Résumé régional Asie-Pacifique - Rapport annuel 2020

officier de police chinois à Beijing tentant d'empêcher une photo

Sommaire des introductions au Rapport annuel 2020

Sommaire des résumés régionaux :

Résumé régional Asie-Pacifique

La pandémie de COVID-19 a exacerbé les problèmes quant à la situation des droits humains dans la région Asie-Pacifique. Cette région a été la première touchée par la pandémie, les premiers cas ayant été enregistrés en décembre 2019 dans la ville de Wuhan, en Chine. Quand les autorités chinoises ont réprimandé le personnel de santé qui avait tiré la sonnette d’alarme au sujet d’un nouveau virus, des appels à la transparence ont été lancés par la population non seulement en Chine, mais aussi dans d’autres pays de la région. Il s’agissait du premier cas, parmi tant d’autres observés tout au long de l’année, où un gouvernement utilisait la pandémie comme prétexte pour museler des voix critiques et restreindre indûment le droit à la liberté d’expression, y compris le droit de recevoir et de communiquer des informations sur le COVID-19.

De nombreux gouvernements dans la région ont adopté des lois et mis en place des mesures pour sanctionner la diffusion d’une « désinformation » ou de « fausses informations » relatives à cette maladie. Dans les pays où les autorités abusaient de longue date de leurs pouvoirs, ces lois ont été utilisées pour intensifier une répression déjà bien établie qui visait en particulier les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Les débats ouverts et les critiques portant sur les mesures prises par les pouvoirs publics pour faire face à la pandémie ont été soumis à de sévères restrictions. Des gouvernements de la région ont attaqué un grand nombre de défenseur·e·s des droits humains, de journalistes, de juristes et de membres de l’opposition politique, notamment en les harcelant, en les intimidant, en les menaçant, en les soumettant à des violences et en les arrêtant de façon arbitraire parce qu’ils avaient, en toute légitimité, exprimé des opinions s’écartant du discours officiel ou critiqué la politique gouvernementale.

Afin d’enrayer la propagation de la pandémie, les autorités ont mis en place diverses formes de confinement et de restriction des déplacements. Les rassemblements publics ont souvent été interdits, ce qui a considérablement restreint les mouvements de protestation réclamant des réformes politiques. Cependant, à mesure que l’année avançait, en Inde, en Thaïlande et à Hong Kong en particulier, des personnes sont descendues dans la rue pour s’opposer à l’oppression du gouvernement. La police a alors utilisé une force excessive et inutile pour disperser ces rassemblements publics.

De nombreux gouvernements ont aussi riposté face à la pandémie de COVID-19 en adoptant ou en utilisant des lois répressives relatives à la sécurité nationale ou à la lutte contre le terrorisme. Ces lois ont consolidé un pouvoir que certains États de la région exerçaient déjà. En Inde, la dissidence pacifique a été punie et, dans l’État de Jammu-et-Cachemire, les restrictions concernant les communications et certaines libertés fondamentales ont été maintenues ; des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains soupçonnés d’« activités antinationales » ont été soumis à des interrogatoires.

Si le nombre de morts enregistré dans la région Asie-Pacifique a été inférieur à celui qui a été relevé dans d’autres régions du monde, les répercussions de la pandémie sur l’économie n’en ont pas moins été catastrophiques, et elles ont aggravé une fracture sociale préexistante. Des populations déjà défavorisées telles que les travailleuses et travailleurs migrants, les personnes réfugiées, les personnes vivant dans la pauvreté, les minorités ethniques ou religieuses et les personnes incarcérées ont pâti de cette situation de façon disproportionnée.

Les politiques conçues et imposées par de nombreux gouvernements pour lutter contre la propagation de la pandémie de COVID-19 reflétaient les normes patriarcales existantes, qui étaient discriminatoires à l’égard des femmes. Les mesures de confinement ont également contribué à la forte hausse du nombre de cas de violences sexuelles ou liées au genre commises contre des femmes et des filles, et les gouvernements de la région n’ont pas fourni les ressources adéquates pour remédier à ce problème.

