Selon les deux rapports, le gouvernement du président John Magufuli a adopté et appliqué tout un arsenal de lois répressives qui musellent le journalisme indépendant et qui limitent fortement les activités des organisations non gouvernementales et de l’opposition politique.
« Le mois prochain, cela fera quatre ans que le président John Magufuli est au pouvoir. Il doit s’arrêter sur le bilan de son gouvernement qui est marqué par la destruction sans vergogne du cadre de défense des droits humains établi par le pays. Son gouvernement doit abroger toutes les lois oppressives qui sont utilisées pour réprimer la dissidence, de même qu’il doit mettre fin de toute urgence aux atteintes aux droits humains », a déclaré Roland Ebole, chercheur sur la Tanzanie à Amnesty International.
« Les politiques et les actions rétrogrades menées par les autorités ont étouffé les médias, semé la peur au sein de la société civile et limité l’espace des partis politiques à l’approche des échéances électorales », a déclaré Oryem Nyeko, chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Avec encore une année devant lui, ce gouvernement doit mettre un terme à ces atteintes systématiques aux droits humains et faire preuve d’un engagement véritable en faveur des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique tels que garantis par la Constitution et en vertu des traités de droits humains auxquels la Tanzanie est partie. »
Le rapport d’Amnesty International The price we pay : Targeted for dissent by the Tanzanian State et celui de Human Rights Watch As long as I am quiet, I am safe : Threats to Independent Media and Civil Society in Tanzania [1] sont le fruit de recherches et de documentation distinctes qui ont abouti à des conclusions convergentes.
Human Rights Watch a recueilli les propos de 80 journalistes, blogueurs, avocats, représentants d’organisations non gouvernementales et membres de partis politiques. Amnesty International s’est entretenue avec 68 représentants du gouvernement, représentants d’organisations non gouvernementales et intergouvernementales, avocats, universitaires, chefs religieux et diplomates. Elle a aussi examiné des décisions de justice, des lois nationales, et des avis et des décrets du gouvernement.
Les deux organisations ont constaté que le président et les hauts représentants du gouvernement faisaient souvent des déclarations fustigeant les droits humains, lesquelles étaient parfois suivies d’opérations de répression visant des personnes et des organisations. Ces propos auxquels s’ajoutent les arrestations arbitraires et les menaces de retrait d’agrément des organisations non gouvernementales ont contribué à étouffer toute diffusion d’informations faite de manière indépendante par les journalistes sur les violations des droits humains et à empêcher tout débat public à ce sujet à l’approche des élections.
Selon les deux organisations, les autorités tanzaniennes portent atteinte aux droits à la liberté d’expression et d’association en appliquant une législation et une réglementation répressives, tant existantes que nouvelles, sur les médias, les organisations non gouvernementales et les partis politiques.
Depuis 2015, le gouvernement a intensifié la censure en interdisant ou en suspendant au moins cinq journaux au motif de contenu jugé critique. Parmi eux figurent The Citizen, le principal quotidien en langue anglaise de Tanzanie, censuré en 2019, et quatre autres censurés en 2017. La Commission de l’audiovisuel de Zanzibar a également fermé une station de radio, Swahiba FM, en octobre 2015 parce qu’elle donnait des informations sur l’annulation et la réorganisation ultérieure des élections de 2015.
Les autorités ont eu recours à la loi relative à la cybercriminalité de 2015 afin de traduire en justice des journalistes et des militants qui avaient publié des messages sur les réseaux sociaux. En novembre 2017, un tribunal de la capitale Dar es Salaam a déclaré Bob Chacha Wangwe, un militant des droits humains, coupable de « publication de fausses nouvelles » au titre de cette loi, parce qu’il avait qualifié Zanzibar de colonie de la Tanzanie continentale dans un message Facebook. Sa condamnation a été annulée par la Haute Cour au motif que le tribunal n’avait pas correctement défini les éléments de l’infraction.
La Réglementation sur les communications postales et électroniques (contenus en ligne) adoptée en 2018 oblige toute personne ayant un blog ou un site Internet à payer des frais de licence très élevés pouvant se monter à 2,1 millions de shillings tanzaniens (plus de 900 dollars des États-Unis). De plus, cette loi restreint globalement les contenus Internet et autorise la surveillance des cybercafés sans contrôle d’une autorité judiciaire.
Le gouvernement tanzanien supervise également la recherche indépendante et contrôle l’accès public aux informations statistiques indépendantes au titre de la Loi sur les statistiques de 2015, privant de ce fait les citoyens d’autres sources d’information vérifiées en toute indépendance. Bien que les modifications apportées à cette loi cette année aient permis de supprimer la responsabilité pénale liée à la publication de statistiques non officielles, les autorités continuent de déterminer qui peut collecter et diffuser des informations statistiques et de décider ce qui est factuel et ce qui est faux.
« Nous constatons une grave escalade menant à la répression en Tanzanie. Les autorités privent les citoyens de leur droit à l’information en fournissant seulement les “vérités” approuvées par l’État », a déclaré Roland Ebole.
En 2018, la Commission pour la science et la technologie (COSTECH) a empêché Twawaza, une organisation basée en Tanzanie, de publier les résultats de son sondage Sauti za Wananchi (Les voix des citoyens), qui montraient que la cote de popularité du président John Magufuli avait fortement chuté. En 2017, la COSTECH et le ministère des Affaires intérieures n’ont pas autorisé Human Rights Watch à tenir une conférence de presse sur son rapport qui exposait en détail des atteintes aux droits humains dont sont victimes les travailleuses domestiques tanzaniennes qui ont migré à Oman et aux Émirats arabes unis.
En janvier 2019, le Parlement a apporté des modifications à la Loi sur les partis politiques en imposant des restrictions encore plus importantes sur les droits à la liberté d’association et de réunion pacifique. Cette réforme de la loi confère des pouvoirs étendus au greffier des partis politiques qui va pouvoir les radier, exiger d’eux des informations et suspendre des membres. Il y figure aussi l’obligation pour les organisations et les individus d’obtenir une autorisation pour mener des campagnes d’éducation civique, ce qui porte atteinte aux droits d’accès à l’information des citoyens.
En juillet 2016, le président John Magufuli a annoncé une interdiction générale des activités politiques jusqu’en 2020, en violation des lois nationales.
L’interdiction a été appliquée de façon sélective à l’encontre des responsables politiques de l’opposition, certains d’entre eux ayant été arrêtés ou traduits en justice sur la base de fausses accusations. En 2017, le député Tundu Lissu a été blessé par balles par des agresseurs non identifiés. En 2018, Daniel John et Godfrey Luena, deux représentants du principal parti d’opposition Chadema, ont été tués par des inconnus. Bien que la police affirme avoir ouvert une enquête sur ces homicides, aucune arrestation n’a encore été effectuée.
« Le gouvernement de Tanzanie doit abandonner immédiatement et sans condition toutes les charges retenues contre les journalistes et les responsables politiques qui ont simplement exercé leurs droits à la liberté d’expression et d’association », ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch.