Les mesures exceptionnelles prises pour lutter contre la propagation du Covid-19 ont conduit au confinement d’une grande partie de la population, y compris des femmes victimes de violence conjugale bloquées à leur domicile avec leur agresseur. Les risques de violences physiques, psychologiques et sexuelles sont amplifiés. Les enfants, présents au domicile, peuvent aussi être en danger. Alors que les appels alarmés des associations de terrain se multiplient, les autorités doivent prendre leurs responsabilités et assurer la protection des victimes.
État partie à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), la Belgique s’est engagée à respecter un certain nombre d’obligations en lien avec la prévention et la protection des victimes de violences conjugales. En situation de crise sanitaire, le pays doit redoubler d’efforts pour les mettre en oeuvre. Ceci a notamment été souligné par la présidente du comité GREVIO [1] en charge de la vérification de l’application de la Convention d’Istanbul par les Etats-parties.
Une augmentation inquiétante de la violence intrafamiliale depuis le début du confinement
Depuis le début du confinement, une inquiétude sourde pèse sur les services d’aides aux victimes de violence conjugale et ce à juste titre. Les situations de crise impactent en effet démesurément les violences faites aux femmes. Jean-Louis Simoens, coordinateur de la ligne Ecoute Violences Conjugales annonçait déjà il y a quelques jours une hausse de 20 à 30% des demandes d’aide téléphonique.
La recrudescence des violences sexuelles au sein du couple est certainement à craindre. Le dernier sondage réalisé par Amnesty International, SOS Viol et l’Institut Dedicated et publié le 5 mars 2020 révélait le chiffre atterrant d’une femme sur quatre victime de relations sexuelles forcées par son partenaire en Belgique. Constamment enfermées auprès de leur agresseur et sans aucun échappatoire, les femmes sont doublement exposées à ces violences.
Ces agressions vécues dans le cadre intrafamilial sont injustifiables et doivent faire l’objet de mesures de protection particulières. Certaines femmes, comme les demandeuses d’asiles, les personnes sans-papiers ou les personnes porteuses de handicap, sont rendues particulièrement vulnérables à ces situations de violence et doivent être soutenues dans leurs demandes.
Une aide pour les femmes victimes de violences conjugales difficile à mettre en oeuvre
Face aux mesures de restriction d’activité, les associations se trouvent pourtant dans l’impossibilité de poursuivre leur accompagnement quotidien des femmes victimes de violence.
D’une part, les associations de terrain déplorent le manque de place dans les maisons d’accueil pour les victimes de violences conjugales. D’ores et déjà remplies, elles ne peuvent plus accueillir de nouvelles demandes dans l’immédiat. Les femmes prenant la décision de partir n’ont plus d’endroits vers lesquels se tourner.
Par ailleurs, les associations spécialisées telles que le Centre de prévention des violences conjugales et familiales ont été obligées d’arrêter une partie, voire la majorité, de leurs actions d’aide juridique et sociale. Les femmes préparant leur départ d’un foyer violent sont dans l’impossibilité de poursuivre leurs démarches (recherche de logement, documents administratifs). Les plannings familiaux proposent eux une aide par téléphone pour les victimes de violence via leurs centres spécialisés (Namur : 081/77 71 62, Liège : 04/248 72 20 et Mons : 068/84 84 58) mais doivent similairement restreindre leur activité d’aide physique. Le GAMS, association spécialisée dans la lutte contre les mutilations génitales féminines et l’accompagnement des femmes migrantes, a dû cesser ses ateliers collectifs et souligne le dénuement dans lequel sont laissées des personnes qui ne parlent pas nécessairement la langue dans laquelle sont transmises les informations sanitaires concernant le Covid-19.
Les Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) restent eux ouverts 24h/24 dans les villes de Bruxelles, Liège et Gand. Un chat est également tenu par leurs équipes à l’adresse violencessexuelles.be [2] (lundi, mardi et jeudi de 17h30 à 21h30 et mercredi de 14h à 17h). Un espace de discussion pour les plus jeunes est disponible sur maintenantjenparle.be [3].
Recommandations pour une lutte efficace contre les violences conjugales, sexuelles et intrafamiliales en Belgique
Le confinement n’est pas uniquement une affaire relevant du privé. Lorsqu’il s’accompagne de violations des droits des femmes et notamment de violences intolérables, il doit devenir une préoccupation publique.
Amnesty International Belgique se fait le relais des associations de terrain et demande aux autorités de :
- mobiliser des moyens supplémentaires pour faciliter l’accès aux services de soutien pour les femmes victimes de violences, avec une attention particulière pour les femmes les plus marginalisées ;
- assurer la promotion du numéro vert 1712 du côté néerlandophone et des numéros verts Ecoute Violences Conjugales (0800 30 030) et SOS Viol (0800 98 100) du côté francophone, ainsi que des chats en ligne sur les sites ecouteviolencesconjugales.be [4], violencessexuelles.be et du chat ACCESS pour les femmes migrantes, ainsi qu’étendre l’horaire de tous ces chats qui peuvent être plus facilement accessibles pour les victimes confinées avec leur partenaire ;
- assurer la promotion des services accessibles aux auteurs de violence, via l’utilisation de la ligne Ecoute Violences Conjugales et des permanences de l’association Praxis ;
- favoriser la sensibilisation de la population afin que chacun·e soit particulièrement attentif·ve à ses proches et à ses voisin·e·s exposé·e·s à des violences intrafamiliales ;
- assurer la promotion des CPVS, qui accueillent toujours les victimes de violences sexuelles 24h/24 et 7j/7 pendant la période du confinement ;
- augmenter le nombre de places d’hébergement d’urgence pour les victimes de violences conjugales et intrafamiliales ;
- renforcer les services de traduction, y compris en langue des signes, pour les services d’écoute, d’accueil et d’accompagnement, sans limiter la durée pendant laquelle chacun-e peut bénéficier de ces services ;
- développer des canaux et outils de communication accessibles aux personnes vivant avec un handicap et victimes de violences, tels que des vidéos contenant des messages en langue des signes, une adaptation de la ligne d’écoute pour les violences conjugales, ou des explications dont la lecture est facilitée par des pictogrammes ;
- faire de la lutte contre les violences entre partenaires une priorité de toutes les zones de police ;
- faire de la lutte contre les violences entre partenaires une priorité de tous les parquets en mettant en place, dans la mesure des effectifs disponibles, une procédure facilité et accélérée de traitement des plaintes pour violences entre partenaires et des demandes d’éloignement des auteurs de violences, ainsi qu’un suivi attentif des victimes impliquées dans les procédures en cours ;
- réfléchir à un moyen alternatif d’alerte de violences (pharmacies, applications spécifiques à mettre en place...).