Dans toute la région, des minorités religieuses et ethniques ont été prises pour cible. Les autorités chinoises ont continué de réprimer systématiquement les Ouïghours et d’autres populations musulmanes turcophones dans la région du Xinjiang. Des communautés musulmanes ont été attaquées en Inde, diabolisées pendant la pandémie et privées d’accès à des soins médicaux. Au Myanmar, l’armée a continué de se soustraire à son obligation de rendre des comptes pour les crimes qu’elle a commis contre les Rohingyas. En Afghanistan et au Pakistan, des personnes appartenant à des minorités ont été tuées par des groupes armés.

La région Asie-Pacifique a par ailleurs été ravagée par des catastrophes naturelles liées au changement climatique. Les pays de la région responsables d’une grande part des émissions de gaz à effet de serre n’ont pas défini des objectifs de réduction suffisants pour contribuer à éviter les pires effets du changement climatique sur les droits humains.

Liberté d’expression

Dans les jours qui ont suivi l’annonce de l’épidémie de COVID-19, les autorités de plusieurs des pays de la région ont tenté d’empêcher la diffusion d’informations au sujet de cette maladie, et sanctionné les personnes qui critiquaient les mesures gouvernementales. Les autorités chinoises ont cherché à contrôler les informations relatives au COVID-19, que ce soit en ligne ou hors ligne. Plusieurs centaines de mots-clés liés au virus ont été bloqués, et des mouvements de protestation en ligne revendiquant le droit de recevoir et communiquer des informations sur le COVID-19 ont été supprimés. Le docteur Li Wenliang, qui était l’une des huit personnes ayant tenté de diffuser des informations sur le nouveau virus avant que le gouvernement ne révèle l’épidémie, a été réprimandé par la police pour avoir adressé à ses collègues un message les alertant sur la nécessité de porter des équipements de protection individuelle afin d’éviter la contamination. Il est mort des suites de cette maladie.

Plusieurs autres pays de la région ont imposé des restrictions similaires concernant ce qui pouvait ou non être dit au sujet du COVID-19, souvent sous le prétexte d’empêcher la diffusion d’informations fausses ou inexactes. En avril, les autorités indonésiennes ont ordonné à la police de scruter Internet et d’agir contre les personnes qui diffusaient des « canulars » et contre celles qui insultaient le gouvernement. Au moins 57 personnes ont été arrêtées. Des journalistes, des universitaires, des étudiant·e·s et des militant·e·s ont subi des intimidations en ligne, recevant notamment des menaces de violences physiques envoyées par SMS. En Inde et au Népal, les autorités ont arrêté et inculpé plusieurs dizaines de personnes, dont un grand nombre de journalistes, en leur reprochant d’avoir diffusé de la « désinformation » ou des « fausses nouvelles » au sujet de la pandémie.

De nombreuses personnes, parmi lesquelles des journalistes, qui avaient critiqué les mesures prises par les pouvoirs publics dans le cadre de la pandémie de COVID-19 ont été sanctionnées au titre de lois draconiennes. Au Sri Lanka, la police a averti que des poursuites judiciaires seraient engagées contre les personnes qui critiqueraient sur les réseaux sociaux la politique du gouvernement relative à la pandémie. Plusieurs personnes ayant publié des commentaires sur les réseaux sociaux ont été arrêtées à la suite de cette annonce. Au Bangladesh, près de 1 000 personnes ont été inculpées au titre de la Loi sur la sécurité numérique, et 353 ont été placées en détention. Parmi les premières cibles des autorités se trouvaient les journalistes Mohiuddin Sarker et Toufiq Imroz Khalidi, tous deux rédacteurs en chef de portails en ligne. Les autorités les ont arrêtés en avril en raison des informations qu’ils avaient publiées sur des allégations de corruption concernant l’utilisation des fonds destinés aux mesures de lutte contre le COVID-19. Au Pakistan, la Loi relative à la prévention de la cybercriminalité a été utilisée à maintes reprises pour inculper ou arrêter des journalistes ayant publié en ligne des commentaires critiques, ces manœuvres s’accompagnant souvent d’attaques en ligne violentes et coordonnées.

