victimes, et collaborer avec les autres groupes qui recueillent des informations ainsi qu’avec les autorités judiciaires nationales qui enquêtent sur les infractions commises en Syrie, avec lesquels les dossiers du Mécanisme international devront être partagés.

Il lui faudra tout d’abord lever les fonds nécessaires pour remplir sa mission essentielle de collecte, de préservation et d’analyse de preuves potentielles pour de futures poursuites judiciaires. Nous demandons aux États membres de l’ONU de contribuer financièrement afin que le Mécanisme dispose des moyens dont il a besoin pour faire son travail. Dans le même temps, compte tenu de sa dépendance actuelle aux contributions volontaires, il est difficile au Mécanisme de planifier et d’organiser son travail de manière à optimiser son efficacité sur le long-terme. Les États membres doivent donc redire leur soutien au transfert de son financement dans le budget ordinaire de l’ONU le plus vite possible.

Ensuite, il est important que les États, le système des Nations unies et la société civile coopèrent afin d’aider le Mécanisme international, impartial et indépendant dans son travail, notamment en lui donnant accès aux informations et aux éléments matériels. Il convient de saluer le fait que, le 3 avril, 28 groupes de la société civile syriens ont conclu un protocole de coopération avec le Mécanisme international. Ce protocole est un signe positif pour une future collaboration entre les groupes syriens et le Mécanisme, notamment en ce qui concerne le soutien aux victimes et aux témoins et leur protection.

Les États membres doivent eux aussi s’engager à coopérer avec le Mécanisme international, impartial et indépendant chaque fois que nécessaire, notamment en partageant les informations pertinentes sur les crimes commis en Syrie, en veillant à ce que leurs lois permettent à leur système judiciaire d’utiliser les preuves obtenues par le Mécanisme, et, le cas échéant, en donnant les moyens nécessaires aux services chargés des crimes de guerre afin d’augmenter leur capacité à enquêter sur les crimes commis en Syrie. Dans un contexte de plus en plus difficile, il est selon nous d’autant plus crucial que les États membres de l’ONU fassent tout leur possible pour contribuer aux futures activités de ce Mécanisme, qui est le seul organe mandaté par l’ONU pour faire en sorte qu’une responsabilité pénale soit établie pour les violations en Syrie.

Globalement, les informations recueillies par le Mécanisme international, impartial et indépendant et par d’autres entités seront essentielles pour les futurs processus nationaux et internationaux d’obligation de rendre des comptes. Les gouvernements qui ont soutenu la mise en place du Mécanisme international doivent continuer de s’engager pour que les victimes en Syrie obtiennent justice – que ce soit dans le cadre de l’Assemblée générale ou par d’autres moyens, tels que la compétence universelle. En effet, une justice impartiale et exhaustive pour les crimes commis en Syrie est une composante essentielle de toute future transition politique réussie et ne peut – ni ne doit – être bradée lors de négociations de paix.

Plusieurs pays, dont la Suède, l’Allemagne et la France, enquêtent déjà sur des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves en Syrie. Le Mécanisme international, impartial et indépendant peut contribuer à ces enquêtes, entre autres. Ses travaux devraient aider à faire en sorte que la justice et l’obligation de rendre des comptes pour les atrocités massives commises en Syrie ces sept dernières années ne soient pas balayées par un veto.

Signataires :

Amnesty International

Centre mondial pour la responsabilité de protéger (GCR2P)

Human Rights Watch

Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH)

Projet de justice Société ouverte

Mouvement fédéraliste mondial – Institut pour une politique mondiale (WFM-IGP)

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