En janvier, le ministre malaisien de la Justice, Wan Junaidi Tuanku Jaafar, a annoncé que le gouvernement allait examiner les conclusions d’une étude portant sur des mesures de substitution à la peine de mort obligatoirement appliquée pour certains crimes, notamment le trafic de stupéfiants, la trahison et le meurtre.
Après presque deux ans sans aucun progrès sur la réforme de la peine de mort, cette annonce est une bonne nouvelle.
Pendant plus de 40 ans, Amnesty International a milité contre la peine de mort dans le monde entier, et plus des deux tiers des pays du monde l’ont aujourd’hui abolie dans leur législation ou dans la pratique. C’est pourquoi la Malaisie - tout comme les autres pays qui maintiennent la peine de mort - doit montrer l’exemple dans le domaine des droits humains, en l’abolissant une bonne fois pour toutes.
Pour le dire simplement, les États ne devraient tuer personne. Ou, comme l’a déclaré le Comité des droits de l’homme des Nations unies, « la peine de mort n’est pas conciliable avec le plein respect du droit à la vie ».
Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine, et les États ont l’obligation de protéger la vie, pas de l’ôter. Ce droit est reconnu par le droit international pour tous les êtres humains, sans distinction d’aucune sorte, y compris pour les personnes soupçonnées ou reconnues coupables de crimes, même les plus graves.
Amnesty International, comme de nombreuses autres personnes et organisations du monde entier, considère que la peine de mort est une violation de ce droit.
En Malaisie, Amnesty International a relevé de nombreuses violations du droit à un procès équitable. Par exemple, les personnes qui n’ont pas les moyens ou la possibilité d’engager leur propre avocat ne sont souvent pas assistées par un conseil lors des interrogatoires de police et ne bénéficient pas d’un service d’interprétation si elles ne parlent pas le bahasa malaysia (malais), alors même qu’il existe contre les autorités des allégations crédibles de torture et d’autres mauvais traitements.
L’application de la peine de mort faisant suite à une violation du droit à un procès équitable constitue une violation du droit à la vie. Aucun système pénal n’est parfait, et des erreurs peuvent toujours se produire. La nature irréversible de la peine de mort ne laisse aucune possibilité de réparation si une personne innocente est condamnée et exécutée à tort.
« L’application de la peine de mort faisant suite à une violation du droit à un procès équitable constitue une violation du droit à la vie »
De plus, la peine de mort est discriminatoire. Plus une personne est défavorisée, plus elle a de risques d’être condamnée à mort. Les recherches d’Amnesty International montrent que la majeure partie des personnes condamnées à mort en Malaisie l’ont été pour des infractions liées aux stupéfiants, et que parmi ces personnes figurent un nombre disproportionné de femmes et de ressortissants de pays étrangers.
En septembre 2021, 67 % des personnes sous le coup d’une sentence capitale avaient été condamnées pour des infractions liées aux stupéfiants, certaines pour avoir possédé à peine 15 grammes d’opioïdes. La majorité des personnes condamnées à mort sont également issues de milieux socioéconomiques défavorisés, et certaines minorités ethniques sont surreprésentées.
Ces conclusions ont une résonance d’autant plus forte dans un contexte où des lois et politiques sont contraires au droit international et aux normes internationales : par exemple, le manque d’accès aux services d’interprétation pour les ressortissants étrangers à partir de l’arrestation, ou l’impossibilité de faire prendre en compte la coercition ou d’autres circonstances atténuantes lors de la détermination de la peine, en raison du caractère obligatoire de la peine de mort pour certaines infractions.
L’application de la peine de mort peut aussi être arbitraire, en particulier pour les personnes dont la nationalité, le genre, le milieu socioéconomique ou d’autres caractéristiques participent à cette condamnation, ou les y rendent plus vulnérables.
Qu’en est-il de l’argument selon lequel la peine de mort aurait un effet dissuasif particulier sur la criminalité ?
Cela n’a jamais été prouvé. Par exemple, une étude comparant le taux d’homicides à Hong Kong et à Singapour, qui ont une superficie et un nombre d’habitants similaires, sur une période de 35 ans commençant en 1973, a montré que l’abolition de la peine de mort à Hong Kong et le haut taux d’exécution à Singapour dans le milieu des années 1990 n’avaient eu que peu d’impact sur le nombre de meurtres.
« La peine de mort est discriminatoire, plus une personne est défavorisée, plus elle a de risques d’être condamnée à mort »
Il est grand temps que les autorités utilisent leurs ressources pour s’attaquer aux causes profondes de la criminalité et élaborer des solutions à long terme, plus efficaces. La peine de mort ne renforce pas notre sécurité. De plus, Amnesty International estime que les personnes qui ont commis un crime méritent une seconde chance.
Ces convictions sont en train de se généraliser. Aujourd’hui, 144 pays, soit plus des deux tiers des pays du monde, ont aboli la peine de mort dans leur législation ou en pratique. Dans la région Asie-Pacifique, plus de 20 pays l’ont abolie pour tous les crimes, la Papouasie-Nouvelle-Guinée étant la dernière à l’avoir fait, en janvier dernier.
En 2020, six pays de la région Asie-Pacifique ont procédé à des exécutions – le chiffre le plus bas depuis qu’Amnesty International tient des statistiques. La Malaisie, à l’Assemblée générale des Nations unies, a voté en 2018 et en 2020 en faveur de deux résolutions appelant tous les pays à établir un moratoire sur les exécutions en vue de l’abolition de la peine de mort. Cependant, cet État continue à faire partie de cette minorité, de plus en plus isolée, de pays qui recourent toujours à la peine capitale.
Ayant récemment obtenu un siège au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, la Malaisie pourrait, en abolissant la peine de mort, suivre la tendance mondiale, améliorer son bilan en matière de droits humains, et faire clairement savoir aux autres pays de l’ASEAN et de la région qu’un changement positif concernant la peine de mort est non seulement possible mais nécessaire pour protéger les droits humains.
Amnesty International appelle le Premier ministre Ismail Sabri Yaakob et son gouvernement à faire ce qui est juste et à abolir la peine de mort en Malaisie.