Les journalistes ont continué de faire l’objet de représailles pour avoir publié des informations qui ne plaisaient pas aux gouvernements. Au Myanmar, après que l’Armée d’Arakan, groupe d’opposition armé s’appuyant sur une minorité ethnique, a été qualifiée d’« organisation terroriste », trois journalistes au moins ont été poursuivis en justice au titre de lois antiterroristes et de la Loi relative aux associations illégales pour avoir pris contact avec ce groupe. Dans l’État de Jammu-et-Cachemire, la police indienne a attaqué ou convoqué 18 journalistes en raison des informations qu’ils avaient publiées, et placé sous scellés les locaux du Kashmir Times après que sa rédactrice en chef eut engagé des poursuites contre le gouvernement au sujet de sa décision de suspendre les services internet et de téléphonie dans la région. Au Népal, le gouvernement a présenté plusieurs projets de loi qui menaçaient le droit à la liberté d’expression, en ligne et hors ligne. À Singapour, les autorités ont tout au long de l’année utilisé la Loi relative à la protection contre les mensonges et la manipulation en ligne, qui faisait pourtant l’objet de recours en justice, afin de réduire au silence des personnes qui critiquaient le gouvernement et des médias indépendants. Aux Philippines, les journalistes Maria Ressa et Reynaldo Santos ont été déclarés coupables de « diffamation en ligne » et le corps législatif a refusé le renouvellement de la licence d’exploitation d’ABS-CBN, l’un des plus importants groupes audiovisuels indépendants du pays.

Le droit à la liberté d’expression, qui comprend le droit de recevoir et de communiquer des informations, revêt une importance capitale en période de crise de santé publique. Les gouvernements doivent pleinement comprendre que, concernant la pandémie de COVID-19, l’accès à des informations fiables, objectives et basées sur des données probantes permet de sauver des vies. Les journalistes et les médias ont un rôle crucial à jouer lors d’une crise sanitaire, qui est de fournir au public des informations fiables. Ils jouent également un rôle majeur et nécessaire en attirant l’attention sur des questions d’intérêt public et de droits humains. Au lieu d’entraver ces activités, les gouvernements doivent faciliter, promouvoir et protéger l’existence de médias solides et indépendants dans la région.

Défenseures et défenseurs des droits humains

Des défenseur·e·s des droits humains, y compris des journalistes, des avocat·e·s et des membres de partis d’opposition ont cette année encore été attaqués, harcelés, intimidés, menacés et tués parce qu’ils avaient de façon légitime soutenu les droits humains, exprimé des opinions différant des positions du pouvoir en place, ou émis des critiques concernant la corruption et la politique de leur gouvernement.

En Chine, des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s ont été harcelés, soumis à des manœuvres d’intimidation, à des disparitions forcées, à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, ou encore détenus arbitrairement et au secret. Ces personnes ont souvent été inculpées d’infractions formulées en des termes vagues telles que la « divulgation de secrets d’État ». Leurs procès se sont généralement déroulés dans le secret et elles ont été privées de leur droit à l’assistance d’un·e avocat·e. Dans de nombreux cas, les avocat·e·s de ces défenseur·e·s des droits humains ont été privés de leur droit de circuler librement et n’ont pas été en mesure de rencontrer leurs client·e·s et de consulter le contenu de leur dossier.

Un grand nombre de gouvernements de la région ont au cours de l’année tenté de saper les activités d’ONG de défense des droits humains afin d’empêcher des défenseur·e·s des droits fondamentaux de continuer de révéler des violations de ces droits. Au Cambodge, les autorités ont utilisé les dispositions répressives de la Loi relative aux associations et aux ONG pour considérer comme illégales des associations de défense des droits humains qui dénonçaient des pratiques causant une dégradation de l’environnement. En septembre, Amnesty International Inde a été contrainte de stopper ses activités, car les autorités indiennes ont gelé les comptes bancaires de l’organisation ; elle avait publié au cours de l’année des informations sur des violations des droits humains commises pendant et après les émeutes qui avaient eu lieu à Delhi en février et au cours desquelles 53 personnes, musulmanes pour la plupart, avaient été tuées et plus de 500 autres blessées. Ces émeutes avaient éclaté à la suite de discours incendiaires prononcés par des représentant·e·s du gouvernement et des parlementaires ; plusieurs mois après, aucune enquête digne de ce nom n’avait été menée sur ces événements, pas plus que sur les éléments faisant état de la participation et de la complicité de la police de Delhi dans ces violences. Amnesty International Inde a également publié un rapport sur la situation dans l’État de Jammu-et-Cachemire, exposant des informations sur les violations qui y ont été commises après la révocation, en août 2019, du statut spécial de ce territoire.

En Malaisie et en Afghanistan, les défenseur·e·s des droits humains qui ont attiré l’attention sur les pratiques de corruption d’autorités gouvernementales ont au cours de l’année connu de graves problèmes. Cynthia Gabriel, du Centre pour la lutte contre la corruption et le clientélisme, et les défenseurs des droits humains Thomas Fann et Sevan Doraisamy ont fait l’objet d’une enquête ouverte par les autorités malaisiennes pour avoir dénoncé des scandales de corruption mettant en cause des agents de l’État. En Afghanistan, des défenseurs des droits humains qui avaient accusé de corruption des représentants de la province du Helmand ont dû être hospitalisés en raison des blessures qu’ils ont subies quand des responsables gouvernementaux les ont agressés. Par ailleurs, des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s, des journalistes et des figures d’autorité religieuses modérées ont fait l’objet d’attaques ciblées et ont été assassinés par des groupes armés, en particulier.

Des gouvernements ont utilisé des mesures de lutte contre le terrorisme pour s’en prendre à des défenseur·e·s des droits humains ou ont qualifié ces personnes de « terroristes », notamment aux Philippines et en Inde. Les autorités philippines ont continué de se livrer à la pratique consistant à « étiqueter » des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s comme étant des « terroristes » ou des sympathisants de groupes armés communistes. En août, Randall Echanis et Zara Alvarez ont été tués à une semaine d’intervalle dans deux villes différentes. Ils avaient tous les deux été « désignés » comme « terroristes » par le gouvernement en raison de leurs activités militantes et de défense des droits humains. En Inde, l’Agence nationale d’enquêtes (NIA), qui était le principal organisme indien de lutte contre le terrorisme, a au cours de l’année arrêté plusieurs défenseur·e·s des droits humains et effectué des descentes à leur domicile et dans leurs locaux professionnels. Figuraient parmi les personnes arrêtées sept défenseurs des droits humains qui avaient travaillé auprès de groupes marginalisés, et neuf étudiant·e·s qui avaient pacifiquement protesté contre la loi discriminatoire relative à la citoyenneté. La NIA a également effectué des descentes au domicile et dans les bureaux du défenseur cachemiri Khurram Parvez et de trois de ses partenaires.

Alors que le conflit en Afghanistan entrait dans sa 20e année, des défenseur·e·s des droits humains ont également été blessés et tués par des individus présumés appartenir à des groupes armés ; à Kaboul, deux membres du personnel de la Commission indépendante des droits humains afghane ont ainsi perdu la vie lors d’une attaque visant leur voiture. En décembre, le président Ashraf Ghani a créé une commission conjointe pour la protection des défenseur·e·s des droits humains. Les organisations de défense des droits humains ont considéré qu’il s’agissait là d’une première avancée significative. Cette initiative a cependant été la seule, à l’échelle de la région, qui ait visé à combattre les violations systématiques commises contre les défenseur·e·s des droits humains.

Au Sri Lanka, le nouveau gouvernement a continué de réprimer les défenseur·e·s des droits humains, notamment des militant·e·s, des journalistes, des membres des forces de l’ordre et des avocat·e·s.

Les gouvernements doivent combattre efficacement les actes de violence perpétrés contre les défenseur·e·s des droits humains, et les responsables de ces actes doivent être amenés à rendre des comptes. Il est absolument indispensable que les défenseur·e·s des droits humains puissent effectuer leur travail sans crainte de sanctions, de représailles ou d’intimidations, afin que chaque personne puisse jouir de façon effective de tous ses droits fondamentaux.

Droit à la santé

La pandémie de COVID-19 a mis en évidence et exacerbé les inégalités en matière d’accès aux soins de santé, ainsi que les fractures sociales qui existaient déjà dans la région. En Corée du Nord, le manque de fournitures médicales a poussé la classe moyenne émergente à se procurer des médicaments et des soins de santé sur les « marchés gris ». En Papouasie-Nouvelle-Guinée, le taux élevé de pauvreté et les maladies chroniques ont aggravé la situation des personnes ayant contracté le COVID-19.

Les campagnes de lutte contre les stupéfiants axées sur la répression pénale et sur la pratique consistant à détenir de façon arbitraire et sans inculpation les personnes ayant consommé de la drogue se sont poursuivies au Cambodge et aux Philippines, conduisant à une surpopulation carcérale massive dans des prisons où le droit à la santé des personnes détenues continuait d’être violé. Aux Philippines, la Cour suprême a ordonné la libération de plus de 80 000 détenu·e·s afin d’empêcher la propagation du coronavirus dans les prisons. Au Cambodge, les autorités ont présenté un projet pour réduire la surpopulation carcérale, mais sa mise en œuvre a été limitée.

En Malaisie, les services de l’immigration ont mené des opérations dans des zones à forte population de travailleuses et travailleurs migrants, et arrêté et incarcéré de nombreux migrant·e·s et réfugié·e·s. Un foyer de COVID-19 s’est déclaré dans des centres de détention des services de l’immigration, et plus de 600 personnes ont été infectées.

Les gouvernements doivent garantir l’accès aux établissements et services de santé sans discrimination.

Discrimination - minorités ethniques et religieuses

Dans toute la région, des minorités ethniques ou religieuses ont continué d’être en butte à la discrimination, à la violence et à d’autres formes de persécution exercées par les autorités.

En janvier, la Cour internationale de justice a ordonné au gouvernement du Myanmar d’empêcher les actes de génocide commis contre les Rohingyas. Les autorités du Myanmar n’ont pas fait en sorte que les responsables des opérations militaires menées dans l’État d’Arakan en 2017, qui ont contraint plus de 700 000 Rohingyas à s’enfuir au Bangladesh, soient amenés à rendre compte de leurs actes. Dans le contexte d’opérations anti-insurrectionnelles, les forces de sécurité ont continué de commettre des violations des droits humains et des violations du droit international humanitaire contre d’autres minorités ethniques dans les États chin, kachin, chan et d’Arakan.

En Chine, les autorités ont justifié la discrimination et la persécution exercées contre les peuples tibétain et ouïghour et contre d’autres populations musulmanes turcophones de la région du Xinjiang en invoquant la lutte contre le « séparatisme », l’« extrémisme » et le « terrorisme ». Les autorités chinoises ont continué de soumettre des personnes ouïghoures ou appartenant à d’autres ethnies musulmanes turcophones à la détention arbitraire sans jugement, à l’endoctrinement politique et à l’assimilation culturelle forcée. Elles ont renforcé les restrictions d’accès à la province du Xinjiang et ont continué d’établir des camps d’internement de masse tout au long de l’année.

Iminjan Seydin, qui avait disparu pendant trois ans, a réapparu en mai et fait l’éloge des autorités chinoises lors d’une déclaration qu’il a apparemment prononcée sous la contrainte. Mahira Yakub, une ouïghoure qui travaillait pour une compagnie d’assurances, a été inculpée d’avoir « fourni un soutien matériel à des activités terroristes » parce qu’elle avait envoyé de l’argent à ses parents en Australie pour les aider à acheter une maison. Nagyz Muhammed, un écrivain kazakh qui était détenu depuis mars 2018, a été déclaré coupable, à l’issue d’un procès tenu secrètement, de « séparatisme » pour avoir dîné avec des amis le jour de la Fête de l’indépendance du Kazakhstan, il y a près d’une dizaine d’années.

Les personnes ouïghoures ont également subi des pressions en dehors du territoire chinois. Les ambassades de Chine et des agents chinois ont continué de harceler et d’intimider des personnes qui avaient quitté le pays et qui s’étaient exilées. Des agents des services de sécurité chinois ont harcelé des personnes ouïghoures vivant à l’étranger en utilisant des applications de messagerie, leur demandant d’indiquer leur numéro d’identification et leur lieu de résidence, entre autres. Certaines d’entre elles ont reçu des appels téléphoniques des services de sécurité chinois leur demandant d’espionner la diaspora ouïghoure.

En Mongolie intérieure, des manifestations ont eu lieu dénonçant une nouvelle politique linguistique pour les écoles visant à modifier la langue d’enseignement de certains cours, en remplaçant le mongol par le mandarin. Plusieurs centaines de protestataires – élèves, parents, personnel enseignant, femmes enceintes, enfants – auraient été arrêtés pour avoir « cherché à provoquer des conflits et troublé l’ordre public ». L’avocat spécialiste des droits humains Hu Baolong, qui s’était ouvertement exprimé pendant les manifestations, aurait été arrêté pour avoir « divulgué des secrets d’État à l’étranger ».

Dans certains pays, des minorités ethniques ou religieuses ont subi de plein fouet les effets de la pandémie de COVID-19. En Inde, les communautés musulmanes ont fait partie des minorités qui ont davantage encore été marginalisées. De nombreuses personnes musulmanes ont été privées d’accès aux services de santé et à des produits de première nécessité après que le mouvement musulman Tablighi Jamaat eut été accusé d’avoir propagé le virus lors d’un rassemblement public. Des appels au boycott des commerces tenus par des personnes musulmanes ont été lancés sur les réseaux sociaux. Au Sri Lanka, les autorités ont empêché des musulman·e·s d’enterrer des personnes mortes des suites du COVID-19 conformément aux rites religieux, et ont procédé de force à la crémation des corps. Le gouvernement sri-lankais aurait mis en place un profilage ethnique visant la communauté musulmane, considérant qu’elle représentait une importante source de risque pendant la pandémie.

En Afghanistan, 25 personnes au moins ont été tuées lors de l’attaque menée par le groupe armé se faisant appeler « État islamique » contre l’un des rares temples sikhs du pays. La communauté hazara, majoritairement chiite, a également été la cible d’attaques perpétrées par des groupes armés. Ainsi, en octobre, un attentat à l’explosif commis contre une école à Kaboul a provoqué la mort de 30 personnes, des enfants pour la plupart.

Au Pakistan, la communauté ahmadiyya a subi des attaques, des boycotts sociaux et économiques et au moins cinq homicides ciblés. Pendant le mois sacré de mouharram, des prédicateurs de haine ont lancé des incitations à la violence contre la minorité chiite du pays dans un contexte où près de 40 procédures pour blasphème étaient engagées contre des responsables religieux chiites. En juillet, cédant aux pressions exercées par des personnalités politiques et religieuses ainsi que certains médias, les autorités pakistanaises ont interrompu la construction d’un temple hindou à Islamabad, la capitale du pays, privant ainsi la communauté hindoue de son droit à la liberté de religion et de conviction. Le gouvernement pakistanais n’a pris aucune mesure efficace pour lutter contre la conversion forcée à l’islam de femmes et de filles hindoues et chrétiennes.

Les gouvernements doivent veiller à ce que les droits humains des minorités ethniques et religieuses soient protégés. Ils doivent en outre faciliter pour toutes les minorités un accès aux soins de santé identique à celui dont bénéficie le reste de la population, et prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la discrimination systématique qui est exercée contre elles.

Droits des femmes et des filles

La pandémie de COVID-19 a fait ressortir et a exacerbé les inégalités existantes entre les femmes et les hommes dans la région. Les mesures adoptées par les gouvernements pour faire face à la pandémie ont reflété des normes patriarcales et des stéréotypes de genre qui dépréciaient les femmes.

Dans le secteur informel, où, typiquement, les femmes percevaient une rémunération inférieure à celle des hommes, plusieurs milliers de femmes ont soudain été privées de leurs moyens de subsistance et contraintes d’assumer chez elles des responsabilités supplémentaires à l’égard de leur famille, notamment en s’occupant de l’enseignement à domicile pour les enfants et en soignant des proches malades. Les années précédentes, partout dans la région Asie-Pacifique, les femmes effectuaient déjà à la maison plus de quatre fois plus de tâches non rémunérées que les hommes. Ces chiffres ont considérablement augmenté pendant la pandémie.

Les femmes ont également représenté la majorité de la main-d’œuvre essentielle pendant la pandémie, notamment en ce qui concerne l’exercice de la médecine, les soins infirmiers et le travail d’assainissement. Au Pakistan, quand en mai des violences visant des membres du personnel soignant ont éclaté, un groupe de professionnelles de la santé ont été contraintes de s’enfermer dans une pièce pour se protéger, pendant que des proches de patient·e·s vandalisaient l’hôpital où elles travaillaient.

Dans le Golfe, des employées de maison migrantes, qui viennent essentiellement de la région Asie-Pacifique, ont perdu leur emploi et été obligées de retourner dans leur pays dès le début de la pandémie. La plupart des programmes nationaux de stimulation financière ne comportaient aucune disposition particulière visant à faire face aux besoins de ces femmes, y compris en matière de protection sociale.

De nombreux gouvernements de la région n’ont pas considéré les services destinés aux femmes comme des services essentiels pouvant continuer de fonctionner pendant les confinements, y compris en ce qui concerne les services d’aide et de soutien pour les femmes victimes de violences sexuelles ou liées au genre. Les femmes et les filles qui vivaient déjà avec un partenaire ou des proches violents ont davantage encore été exposées au risque de subir des violences. Le nombre de cas de violence domestique et de violence conjugale a considérablement augmenté partout dans la région. Au Japon, 13 000 cas ont été enregistrés durant le seul mois d’avril, ce qui représentait une augmentation de 29 % par rapport au chiffre relevé le même mois en 2019.

Les femmes ont continué d’être en butte à de violentes attaques misogynes. En Indonésie, des sites d’information féministes ont été la cible d’attaques numériques. Une journaliste a été victime du piratage de son compte et harcelée par ses agresseurs, qui ont envoyé des images pornographiques et des déclarations humiliantes au sujet des femmes. En Corée du Sud, la violence en ligne généralisée qui visait les femmes et les filles est progressivement apparue au grand jour avec l’arrestation des auteurs de cyberinfractions à caractère sexuel, qui ont exercé un chantage sur plus de 70 femmes et filles en les contraignant à partager, à des fins d’exploitation sexuelle, des vidéos et des photographies qu’ils diffusaient ensuite au moyen d’applications de messagerie.

Au Cambodge, le Premier ministre Hun Sen a publiquement mené une offensive contre le droit des femmes à la liberté d’expression, invoquant les notions arbitraires de « tradition » et de « culture » pour justifier le contrôle exercé sur le corps et les choix des femmes. En janvier, il a ordonné à la police de prendre des mesures contre les femmes qui faisaient de la publicité pour des produits sur Facebook dans des tenues prétendument « révélatrices ». Quelques jours après, une femme faisant de la vente sur Facebook a été arrêtée et inculpée de production de matériel « pornographique » en raison de sa tenue vestimentaire. Les attaques menées dans le pays contre les droits des femmes se sont intensifiées en juin, quand le gouvernement a cherché à inscrire ces sanctions dans la loi, en érigeant en infraction le port de vêtements jugés « trop courts » ou « trop transparents ». Ce projet de loi a été vivement dénoncé en ligne par de nombreuses femmes et filles.

Les violences faites aux femmes et l’impunité des auteurs de ces violences ont persisté dans plusieurs pays. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, les accusations de sorcellerie exposaient les femmes à un risque accru de violence. En Afghanistan, les femmes ont continué d’être en butte à la discrimination et aux violences liées au genre, en particulier dans les zones contrôlées par les talibans, où de violentes « punitions » ont été infligées pour de soi-disant transgressions de l’interprétation que faisait ce groupe armé du droit islamique. Plus de 100 affaires de meurtres liés à la violence contre les femmes ont été enregistrées en Afghanistan durant l’année, et ces cas ont mis en évidence l’absence persistante d’enquêtes sur ces meurtres et de mesures visant à combattre efficacement la violence contre les femmes. Aux Fidji, l’ancien capitaine d’une équipe de rugby déclaré coupable de viol et condamné à huit années d’emprisonnement a été autorisé à reprendre l’entraînement après avoir purgé moins d’une année de sa peine.

Au Pakistan, la marche organisée tous les ans à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes a été la cible d’attaques soutenues, menées dans un premier temps par les tribunaux avec une tentative d’interdiction de cet événement, puis, le jour même, par des groupes religieux qui ont jeté des pierres sur les personnes participant à la marche à Islamabad. La police n’a pas protégé les manifestant·e·s. En septembre, le viol en réunion d’une femme sur une autoroute a provoqué une vague d’indignation à travers le pays, et des appels ont été lancés pour que le plus haut représentant de la police au niveau de la province démissionne, et pour que les peines infligées aux violeurs soient alourdies. En décembre, le gouvernement a adopté une ordonnance visant à accélérer la procédure dans les affaires de viol, et à sanctionner les agresseurs en les soumettant à une castration chimique forcée. Amnesty International s’est dite préoccupée par le fait que la castration chimique forcée est contraire aux obligations internationales et constitutionnelles du Pakistan, qui interdisent le recours à la torture et aux autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

En Inde et au Népal, des viols de femmes dalits ont déclenché une vague de colère. En mai, au Népal, dans le district de Rupandehi, une fillette dalit de 12 ans a été mariée de force à son violeur présumé, qui appartenait à une caste dominante. En septembre, dans le district de Bajhang, une autre fillette dalit de 12 ans a été violée et tuée ; l’auteur de ces actes serait un homme qui avait précédemment échappé à des poursuites pour un autre viol, commis un mois auparavant sur une adolescente de 14 ans. Toujours en septembre, mais cette fois en Inde, une femme dalit a été violée et assassinée par un groupe d’hommes appartenant à la caste dominante à Hathras, dans l’État de l’Uttar Pradesh. La police a fait procéder à la crémation de son corps sans l’accord de la famille. Les agresseurs n’ont été arrêtés qu’à la suite des mouvements de protestation qui ont surgi à travers le pays pour réclamer justice et exiger que les responsables rendent des comptes.

Pour faire face aux différents aspects des violences faites aux femmes, des mesures ont été prises en Corée du Sud, notamment avec l’adoption de lois visant à renforcer la protection des femmes et des filles contre l’exploitation et les atteintes sexuelles. L’Assemblée nationale a alourdi les peines sanctionnant les cyberinfractions à caractère sexuel. L’âge du consentement a par ailleurs été relevé, passant de 13 à 16 ans, sans discrimination, et les délais de prescription ont été supprimés pour les crimes relatifs à l’exploitation sexuelle d’enfants.

En établissant leurs plans d’intervention et de relance pour l’après-pandémie, les gouvernements doivent accorder la priorité aux initiatives visant à faire progresser l’égalité des genres et à éliminer les violences liées au genre ainsi que les stéréotypes de genre néfastes. Les femmes doivent en outre être impliquées dans toutes les étapes des processus de décision législative, politique et budgétaire concernant les programmes d’intervention et de relance post-pandémiques élaborés par les gouvernements de la région.

lutte contre le changement climatique

La région Asie-Pacifique est tout particulièrement exposée aux effets de la crise climatique. En 2020, la situation des droits humains dans la région a pâti d’une série de catastrophes climatiques. L’Inde a été durement frappée par le super-cyclone Amphan, et le Bangladesh, le Népal et le Myanmar ont subi de vastes inondations qui ont provoqué le déplacement de plusieurs millions de personnes. L’Australie a quant à elle dû affronter des feux de brousse d’une ampleur sans précédent, qui ont entraîné des déplacements de population et causé une pollution atmosphérique.

Malgré la gravité des conséquences de ces phénomènes, les pays de la région qui portaient la plus lourde responsabilité en matière d’émissions mondiales n’ont pas fixé d’objectifs adéquats de réduction qui contribueraient à éviter les pires répercussions du changement climatique sur la situation des droits humains. L’Australie, qui est devenue le plus grand exportateur mondial de combustibles fossiles, n’a pas fixé d’objectif ambitieux de réduction de ses émissions pour 2030 et ne s’est pas engagée à atteindre la neutralité carbone à long terme. Si le Japon et la Corée du Sud ont annoncé des objectifs de neutralité carbone pour 2050 – et la Chine pour 2060 –, ces pays n’ont pas démontré qu’ils prenaient toutes les mesures en leur pouvoir pour ne plus produire aucune émission de carbone avant cette date, ce à quoi ils sont pourtant contraints s’ils veulent éviter de saper les droits humains de la population sur leur territoire et dans le reste du monde.

Les gouvernements doivent de toute urgence adopter et appliquer des objectifs et stratégies de réduction des émissions permettant de protéger les droits humains face à la crise climatique, et faire le nécessaire pour garantir une transition juste et respectueuse des droits fondamentaux vers une économie zéro carbone et une société résiliente.

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